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Noesam@Voila.fr

  • : sionazisme
  • : Tout Juif qui se respecte, religieux ou séculier, ne peut plus garder le silence, voir pire, soutenir le régime sioniste, et ses crimes de génocide perpétrés contre le peuple palestinien...La secte sioniste est à l’opposé du Judaïsme. .................... Mensonge, désinformation, agression, violence et désobéissance de la loi internationale sont aujourd’hui les principales caractéristiques du sionisme israélien en Palestine.
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Israèl est contre TORAH

*"Les sionistes me dégoûtent autant que les nazis."
(Victor Klemperer, philologue allemand d'origine juive, 1881-1960)

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L’initiative sioniste de proclamer l’État d’Israël constitue une révolte contre la volonté divine, contre la Torah, une révolte qui a engendré une vague interminable de violence et de souffrance. À l’occasion de la fondation de l’État hérétique, les juifs fidèles à la Torah pleurent cette tentative d’extirper les enseignements de la Torah, de transformer les juifs en une « nation laïque » et de réduire le judaïsme au nationalisme.......Nous déplorons les tragédies que la révolution sioniste a provoquées chez les Palestiniens, notamment des déportations, l’oppression et la subjugation..Que nous méritions que cette année toutes les nations, en acceptant la souverainet

é divine, puissent se réjouir dans une Palestine libre et dans une Jérusalem libre! Amen. Offert par Netouré Karta International : www.nkusa.orglink

                                               


   

 


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FATHER OF SIONAZISJACOB HITLER

La prétendue ascendance juive d'Hitler: Une "explication" par la haine de soi
Une publication parue cette semaine a attiré mon attention. Il s’agit ni plus ni moins de la généalogie d’Adolf Hitler qui aurait des ascendants juifs !! Dans son article, Gilles Bonafi présente une fiche des Renseignements généraux que le magazine Sciences et Avenir a publié en mars 2009, et où on peut clairement lire le deuxième prénom d’Hitler : Jacob. Adolf Jacob Hitler serait le petit-fils de Salomon Mayer Rothschild. Cette information a été divulguée par deux sources de très haut niveau : Hansjurgen Koehler officier d’Heydrich, qui était lui-même l’adjoint direct d’Heinrich Himmler et Walter Langer le psychiatre qui a réalisé le profil psychologique d’Hitler pour l’OSS, les services secrets US pendant la Seconde Guerre mondiale.
SOURCE ;alterinfo

Archives

11 janvier 2009 7 11 /01 /janvier /2009 13:44
La question des réfugiés et le droit au retour


 

sommaire :

Présentation par Bernard Ravenel

Quelques rappels

Une question existentielle

Une peur permanente

Le début des négociations et les termes de référence

Les batailles préalables à des négociations et l’arrêt de celles-ci

Les propositions palestiniennes

Débat

Présentation

Dans notre cycle qui entend présenter les différentes dimensions du problème palestinien, il n’était pas pensable de ne pas aborder au fond le problème des réfugiés qui constituent la majorité de ce peuple. Et nous tenions à ce que ce thème soit présenté par la personne qui, en France, connaît le mieux le dossier, à savoir Elias Sanbar, qui a été responsable de la délégation palestinienne sur ce sujet dans le cadre des négociations multilatérales issues de la Conférence de Madrid en 1991. Je le remercie au nom de l’AFPS d’être parmi nous ce soir.

En préalable, je voudrais faire une remarque d’ordre sémantique :

« Droit au retour » ou « question des réfugiés », la différence dans la dénomination n’est pas innocente. Elle désigne le lieu d’où l’on parle et les perspectives dans lesquelles on entend s’inscrire. Ici - les réfugiés - ce sont des considérations humanitaires liées aux conditions de vie dans les camps qui prennent le pas ; là - le retour - c’est en termes de droit que l’on entend raisonner, un droit de chaque individu, mais aussi un droit à l’échelle d’un peuple : comment parler du droit à l’autodétermination dès lors que la majorité de ce peuple est en exil forcé. Par ailleurs, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, le terme même de « retour » évoque inévitablement un élément-clé des relations qu’entretient l’État d’Israël avec la diaspora juive. La loi israélienne du même nom fait de chaque juif dans le monde un citoyen israélien pour peu qu’il en manifeste le désir.

Pour les Palestiniens, cette question est au coeur de l’injustice qui leur a été faite. Pour Israël, elle est directement liée au caractère juif de l’État proclamé en 1948. Les modalités de sa résolution seront probablement, aussi bien du côté israélien que du côté palestinien, le critère principal d’adhésion ou non aux accords finaux.

Pendant quarante-cinq ans (jusqu’au processus de paix lancé à Madrid en 1991), la question des réfugiés est restée peu débattue. Tant que la question palestinienne était posée comme un tout indissociable, elle paraissait insoluble. Parler de la nécessité d’une solution globale pour les 5 millions et quelque de Palestiniens, c’était accepter l’idée que le compromis n’était pas envisageable. Mais avec l’évolution stratégique de l’OLP, il est devenu possible d’isoler la question des territoires occupés pour la traiter dans un cadre spécifique tout en traitant parallèlement la question des réfugiés dans le cadre de négociations multilatérales.

Elias Sanbar était donc au centre de cette négociation. C’est pour cela que la présentation de ce thème, parfois instrumentalisé, en particulier par les adversaires de toute solution, par Elias Sanbar, nous paraît particulièrement nécessaire et opportune. Bernard Ravenel

Le texte qui suit a été établi à partir de la retranscription de la conférence d’Elias Sanbar et du débat qui a suivi. Il n’a pas été revu par l’auteur.

La question des réfugiés est la question centrale du problème israélo-palestinien, parce que c’est la question originelle, le noeud le plus complexe de tous parmi les diverses questions à résoudre. Elle dépasse toutes les autres car elle réunit la question du passé, le présent (60 % de la population palestinienne est réfugiée), et l’avenir. La clé fondamentale de ce que l’on pourrait appeler une possible réconciliation se trouve là et pas ailleurs. On peut aboutir à un accord sur Jérusalem sans que cela nécessite forcément une réconciliation car on peut gérer cette question d’une certaine façon selon les accords de paix, par exemple prévoyant un contrôle international avec des garanties ; on peut trouver une formule. On peut régler la question des colonies également par pures négociations entre deux partenaires. Mais on ne peut pas arriver à une solution de la question des réfugiés sans aborder la question de la réconciliation.

Quelques rappels

Quelques rapides précisions de vocabulaire car le vocabulaire joue beaucoup.

1/ Tout d’abord, on a tendance spontanément à considérer comme réfugiés les Palestiniens qui habitent les camps de réfugiés et c’est évidemment logique d’y penser. En réalité, concernant la question du retour, le problème des réfugiés ne concerne pas uniquement les habitants des camps mais la totalité de l’exil palestinien car il y a une partie des exilés palestiniens qui ne vivent pas dans des camps ou qui n’ont même pas vécu dans des camps, mais qui n’en sont pas moins des gens titulaires et habilités à réclamer l’application de ce droit car il les concerne et il les touche. Donc quand on parle du droit au retour et des réfugiés, il ne s’agit pas uniquement de la population des camps.

Il faut que vous sachiez que, dans le cadre des négociations, une trouvaille commode de vocabulaire a été apportée pour pouvoir distinguer les dossiers. Mais en distinguant les dossiers, on a quand même semé une confusion : les réfugiés, les expulsés palestiniens de 1967 et non pas de 1948, ont été déclarés, pour la commodité du vocabulaire, pour qu’on puisse distinguer les deux négociations l’une de l’autre, des populations déplacées. En fait ils sont exactement dans la même situation que ceux de la première vague d’expulsion en 1948. Donc ce problème concerne comme vous le voyez les gens expulsés en 1948, les gens exilés à qui on n’a pas permis de revenir, les gens déplacés de force en 1967 et qu’on ne laisse pas revenir chez eux, donc de façon assez globale près de 60 % du peuple de Palestine. Ce qui veut dire une majorité écrasante, ce n’est pas une frange, donc ce n’est pas seulement une question centrale, elle touche, elle concerne la majorité démographique aussi. Ce n’est pas une minorité qui constitue une question importante, c’est la majorité qui constitue la principale question. C’est pour cela que c’est un grand, grand, grand noeud.

2/ La deuxième chose qu’il faut savoir, c’est quant à la géographie du réfugié. En 1948, l’expulsion s’est passée de plusieurs façons. Vous avez tout d’abord les Palestiniens qui résidaient, qui habitaient dans la partie littorale plus les premières plaines derrière le littoral, notamment la Galilée, la plaine de Jaffa ; cette région, qui est devenue l’Israël de 1948, a été très massivement vidée de sa population puisque, à l’époque, ce qu’on appelle toute la Palestine historique, c’est à-dire Israël actuel, plus Cisjordanie, plus Gaza, totalisait 1 400 000 personnes environ. Sur ces 1 400 000 personnes vous avez en 1948 à peu près entre 760 000 et 800 000 qui sont expulsés, c’est-à-dire à qui on fait passer les frontières. Il y a d’autres populations qui, sans être expulsées, c’est-à-dire les Palestiniens originaires de la Cisjordanie ou de Gaza, se trouvent détachées de la Palestine sans en être sortis ; en effet, la bande de Gaza passe sous contrôle égyptien, la Cisjordanie sous contrôle transjordanien et ces Palestiniens-là, sans avoir bougé de Palestine, se retrouvent littéralement en dehors de la Palestine puisque la Palestine disparaît et qu’émerge à sa place un État qui s’appelle Israël.

Pour avoir une idée des chiffres, il faut que vous sachiez que vous avez à peu près 800 000 personnes qui sont expulsées. Le premier recensement israélien, de 1950, dénombre à 152 000 les Palestiniens encore présents dans les zones sous contrôle israélien. Donc si nous ajoutons les 152 000 aux 800 000 réfugiés expulsés, que nous soustrayons ces 950 000 du 1 400 000, nous évaluons à 450 000 ceux restant qui se sont retrouvés dehors, les habitants de Gaza et de la Cisjordanie.

Maintenant, comme dans toute expulsion, une expulsion ponctuée de massacres, les populations en règle générale se déplacent vers les frontières les plus proches et en fonction des seules routes sûres. Les populations civiles - qui ont encore en tête non seulement le massacre de Deïr Yassin, le plus connu, mais aussi de nombreux autres qui ont ponctué l’expulsion et dont on commence enfin à parler - se déplacent vers les lieux les plus proches. C’est ce qui explique qu’en règle générale la population du Nord (Galilée, Haute-Galilée, Basse-Galilée, région de Haïfa et de Saint-Jeand’Acre) va se retrouver soit au Liban, soit en Syrie. C’est ce qui explique également que les populations palestiniennes des zones centrales (celles qui vont de Haïfa à Jaffa) vont aller dans deux directions, soit vers la Cisjordanie, soit vers Gaza et de Gaza vers l’Égypte. D’autres après iront encore plus loin, vers l’Irak, vers l’Europe, vers les Amériques, vers l’Amérique latine, ainsi de suite.

Je rappelle tous ces mouvements pour bien indiquer qu’il y a des réfugiés palestiniens, des exilés palestiniens au Liban, en Syrie, en Égypte, en Irak, en Jordanie bien sûr, etc., mais il y en a également qui sont réfugiés sur des portions du territoire de la Palestine puisqu’il y a des camps de réfugiés en Cisjordanie et à Gaza, ce qui fait que vous avez une situation très complexe sur le plan du statut. Vous avez des Palestiniens qui vivent au milieu de frères arabes, qui vivent cela comme un bannissement parce que l’exil est une notion trop étrangère en fait - on n’est pas exilé chez soi ; les Arabes étaient notre prolongement naturel, nous étions bannis chez des frères - mais vous avez également cette situation très étrange où des Palestiniens résident au milieu d’autres Palestiniens. Le camp de réfugiés de Naplouse par exemple est près de Naplouse ; le camp de Naplouse est habité par des réfugiés venus de ce qu’on appelle les zones de 1948, Naplouse est habité par les habitants de Naplouse.

Et vous avez à cette époque deux catégories de Palestiniens, l’une qui est dans la situation du refuge et l’autre qui est dans la situation de la déchirure, c’est-à-dire coupée de la Palestine sans avoir bougé de l’espace.

Donc vous voyez cette situation du retour concerne non pas des aspirations différentes, mais touche des États, des situations extrêmement diversifiées. Cela ne change rien au sentiment ; le sentiment est unitaire et la réclamation est unanime sur ce point. Mais cette situation touche quand même beaucoup aux perceptions. Il est certain qu’un Palestinien qui habite un camp de réfugiés en Palestine ne fonctionnera pas par rapport à son idée du territoire de la même façon qu’un Palestinien qui habite un camp de réfugiés au nord de la Syrie par exemple, le rapport à la territorialité, le rapport au déplacement, le rapport à l’absence est quand même différent, il y a des nuances. Ça ne change rien fondamentalement, mais c’est important de le savoir.

Cette question du droit au retour est née très, très vite, c’est-à-dire immédiatement après l’expulsion, au moment où les réfugiés commencent à débarquer. Et l’expulsion s’est faite très vite. Donc il y a eu une sorte de choc. Ça n’a pas été une hémorragie au cours de laquelle des gens partaient petit à petit. Tout s’est joué en à peine quelques semaines. Donc il y a une situation de véritable choc, et pour ceux qui sont expulsés, et pour ceux qui les voient arriver aux frontières arabes. Il y a une situation également très compliquée sur le plan matériel et humain, sur le plan sanitaire. Et, très vite, l’ONU va réagir par une condamnation parce qu’il n’est pas prévu en principe que le partage de la Palestine se passe ainsi.

C’est à partir de là que les deux premières organisations qui vont recevoir les gens - et qui n’étaient pas là pour cela puisque personne ne savait ce qui allait se passer - sont d’une part la Croix-Rouge internationale, qui se trouvait dans les pays limitrophes et qui a immédiatement couru vers ce théâtre du désastre pour accueillir les populations, et des missions humanitaires de Quakers américains qui faisaient à l’époque un travail humanitaire dans la région de Gaza. Ce sont ces deux organisations qui ont en fait encaissé le choc puisque l’ONU n’avait pas encore préparé des institutions pour recevoir le flot des réfugiés. Puis très rapidement ces deux organisations vont transférer leurs activités à une agence qui s’appelle l’Unrwa [1], créée dans la foulée du vote en décembre 1948 de la résolution 194, celle qui institue le droit au retour.

Sur ce point, un rappel est nécessaire car cela va beaucoup peser à l’avenir : la résolution 194 dit que tout Palestinien a le droit au retour et il sera indemnisé dans le cas où il ne voudrait pas exercer son droit. La nuance est capitale. Jamais le texte fondateur de cette question du droit au retour ne dit : ou les Palestiniens rentrent ou ils sont indemnisés, c’est-à-dire il n’y a jamais eu dans le texte l’idée d’instituer l’indemnisation comme une alternative au droit. L’indemnisation n’est présentée dans le texte de la résolution que comme un choix de ceux qui, détenant le droit, décideraient de ne pas exercer leur droit et seraient à ce titre habilités à réclamer d’être indemnisés pour les biens qu’ils ne veulent plus réclamer. Ils ne veulent plus les réclamer. On ne peut pas leur dire : vos biens sont partis, vos droits sont partis et voilà en échange une somme. Ce n’est pas ce que dit le texte. J’insiste là-dessus parce que cette lecture biaisée de la résolution est un des points fondamentaux de la bataille diplomatique.

La deuxième chose qu’il faut savoir, c’est que l’Unrwa, qui est une agence de l’ONU, est unique en ce sens que, à la différence de toutes les autres agences des Nations unies, elle est la seule créée de façon expresse et limitative pour la question des réfugiés de Palestine. Les organisations de l’ONU par exemple pour la santé, pour l’enfance, sont mondiales : elles peuvent aller sur n’importe quel théâtre où il y a des problèmes de santé, des problèmes pour l’enfance ; les agences pour l’éducation peuvent aller dans n’importe quel pays où il y a des problèmes d’éducation, l’Unrwa a été créée de façon expresse et exclusive pour s’occuper des réfugiés palestiniens et j’ajoute - c’est dans son règlement interne - elle disparaîtra le jour où les droits seront accomplis. Donc l’Unrwa trouve sa raison d’être dans le fait que le droit n’a pas été appliqué et l’existence de l’Unrwa est, sur le plan juridique, la preuve permanente que ce droit attend son application. C’est également très important. Je vous raconterai après comment, à un moment donné, les Américains et les Israéliens se sont attaqués durant la négociation, à cette question des droits en prétextant une campagne pour la fermeture de l’Unrwa pour des raisons soi-disant purement institutionnelles. Parce que si vous abolissez cette institution, cela signifie que, puisque c’est son statut, que le droit a été satisfait et donc vous voyez que cette institution - par-delà les tâches dont elle s’est occupée, l’éducation, la santé, etc. - a une portée infiniment plus importante et va infiniment plus loin qu’une simple activité d’agence humanitaire. Son existence est la preuve quotidienne que ce droit attend son application.

Partant de là, la question du droit au retour a, dès le départ, vous vous en doutez, été contrée par un refus absolu de la part d’Israël. Ce n’est pas une question qui a été débattue avec des points de vue même diamétralement opposés ; c’est une question dont il était littéralement interdit de parler. La question du droit au retour, plus que toutes les autres, était une question fondamentalement tabou, interdite. Les thèmes et les alibis sur le danger démographique, etc., que vous entendez aujourd’hui n’ont commencé à émerger que précisément lorsque nous avons réussi à ouvrir la question, comme des tentatives pour bloquer l’avancée du débat. Au départ, il n’y a strictement aucun débat, cette question ne se pose pas. Elle est inventée, disent les Israéliens, inventée de toutes pièces par ces Palestiniens qui sont partis d’eux-mêmes, qui sont partis en s’enrichissant, parce qu’ils nous ont roulés en vendant leur pays et très souvent à des prix que leurs terres ne valaient pas ; et maintenant qu’ils se sont enrichis, ils viennent pleurnicher en disant qu’on leur a pris leurs terres. Et d’ailleurs la meilleure preuve qu’ils n’existent pas, c’est qu’ils n’ont aucun attachement à leur patrie puisqu’ils l’ont vendue. C’était ça leur thème. Mais voyons, personne n’a obligé personne à partir ! etc.

Une question existentielle

D’où vient cette espèce de panique - car, malgré l’outrance des propos, c’est une position de panique qu’adopte Israël dès que l’on aborde cette question ? Elle vient de deux registres et une fois que je vous les aurai détaillés, vous comprendrez encore plus pourquoi cette négociation est compliquée.

Elle vient tout d’abord d’un registre que j’appellerai un registre de légitimité publique et qui peut s’énoncer comme cela : l’État d’Israël, dans la perception du mouvement sioniste et dans la perception des membres de ce mouvement, a été dès le départ présenté comme la solution au problème juif, pardon à la « question juive » parce que c’est en ces termes qu’elle était formulée déjà dans le célèbre texte de Marx. Donc, dès les pogroms tsaristes, combinés aux effets de l’affaire Dreyfus commence à se développer l’idée « nous n’avons de place nulle part, il faut qu’il y ait un État refuge » ; c’est parti du choc qu’a un journaliste viennois du nom de Hertzl qui couvre le procès Dreyfus et qui, alors qu’en arrivant à Paris, il est plutôt quelqu’un dans les thèses de l’intégration des juifs dans les sociétés européennes, en revient avec l’idée d’un État refuge, mais un État refuge face à des persécutions. Donc, dès le départ - et ça n’a rien à voir avec ce qui s’est passé sur le terrain - dans le mouvement sioniste et dans la perception extérieure de ce mouvement, dans les opinions occidentales, le projet est présenté comme un projet qui vise à faire justice à des persécutés.

Le fait que le pays qui va servir de havre et de refuge soit peuplé ne pose pas problème. Il ne pose pas de problème dans la mesure où, à l’époque (il faut aussi se mettre dans la mentalité de l’époque et dans la vision politique de l’époque) ceux qu’on appellera par la suite les pays colonisés ou les pays du Sud ne comptent pas. Le slogan qui disait dans le débat de 1967 « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre » est très tardif ; en fait tout le monde savait que la terre n’était pas vide. Le grand problème, c’est que, comme ce sont des gens différents (des Arabes, des Africains, des Asiatiques, c’est comme ça qu’on les percevait), ils ne comptent pas. Et quel est le problème à devoir les consulter pour savoir si on va prendre leur espace pour en faire autre chose ? Donc cela passe.

Mais dès le départ, ce qui est important dans toute cette histoire, c’est la perception que cette histoire est juste. Et cet aspect d’histoire juste va devenir infiniment plus fort avec le déferlement de la barbarie nazie. Après ce qui se passe durant la Deuxième Guerre mondiale et la montée hitlérienne également à partir des années 1933, la terre entière est convaincue que la proclamation de l’État d’Israël est la réponse juste à une injustice, que le nazisme étant un mal absolu, la riposte israélienne au mal absolu est forcément un bien absolu. Et donc dès le départ commence à fonctionner ce thème non pas de la légitimité politique ou de facto - vous avez des États qui sont nés par la force, par des conquêtes, et qui ont dit : voilà nous avons conquis, nous proclamons, nous sommes là, ou par une colonisation (les États-Unis en sont un fantastique exemple) - mais une légitimité morale. Et c’est un État qui naît à partir d’une guerre d’expulsion qui est quand même quelque chose de moralement très peu légitime.

Donc, dès le départ, la question de la légitimité va être perçue sur le plan étatique comme menacée, mortellement menacée, au cas où on accepterait l’idée que cet État légitime est né d’un acte illégitime. Commence alors à se développer une espèce de panique à savoir : tout le monde dit que nous ne devons pas exister, que l’État d’Israël doit être aboli, qu’il s’est érigé à la place de la Palestine et que la Palestine ne peut réémerger de la disparition, que si Israël recède la place. L’idée que les épisodes de la naissance de l’État d’Israël puissent être divulgués, provoque à ce moment des réactions de pure panique car elle est liée à l’État d’Israël, non pas à un épisode pas très glorieux de son histoire, mais à sa naissance et ça veut dire à sa légitimité, donc à son existence future. Les Israéliens sont convaincus que si l’État d’Israël est illégitime, il n’y a plus aucune raison pour qu’il existe.

Ainsi, cette question qui, en apparence, n’est qu’une question de droit - elle l’est aussi, et pas seulement en apparence -, mais qui n’apparaît que comme une question de droit ou une question du débat historique, est une question existentielle sur le plan étatique pour les Israéliens. D’où cette espèce de fermeture absolue dès qu’elle est abordée. Il y a un crime qu’il s’agit de ne pas dévoiler. C’est pour cela qu’on peut dire qu’ils savent ce qui s’est passé. C’est ça le noeud le plus important dans l’histoire. Les Israéliens savent tous ce qui s’est passé, tous à commencer par ceux qui n’ont pas vécu ce qui s’est passé. Et c’est pour cela qu’il y a une véritable panique dès que vous abordez la question, ils savent ce qu’ils ont fait et ils savent que nous savons ce qu’ils ont fait.

Une peur permanente
Une peur permanente

À partir de ce point, on passe à l’autre registre qui est plus intime, plus individualisé, plus personnel. L’État d’Israël est donc né comme une riposte à une barbarie et peut-être qu’il l’a été en partie puisqu’un grand nombre des rescapés se sont retrouvés là. Que cela justifie l’expulsion d’un peuple est une autre histoire. Et l’État d’Israël est dès le départ façonné, construit et bâti par rapport aux individus qui le constituent sur le thème du camp retranché.

Chaque individu est élevé, vit, est organisé - l’école le dit, l’université le dit, l’entraînement permanent à l’armée le montre, l’idéologie militariste le dit - avec ce sentiment de la citadelle assiégée et le sentiment que non seulement la légitimité politique de l’État est menacée, mais également l’existence physique de ses habitants. L’individu est dans une double inquiétude, celle que son État ne soit plus légitime, et donc que l’édifice s’effondre, et celle que lui-même ne soit plus légitime, en tout cas ne soit plus autorisé à être là où il est, pour certains là où ils sont nés, et que donc l’existence physique soit remise en question, c’est à dire l’idée du massacre.

Et donc ce phénomène qu’on trouve au niveau public, à savoir qu’il ne faut pas que ça se sache, devient encore plus fort au niveau individuel. Il ne faut surtout pas le reconnaître, parce qu’à la seconde où moi, en tant qu’individu, je reconnais que j’ai pris la place d’un autre, que ma famille a occupé la maison d’un autre, que j’ai expulsé, on pourra tout à fait venir me dire, non seulement tu as commis une injustice, mais encore tu n’as plus le droit de vivre ici. C’est pour cela que cette question du droit au retour touche à des registres qui ne sont pas strictement diplomatiques ou strictement politiques ou strictement humanitaires. Elle relève aussi d’autre chose et là vous avez un très gros noeud, d’ailleurs avec de très grandes ramifications, et je n’exagère pas, de type schizophrénique, psychanalytique.

Je vous raconte juste une histoire pour que vous vous imaginiez l’état dans lequel ces choses se vivent. Il y a quelques années, j’étais en Palestine et j’ai rencontré un Israélien, non pas simplement un pacifiste, mais quelqu’un d’extrême gauche, c’est-à-dire un personnage considéré comme un traître absolu par sa propre société. Ce qu’il m’a dit est quand même très dur, pour quelqu’un qui est pour le droit au retour, qui me déborde même parfois sur cette question. Donc il m’a dit : « Tu sais, c’est quand même très compliqué. » Je lui dis : « Qu’est-ce qui est compliqué ? » Il me dit : « Tu sais, moi, j’étais avec ma famille dans les camions qui étaient pleins, chargés de gens autour des deux villes de Ramleh et Lod. » (Lod est devenu l’aéroport de Lod aujourd’hui, et vous savez durant l’expulsion, ça aussi on ne le raconte pas assez, des camions chargés de civils israéliens étaient toujours préparés quasiment en bordure des affrontements militaires pour que, dès que le village tombe ou que la ville tombe, les remplaçants soient immédiatement installés dans les maisons, qu’il n’y ait aucune possibilité de retour, même une demi-heure plus tard. C’est pour cela qu’il y a tellement de récits israéliens de maisons dans lesquelles ils débarquent, où les repas sont encore chauds ; ça n’est pas de la mauvaise littérature, c’est vrai.) Donc, cet ami me dit : « Tu sais j’étais dans un des camions de Ramleh et en un tour de main la ville a été vidée ; une heure après nous étions installés dans une maison et il y avait effectivement à la cuisine un repas qui cuisait. La mère était partie en catastrophe. » Je lui dis : « Oui, ça a dû être très dur » ; il me dit « non c’est pas ça qui est dur ». Je lui dis : « Qu’est-ce qui est le plus dur ? » Et là vraiment il m’a ouvert les yeux sur une dimension qui est quand même très lourde. Il m’a dit : « Le plus dur, c’est que, pendant des années après, chaque fois que nous avons eu soif, nous avons bu de l’eau dans leurs verres. Et ça, ça rend fou, ça dépasse l’analyse politique, ça donne un profond sentiment, qu’on le veuille ou non, et surtout que vous n’avouerez jamais, de ne pas avoir le droit d’être là où on est. »

C’est au niveau de l’essence humaine, on n’est plus du tout dans de grands débats, on est dans de l’humanité et ça a rendu beaucoup de gens très fous. D’où cette espèce de défensive permanente ; dès que vous abordez la question du retour, on ne te dit pas : « Qu’est-ce que tu veux dire ou qu’est-ce que tu prétends ? » La réponse, dès qu’on l’aborde, c’est : « Est-ce que tu veux me tuer ? » On l’a entendu tout le temps : « Est-ce que vous parlez de cette histoire pour nous massacrer ? » En quoi le fait de réclamer son droit équivaut-il à leur massacre ? Mais c’est comme ça en permanence.

Donc cela a constitué l’essence du blocage, tout le reste, tout ce que vous avez entendu après sur « les résolutions ne disent pas cela », « vous êtes trop nombreux, vous allez perturber le caractère juif dominant de l’État », etc., sont quasiment des arguments d’arrière-garde, des arguments de retrait défensif. Le fond de l’histoire est là. Si, à la seconde où nous reconnaissons votre droit, nous faisons aveu de notre illégitimité profonde, n’espérez pas obtenir de nous de nous suicider. C’est cela tout le problème de la négociation du droit au retour. Et c’est pour cela que c’est très bloqué. Et c’est pour cela que les discussions qui vont dans tous les sens sur la démographie sont des pièges.

Le début des négociations et les termes de référence

Nous, Palestiniens, nous ne devrions pas discuter pendant des heures pour dire : « Ne vous en faites pas, ça sera 150 000, pas 225 000 vous comprenez, 150 000 c’est pas terrible... » Le problème n’est pas là, ils le savent. Il faut aller vers les questions de légitimité, une question de conditions de naissance. Dans quelles conditions est né l’État d’Israël et c’est ça qui est la clef de cette histoire.

Bien entendu, cela n’a pas empêché, à partir d’un certain moment, les négociations de s’ouvrir. Mais avec tout ce que je vous ai dit, vous pouvez commencer à imaginer les tactiques de négociation qui ont été employées. En un mot, c’est très simple. Il fallait tout faire pour ne pas poser la question. Que pouvait-on aborder pour ne pas revenir à cette question ?

Donc, à l’ouverture des négociations, on nous a dit que la question des réfugiés allait être abordée - on ne pouvait pas l’éviter, les rapports de force ne permettaient pas aux États- Unis de la sortir de la négociation - mais ils se sont très vite arrangés pour dire qu’elle faisait partie des questions explosives - ils ne disaient pas explosives, ils disaient des questions les plus ardues... « On ne peut pas espérer commencer une négociation par le plus dur et donc prendre le risque d’une impasse immédiate. Nous allons négocier les choses négociables, celles sur lesquelles on peut s’arranger, nous allons laisser de côté pour plus tard les questions qui elles sont plus complexes : Jérusalem, les colonies, les réfugiés, l’eau, les frontières et la sécurité. »

Mais la pression était telle - car la majorité écrasante de ce peuple est composée de réfugiés -, qu’ils ont dû inscrire cette question dans le volet dit des négociations multilatérales, présentées de façon très vague au départ, c’est-à-dire des négociations techniques.

Et nous sommes allés à cette ouverture des négociations à Ottawa. À l’époque, nous étions tous à Washington, nous avons constitué une petite délégation et nous nous sommes retrouvés à Ottawa pour l’ouverture des négociations sur les réfugiés.

Dès le départ, une cible était très claire - et là nous avions un peu réussi, malgré le rapport de force extrêmement défavorable, à utiliser une règle que les Américains nous avaient imposée ailleurs et qui s’est retournée contre eux. Les Américains avaient systématiquement accompagné les ouvertures des négociations de ce qu’ils appelaient « les termes de référence », c’est-à-dire un peu la règle de base à partir de laquelle les négociations se mènent. Donc, nous avons dit : il faut le terme de référence de cette négociation, même si elle est purement technique et que la vraie négociation viendra au bout de la période transitoire. Dans notre esprit, l’idée était de poser dès le départ la résolution du droit au retour.

Nous partons de cela, ce que sachant la délégation israélienne n’est pas venue à l’ouverture et nous avons fait l’ouverture sans Israéliens. Et là, ils ont commis une faute dont nous étions en principe les champions, nous les Arabes en général, à savoir la chaise vide, et nous avons réussi à ce moment, en l’absence des Israéliens, à mettre au préambule des négociations multilatérales que les négociations étaient basées sur les termes des résolutions, de toutes les résolutions de l’ONU relatives à la question des réfugiés palestiniens. Donc nous avons réussi non pas à négocier mais à marquer un point de référence qui est vital. Tout tourne autour de cette histoire, est-ce qu’il y a un droit ou pas ? et si on dit qu’il y a un droit, cela va ouvrir l’autre histoire.

Les batailles préalables à des négociations et l’arrêt de celles-ci

Néanmoins à cette négociation intervient une des premières trouvailles américaines. C’est le discours du chef de la délégation américaine qui dit : « Pour négocier sur les réfugiés, il faut quand même qu’on fasse des définitions. Nous sommes réunis pour discuter le cas des réfugiés et les réfugiés sont toutes les personnes qui ont subi des déplacements du fait de la crise du Proche-Orient. » Et il a commencé à donner des exemples : les Kurdes en Irak, les populations du Sud Liban du fait de la guerre civile, les populations syriennes du Golan, les juifs des pays arabes ; tout d’un coup, tout le monde est devenu réfugié. Et il y avait donc au départ dans la reconnaissance de cette résolution comme terme et comme élément de base de la négociation une politique très claire consistant à dire : il y a un problème de réfugiés, il est régional, il n’y a pas de problème palestinien des réfugiés ; il y a un problème comme dans toutes les situations de guerre, les gens bougent - c’est vrai, dans toutes les guerres il y a des mouvements de réfugiés. Subitement, nous étions assimilés à des mouvements de populations. Donc, la première bataille a consisté à casser cette définition qui n’a pas été retenue.

La deuxième bataille s’est faite en présence de la délégation israélienne qui a réalisé que les choses étant faites, il ne fallait plus laisser la place vide. Ils sont venus, dirigés d’abord par Schlomo Ben Ami, lui-même juif marocain (qui est devenu par la suite ministre de Barak) et j’ai réalisé très vite et ça se sentait à des kilomètres, que la totalité de la délégation israélienne était composée de juifs des pays arabes. Et le thème a été : toutes les guerres, tous les conflits provoquent des injustices, nous sommes à égalité dans les torts, les Palestiniens sont partis de chez eux, les Juifs arabes ont été chassés de chez eux, nous avons calculé les pertes de part et d’autre, nous sommes entièrement quitte et la question est réglée. Il y a eu une sorte d’échange de population. Mais une deuxième bataille a été menée sur ce thème et elle a été quand même de nouveau été bloquée.

La troisième bataille, qui était à mon avis politiquement la plus dangereuse, s’est déroulée en Turquie où avait eu lieu une session qui avait coïncidé avec le début de l’installation de l’Autorité nationale palestinienne à Gaza et donc le début de l’émergence d’institutions, de fonctionnaires, de bureaux, etc. Et à ce moment-là - les Israéliens n’ont pas ouvert la bouche sur cette question, car ça aurait été trop gros que ce soit eux qui présentent la demande - la demande a été faite par les Américains et les Canadiens, en tête-à-tête au départ, en tant que délégation palestinienne dès notre arrivée : « Voilà, nous avons des choses très importantes à vous dire. Vous êtes en train de prendre votre pouvoir à Gaza, en Cisjordanie, vous êtes en phase de powerment (Powerment, c’est comme une mise en orbite de pouvoir, vous êtes en train d’être chargé en terme de pouvoir comme on charge une pile) et quand même vous ne pouvez pas, alors que votre pouvoir émerge, supporter l’existence d’un État dans l’État qui a quand même 110 000 fonctionnaires, ce qu’aucun organe ou institution palestinienne n’a. Donc est-ce que vous ne voudriez pas, vous en tant que Palestiniens, réclamer la fin des activités de l’Unrwa maintenant que vous prenez vos affaires en main. Vous êtes en train de faire votre État, votre souveraineté devient réalité et vous n’allez pas vous encombrer de cet organe. »

Parallèlement à cela, c’est exactement à cette période que les États-Unis qui, depuis sa promulgation, avaient voté tous les ans la résolution sur le droit au retour, se sont subitement abstenus. Et l’année qui a suivi, ils ont voté contre. C’était en 1995, à la session de l’Assemblée générale, à l’automne. Tout d’un coup, les Américains ne votent pas et demandent aux États arabes de s’abstenir. Ils savent qu’ils ne peuvent pas leur demander de voter contre mais de s’abstenir.

Alors quel est le deuxième discours qui accompagne celui du pouvoir palestinien qu’il s’agit de consolider ? le deuxième discours, c’est : « Vous ne pouvez pas passer votre vie à vous encombrer de termes de référence qui datent de cinquante ans. Une négociation réelle, créative, se doit d’élaborer et de créer ses propres termes de référence. Vos termes de référence, la négociation sur les réfugiés, vous les rédigerez vous et les Israéliens, vous n’avez plus besoin des résolutions de l’ONU. »

Donc nous avions une attaque double, l’une sur les textes fondant le droit, l’autre sur l’institution dont la permanence disait tous les jours que ce droit n’était pas encore satisfait. Et là, nous nous en sommes vraiment tirés de justesse dans la mesure où ça n’a pas du tout marché au niveau de la délégation. Nous étions quand même complètement dedans, ça n’a pas beaucoup marché au niveau des responsables palestiniens qui, pour la plupart, n’étaient pas encore rentrés en Palestine. Mais il faut malheureusement dire que certains de ceux qui étaient déjà installés avec l’Autorité en Palestine, étaient assez sensibles à ce discours sur la consolidation de leur pouvoir. Et donc nous avons mené là une bataille très difficile puisque nous avons dû contrer et la pression américaine et canadienne et les accords déjà donnés par certains de nos responsables à Gaza. J’ai absolument la conviction que c’est ce qu’il fallait que je fasse.

Et puis les négociations se sont arrêtées sur les réfugiés. Ils ont lancé le fait qu’il fallait maintenant passer aux négociations sur le statut final, que ce n’était plus la peine d’aller en discussions techniques, etc.

Finalement ce qu’il faut tirer de cet épisode c’est que la négociation sur la question du droit au retour des réfugiés palestiniens est très simple. Très souvent des amis ou des connaissances posent la question de savoir : « Mais qu’est-ce que c’est que cette blague des négociations sur les réfugiés ? Vous n’avez eu ni le droit au retour, ni rien dans cette histoire. »

En fait la négociation était bloquée dès le départ sur le fait qu’on n’allait pas aborder la question de l’application du droit. Par contre l’enjeu réel - et je crois qu’on s’en est assez bien tiré - consistait précisément à les empêcher de vider le droit de sa substance. C’est-à-dire que toute notre mission - c’est en tout cas ainsi que nous l’avons comprise - consistait à préserver la question du droit, pour qu’il puisse être négocié dans sa plénitude. Car, si nous avions accepté la disparition du droit, si nous avions accepté qu’il n’y ait plus de termes de référence, si nous avions accepté l’idée que tous les réfugiés étaient interchangeables, si nous avions accepté que la question des indemnités était la question centrale et que les Juifs arabes étant spoliés, les Palestiniens étant spoliés, nous étions quitte, nous serions allés à la négociation finale sur les réfugiés avec un dossier vide. La négociation finale sur les réfugiés serait passée d’une négociation sur le droit à une négociation sur combien ça coûte, combien ça va coûter pour vous reloger, pour vous sortir des camps, pour vous permettre de travailler. Ainsi, toute la bataille a précisément consisté à préserver la possibilité de négocier un jour.

Les propositions palestiniennes
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11 janvier 2009 7 11 /01 /janvier /2009 13:42
Les événements sanglants d’octobre 2000

S’il fallait encore démontrer que les citoyens palestiniens ne sont pas considérés par le gouvernement comme des citoyens à part entière, il suffirait de rappeler le traumatisme le plus récent qu’ils ont subi et qui est en soi particulièrement révélateur.

Le 28 septembre 2000 à la suite de la visite d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem, les Palestiniens ont voulu manifester leur réprobation en protestant vivement contre ce qu’ils considéraient comme une provocation. La police israélienne a aussitôt réprimé très brutalement ces manifestations ; plusieurs Palestiniens ont été tués par balles et de très nombreux autres ont été blessés dont certains très grièvement.

Suite à ces événements qui allaient entraîner une seconde Intifada, chez les Palestiniens israéliens, en Israël même, il y a eu aussitôt un appel à la grève générale et à des manifestations en signe de solidarité avec les Palestiniens des territoires occupés. Ce mouvement qui a démarré quelques jours plus tard, début octobre, a été très suivi car la mobilisation fut particulièrement forte. Dans plusieurs villes, il y a eu des heurts violents avec la police. Celle-ci n’a pas hésité à tirer sur la foule faisant treize morts au total : tous de jeunes Palestiniens israéliens. Ces morts, et la brutalité de la répression dont elles témoignent, ne sont pas dues à une configuration isolée dans laquelle des policiers auraient perdu leur sang froid face à une foule hostile puisqu’elles sont le résultat tragique d’événements qui se sont déroulés en plusieurs endroits à plusieurs jours d’intervalle. Cela signifie que les forces de l’ordre avaient reçu des instructions précises les autorisant à faire usage de leurs armes, ce qui aurait été absolument impensable si les manifestants avaient été des citoyens juifs. Et d’ailleurs le gouvernement (celui d’Ehoud Barak en l’occurrence, avec Shlomo Ben Ami comme ministre de la Police) les a aussitôt couverts.

Les réactions des Palestiniens d’Israël furent très révélatrices de l’immense et profond malaise qu’ils ont ressenti. Beaucoup ont dit en substance que le gouvernement Barak ne faisait plus la distinction entre les populations palestiniennes des deux côtés de la ligne verte. Et, pour prendre une déclaration très significative notamment parce qu’elle émane du fils du grand écrivain arabe israélien Émile Habibi, qui fut pendant toute sa vie le défenseur des droits des Arabes israéliens dans les années 1950, 1960 et 1970, Salad Habibi : « Ces sanglants événements nous ont fait retourner un demi-siècle en arrière ; la classe dirigeante et une partie de la société israélienne nous ont fait comprendre qu’elles ne nous considéraient pas comme des citoyens à part entière. Cinquante-deux ans après la création de l’État, nous restons des ennemis qu’il faut détruire. »

Après ce drame, on aurait pu croire que les autorités israéliennes allaient prendre des initiatives pour tenter d’apaiser la communauté palestinienne afin de la soulager de ce traumatisme qui risquait de déstabiliser aussi, par réaction, l’ensemble de la société israélienne. Non seulement rien n’a été fait en ce sens, mais la situation a encore empiré puisque dans les semaines qui ont suivi de véritables pogroms ont été organisés contre la population palestinienne par des groupes de jeunes israéliens. À Nazareth en particulier, des centaines d’Israéliens venus de Nazareth Illit (la ville nouvelle habitée exclusivement par des citoyens juifs située audessus de la vieille ville arabe) ont agressé des passants et incendié des magasins. Et il a fallu beaucoup de temps pour que la police se décide à intervenir. Il y a eu encore des morts et des blessés. Ce commentaire du journal israélien Haaretz, au lendemain de ces événements, se suffit à lui-même : « Les pogroms de cette semaine ont renforcé le sentiment que notre police est devenue une police raciste engagée seulement dans la défense des Juifs. Elle n’a tiré que sur les émeutiers arabes. »

Ces attaques sont loin d’avoir été soutenues par l’ensemble de la population juive ; des Israéliens juifs sont allés dans les municipalités les plus touchées par ces violences pour affirmer leur solidarité, rencontrer les victimes et dire l’importance qu’ils accordaient au maintien de bonnes relations de voisinage entre les communautés. Pour aller plus loin dans cette volonté d’affirmer l’importance de la convivialité sociale entre Juifs et Arabes, des familles juives ont invité leurs voisins arabes sur le balcon où l’on aménage symboliquement une tente à l’occasion de la fête de la Soukot.

Malgré ces gestes forts, ce malaise est resté et le restera certainement encore très longtemps parce qu’il touche à l’essentiel.

Rien d’étonnant dans ces conditions que ces événements aient alors beaucoup pesé sur l’attitude des Palestiniens israéliens au moment des élections décisives de février 2001 où il fallait choisir entre deux candidats : Ehoud Barak et Ariel Sharon. En général le pourcentage de leur participation électorale est de l’ordre de 70 %. Et là il est tombé à 18 %. Cet effondrement était d’autant plus significatif que les Palestiniens d’Israël étaient parfaitement lucides sur l’enjeu et donc sur le risque de voir Ariel Sharon accéder au pouvoir. La presse arabe le disait clairement. Malgré cela, seuls 18 % des électeurs se sont déplacés ; en 1999, avec une participation normale, l’immense majorité des Arabes israéliens avait voté pour Ehoud Barak contre Benjamin Netanyaou. Déjà ils avaient été très déçus par sa politique à leur égard mais après les événements d’octobre, il n’était plus question de le soutenir et comme ils ne voulaient pas voter pour Ariel Sharon, il ne restait plus que l’abstention qui d’ailleurs signifiait peut-être plus profondément qu’ils ne se sentaient plus concernés par le système politique de l’État d’Israël...

La détérioration de la situation après l’élection d’Ariel Sharon

Après l’arrivée d’Ariel Sharon, la situation des Palestiniens d’Israël s’est encore détériorée car toutes les mesures prises à leur encontre vont dans le même sens : celui d’une marginalisation fondée sur l’idée que cette communauté reste potentiellement dangereuse pour l’État d’Israël surtout dans une période marquée par les attentats suicides du Hamas et une répression systématique de la résistance palestinienne dans les territoires réoccupés de Cisjordanie et de Gaza. Outre ce qu’on a évoqué plus haut à propos des constructions illicites de logements, parmi de nombreux exemples de cette attitude du gouvernement actuel on peut citer la levée, en novembre 2001, de l’immunité parlementaire d’Azmi Bichara, député arabe très écouté et influent, parce qu’il avait tenu des discours publics sur la légitimité de la résistance à l’occupation ou encore le vote d’un texte de loi à la Knesset interdisant à toute person- ne de se présenter aux élections législatives dès lors qu’elle aurait pris position en faveur d’un soutien à l’action de résistance des Palestiniens ; ce qui évidemment ne pouvait viser que des candidats arabes.

Cette suspicion systématique à l’égard de la communauté arabe d’Israël, consubstantielle aux idéologies de la droite et de l’extrême droite actuellement au pouvoir en Israël, est encore avivée par le fait que quelques Palestiniens d’Israël ont pu servir de soutien logistique au Hamas. Le gouvernement n’hésite pas ensuite à pratiquer l’amalgame en stigmatisant une communauté d’où sont venus des terroristes même s’ils ne sont qu’une poignée.

Tout ceci montre à quel point la situation des rapports entre la communauté arabe israélienne et le reste de la société israélienne est très préoccupante ; et d’ailleurs comment pourrait-il en être autrement dans une période aussi tendue et aussi dramatique où chaque jour apporte son cortège de morts ?

Pourtant les Palestiniens d’Israël ne cessent, dans leur majorité, de dire leur appartenance à l’État d’Israël. Tous les sondages le confirment : leur volonté dominante est d’affirmer leur désir d’intégration à la société israélienne, ce qui passe évidemment par une très forte revendication portant sur l’égalité des droits ; pour eux tous les citoyens du pays doivent avoir les mêmes droits, ce qui est loin d’être le cas comme on a pu le rappeler.

Par ailleurs, bien sûr, et surtout dans les circonstances présentes, ils entendent affirmer leur sentiment de solidarité vis-à-vis des Palestiniens des territoires occupés avec cependant une limite difficile à repérer et à tenir : que cette solidarité ne puisse nuire à leur propre situation.

Cet équilibre complexe entre postures et contraintes différentes se retrouve dans leurs appréciations sur l’Intifada et les grandes questions concernant les solutions politiques envisageables dans le conflit israélopalestinien. Ainsi, selon les sondages les plus récents, 2/3 des Palestiniens d’Israël se déclarent en faveur d’un arrêt de l’Intifada ; 15 % souhaitent qu’elle continue. Dans l’hypothèse où cette Intifada devrait continuer, 80 % d’entre eux souhaiteraient qu’elle soit non-violente.

Si un État palestinien était créé, une très nette majorité des Palestiniens d’Israël souhaite conserver sa nationalité israélienne et refuse l’idée de quitter ses lieux de résidence et ses maisons pour aller y vivre. Dans la même perspective, plus de 70 % ne veulent pas que leur village soit annexé à l’État palestinien dans le cas où il se trouve proche de la ligne verte. À l’inverse, il existe donc une minorité, entre 18 % et 30 %, qui répond différemment en acceptant la perte de la nationalité israélienne et le rattachement à l’État palestinien (par déplacement de leur famille ou par l’annexion de la parcelle de territoire sur laquelle ils vivent).

C’est vrai que 18 % sont d’accord avec cette idée qui impliquerait de renoncer à la nationalité israélienne, 18 % accepteraient de passer du côté palestinien d’une manière ou d’une autre, et donc de perdre la nationalité israélienne. Même si cette minorité est loin d’être négligeable il n’en reste pas moins qu’une très nette majorité demeure déterminée à rester vivre dans le cadre israélien et il n’est donc pas surprenant que 70 % des Palestiniens israéliens souhaitent participer à des activités communes avec des citoyens juifs, en disant que ce serait une façon d’améliorer les relations judéo-arabes. Quant aux appréciations sur le gouvernement Sharon (qui au moment de ces sondages comportait encore des ministres travaillistes), elles sont très négatives : 75 % l’estiment mauvais ou très mauvais pour eux ; 20 % médiocre et 4% l’estiment bien.

Cette situation, particulièrement grave, est lourde de drames à venir. À vouloir tant marginaliser les Palestiniens d’Israël et si violemment réprimer la volonté d’indépendance des Palestiniens des territoires, le gouvernement Sharon prend le risque de déstabiliser durablement la société israélienne et de s’éloigner pour longtemps de toute perspective de paix juste dans la région.

Éléments de bibliographie

Doris Bensimon et Egal Errera, Israéliens : des Juifs et des Arabes, Complexe, 1989.

Sabri Geries, Les Arabes en Israël, 1948-1967, Maspéro, 1969.

David Grossman, Les exilés de la terre promise, Conversation avec des Palestiniens d’Israël, Seuil, 1995.

Émile Habibi, Les aventures extraordinaires de Sa’id le peptimiste, roman, Gallimard, 1987.

Claude Klein, La démocratie en Israël, Seuil, 1997.

Laurence Louër, Les citoyens arabes d’Israël, Balland, 2003.

Sites d’ong de palestiniens d’Israël

The Arab association for human rights : www.arabhra.org

Mossawa Center : www.mossawacenter.org

Documents

Liste des villes et villages arabes

Villages non reconnus

La minorité palestinienne arabe en Israël statistiques choisies

[1] Qui sont détaillées en annexe.

Jean-Paul Chagnollaud est professeur de science politique à l’Université de Cergy-Pontoise et il est également le rédacteur en chef de la revue Confluences-Méditerranée. Le dossier d’un des derniers numéros parus est « Israël-Palestine après le 11 septembre ». Confluences-Méditerranée publie également des Cahiers : un des plus récents est le livre d’Uri Avnery, Chronique d’un pacifiste israélien.
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L’Orient le Jour | 18 avril 2008

Saleh Al Naami | 18 avril 2008

PCF | 18 avril 2008

Brahim Senouci | 18 avril 2008

17 avril 2008

Jean-Claude Lefort | 17 avril 2008

Mohammed Omer | 17 avril 2008

Adel Zaanoun | 17 avril 2008

17 avril 2008

Reuters, Afp et BBC | 17 avril 2008


L'AFPS
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11 janvier 2009 7 11 /01 /janvier /2009 13:40
Les Palestiniens d’Israël
Jean Paul Chagnollaud

 

Sommaire :

Quelques points de repères
1948-1966 : le régime militaire
Leur dépossession foncière
Leur lutte politique pour le respect des droits acquis
Après 1967, des retrouvailles difficiles avec les Palestiniens des territoires occupés

Leur statut actuel)
Des citoyens de seconde zone
Les événements sanglants d’octobre 2000
La détérioration de la situation après l’élection d’Ariel Sharon

Éléments de bibliographie

Documents

La vie des Palestiniens d’Israël (ou des Arabes israéliens selon la terminologie israélienne officielle) est un sujet rarement abordé parce qu’on les a oubliés pendant très longtemps et que, d’une certaine manière, cela continue encore aujourd’hui. Ce sont les Palestiniens (environ 160 000) qui vivaient et qui sont restés sur le territoire devenu celui de l’État d’Israël après la guerre de 1948. Tous les autres, contraints de partir pour nulle part, sont devenus des réfugiés au Liban, en Syrie, en Cisjordanie, à Gaza, en Égypte et ailleurs. Les Palestiniens d’Israël sont aujourd’hui environ un million, soit 18 à 20 % de la population totale du pays.

Pour situer les choses on peut commencer par une citation extraite d’un article paru dans le journal israélien Haaretz, écrit par un journaliste palestinien à propos de l’affaire Bichara, ce député arabe israélien qui a vu son immunité parlementaire levée. En quelques phrases simples, il résume, avec une évidente amertume, la trajectoire difficile de toute cette communauté : « Nos parents qui habitaient en Israël dans les années 1950-60 nous faisaient célébrer le jour de l’indépendance d’Israël et votaient pour les partis sionistes ; pour autant ils n’ont pas obtenu l’égalité des droits et, en plus, ils ont eu à souffrir l’humiliation d’être considérés comme des traîtres par le monde arabe... Aujourd’hui notre génération continue d’affirmer que notre État est l’État d’Israël, et que nous voulons donc les mêmes droits que les autres citoyens, mais aussi que notre peuple est le peuple palestinien. »

Ce bref exposé est construit en deux temps : d’abord quelques éléments d’histoire, puis une analyse du statut actuel des Palestiniens d’Israël.

Quelques points de repères

Dans les années 1950, ils sont environ 250 000, soit à peu près 12 % de la population globale, dans un pays où l’immigration juive est alors très importante. Si la grande majorité des Palestiniens est musulmane, il existe une minorité chrétienne importante et, à côté, il y a les Druzes qui constituent environ 10 % de cette communauté arabe. Cette minorité dans la minorité a un statut à part lié à leur très forte identité qu’on retrouve aussi au Liban et en Syrie. Ils affirment leurs différences sur le plan culturel par leurs croyances et leurs pratiques religieuses qui les éloignent des autres courants de l’islam, comme sur le plan politique où leurs positions ont été souvent hostiles au nationalisme arabe. En Israël, cette spécificité a été reconnue dans les années cinquante avec un statut à part qui leur donne une complète autonomie en matière religieuse et familiale ; ainsi, par exemple, ils ont leurs propres autorités religieuses et leurs propres tribunaux ; comme l’ensemble des Arabes israéliens, ils ont la citoyenneté israélienne, mais avec cette différence essentielle qu’ils peuvent faire leur service militaire qu’ils accomplissent souvent dans des unités spéciales comme les gardes-frontières. Ce passage par l’armée est très important car l’accomplissement du service militaire est une condition indispensable pour pouvoir exercer un certain nombre de métiers. C’est donc une possibilité d’intégration sociale que n’ont pas les autres Arabes israéliens. Globalement donc ils sont à part. Récemment le leader de la communauté druze au Liban, Walid Joumblatt, a appelé les Druzes d’Israël à se battre au côté des Arabes israéliens au lendemain des événements de l’automne 2000 durant lesquels plusieurs d’entre eux avaient été tués par les forces de l’ordre au cours de manifestations organisées notamment à Nazareth et il n’a guère été suivi.

1948-1966 : le régime militaire

En dehors des Druzes qui forment donc cette communauté très particulière, les Palestiniens d’Israël ont eu la citoyenneté israélienne en vertu d’une loi de 1952. Pour en bénéficier, il fallait prouver qu’on résidait dans le pays en juillet 1952 ; ce qui impliquait que tous ceux qui avaient été obligés de quitter leurs foyers, dans des conditions souvent tragiques, n’avaient plus aucune existence juridique puisqu’ils n’existaient plus au regard de la loi ! Cet octroi de la citoyenneté permet à ceux qui l’ont obtenue d’exercer normalement leur droit de vote sans qu’il y ait de système de quotas liés à des communautés d’appartenance, comme cela existe, par exemple, au Liban. Dans le système politique israélien, la citoyenneté est donc formellement la même pour tous : chacun peut voter pour la liste qu’il choisit sans entrave et donc aussi bien pour des candidats arabes que pour des candidats juifs.

Au lendemain de la création de l’État, alors même qu’on leur a attribué la citoyenneté, les Arabes d’Israël (comme on les appelait à l’époque) sont considérés comme des ennemis potentiels, comme une sorte de cinquième colonne dont il faut se méfier et qu’il faut donc surveiller de près. C’est ainsi qu’ils vont être soumis à un régime militaire très comparable à ce qui se passait dans les territoires palestiniens avant Oslo (1993) et qu’Ariel Sharon a réimposé, depuis 2001, dans les territoires réoccupés de Cisjordanie et de Gaza. Ce régime militaire s’appuyait sur l’arsenal répressif des ordonnances que les Britanniques avaient utilisées en Palestine à l’époque du mandat dans les années trente et au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Ces ordonnances constituaient en fait une forme de légalisation de l’arbitraire puisque l’autorité répressive avait tous les droits et que les victimes n’avaient pas la moindre possibilité de se défendre. Autant dire que l’armée avait alors tous les pouvoirs. L’idée à la base de l’instauration de ce système tenait donc au fait que les Israéliens considéraient la population arabe comme leur étant hostile. Ce régime militaire se traduisait surtout par l’instauration de zones de sécurité à l’intérieur desquelles de multiples contrôles interdisaient toute forme de libre circulation. Au moins jusqu’en 1963, pour pouvoir se déplacer il fallait donc un laissez-passer octroyé par les militaires. Au début, ces documents n’étaient donnés que pour quelques semaines, puis ils le furent pour quelques mois ; à partir de 1963 ils furent supprimés et, en 1966, le régime militaire fut complètement aboli.

Dans ces zones de sécurité, qui concernaient tous les espaces où vivaient les Palestiniens d’Israël, tout était quadrillé par des barrages et des systèmes de surveillance régulant l’accès à toutes les villes et à tous les villages ; et, bien sûr, la moindre forme de résistance ou de contestation aboutissait à des arrestations arbitraires et à des détentions sans jugement. Un des instruments répressifs les plus utilisés fut l’instauration d’interminables couvre-feux qui condamnaient toute la population d’une ville ou d’un village à rester cloîtrée chez elle vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour des périodes indéterminées. Méthode qui là aussi a été couramment utilisée en Cisjordanie et à Gaza avant Oslo et qui l’est à nouveau depuis la réoccupation des territoires palestiniens par l’armée israélienne.

Cela a conduit à des drames terribles dont le plus connu fut celui subi par les habitants de Kafr Kassem, en octobre 1956 ; Kafr Kassem est un village dont le couvrefeu avait été décrété pour dix-sept heures alors que les villageois n’en avaient pas été tous avertis. Un certain nombre d’entre eux qui rentraient tranquillement chez eux furent ainsi assassinés parce qu’ils étaient encore dans la rue après dix-sept heures. Les militaires présents ont froidement exécuté les ordres pour faire respecter le couvre-feu par tous les moyens, y compris en ouvrant le feu sur les civils ; le bilan a été terrible (une quarantaine de morts) et cela est resté gravé dans les mémoires palestiniennes comme le symbole tragique de leur situation de « citoyens » israéliens. Il est vrai qu’en octobre 1956 il y avait la guerre contre l’Égypte mais ce contexte ne peut en rien excuser ce massacre commis de sang froid d’autant que ces paysans ne représentaient évidemment aucun danger pour les militaires.

Cette affaire dramatique a beaucoup marqué les Palestiniens d’Israël qui déjà, il faut essayer de le comprendre, étaient, pour la plupart, déstabilisés par le choc de l’irruption d’un État qui n’était pas le leur sur un espace qui, par contre, était bien à eux depuis des générations. Les premières années ont été particulièrement mal vécues par cette population complètement démunie des ressources politiques nécessaires pour faire face à une telle situation, inédite et, au sens propre du terme, impensable. Comment, en effet, pouvait-elle imaginer un tel bouleversement alors que jusque-là elle vivait dans un monde familier marqué par le respect de traditions elles-mêmes ancrées dans une culture ancestrale ? Comment pouvait-elle retrouver ses repères dans une société si brutalement désarticulée ?

Leur dépossession foncière

C’est dans ce contexte, que les Israéliens ont aussitôt mis en oeuvre une politique systématique de dépossession foncière en récupérant toutes les terres de ceux qui avaient fui (les « absents » dans le langage juridique consacré) et en confisquant une grande partie des terres de ceux qui étaient restés. Pour atteindre leur objectif, les Israéliens vont utiliser un arsenal juridique très sophistiqué qui va donner à cette dépossession les apparences de la légitimité en enrobant de formes légales les expropriations, les réquisitions et les confiscations organisées de manière systématique qui se sont accompagnées de multiples expulsions. Le point de départ arbitraire est en quelque sorte camouflé par des normes, des références et des décisions juridiques qui lui donnent un aspect présentable au moins pour tous ceux qui sont disposés à « oublier » le point de départ... Les logiques juridiques de ces techniques seront reprises pour confisquer la terre en Cisjordanie et à Gaza essentiellement pour pouvoir y construire des colonies. Cet arsenal normatif est issu des différents systèmes juridiques que la Palestine a connus : celui des Ottomans comme celui des Britanniques.

Parmi les textes les plus significatifs, il faut citer celui de 1950 sur la notion d’absence, une loi assez perverse qui sera reprise et adaptée pour les territoires palestiniens occupés en 1967. L’idée est simple : l’État a le droit de confisquer les terres d’un propriétaire foncier qui n’est pas physiquement présent ; dans ce texte, est considéré comme absent toute personne, citoyen palestinien avant le 1er septembre 1948, ayant quitté son domicile habituel. Bien entendu la loi ne dit rien des raisons du départ et ne prend évidemment pas en compte le fait que beaucoup de ces départs ont été forcés, pas plus qu’elle n’évoque les conditions du retour puisque précisément tout est conçu pour empêcher toute éventualité d’un retour.

Encore plus pervers : le texte frappe d’absence ceux qui sont partis au-delà des frontières pour se réfugier au Liban, en Syrie ou en Jordanie mais aussi ceux qui sont partis ailleurs en Palestine et qui sont alors soupçonnés d’avoir été en rapport avec une des armées étrangères... Bref, la notion d’absence ainsi conçue est une forme très sophistiquée d’épuration ethnique par application de la loi !

Cette loi revient en fait à frapper d’une interdiction de séjour définitive tous ceux qui, vivant sur les terres désormais passées sous contrôle israélien, ont eu le malheur de ne pas pouvoir rester chez eux au moment des hostilités. Ainsi débarrassées « légalement » de leurs habitants, les terres laissées à l’abandon deviennent des terres d’État ; le gouvernement peut alors en faire ce qu’il veut : des colonies agricoles, des villes ou des infrastructures ; une fois encore il faut souligner qu’on retrouvera la même logique juridique en Palestine dans les territoires occupés après 1967 ; la même logique fondée sur la notion de propriétaire absent, notamment pour ceux qui ont traversé le Jourdain parmi lesquels se trouvaient d’ailleurs bon nombre de réfugiés de... 1948.

Cette notion de terres d’État est fondée sur un autre texte dont la base juridique se trouve dans le code ottoman de 1858 qui prescrivait que le sultan était le maître des terres laissées en jachère ; en d’autres termes le sultan pouvait faire entrer dans son domaine foncier, confondu avec celui de l’État, toute parcelle de terre, qui pour une raison ou une autre, paraissait ne pas être exploitée. Concrètement cela signifiait que les terres non cultivées pouvaient passer sous le contrôle de l’État qui en devenait ainsi définitivement le légitime propriétaire. Là encore ce principe a été transposé pour être appliqué en Cisjordanie et à Gaza où, par dérision, les Palestiniens désignent l’administration militaire qui confisque leurs terres comme « le nouveau sultan ».

Autre règle du même type qui a frappé les Palestiniens d’Israël dans les années 1950 : pour pouvoir établir son titre de propriété sur une terre dont on se prétendait propriétaire, il fallait démontrer à l’administration qu’on l’avait cultivée de manière ininterrompue pendant de nombreuses années. Compte-tenu de ce qu’était le cadastre ottoman, très peu de Palestiniens étaient en mesure de réussir cette démonstration. La sanction était implacable : celui qui ne pouvait apporter la preuve de cette propriété n’était donc pas le propriétaire ; la terre devenait alors une terre d’État.

Pouvant ainsi inventer les procédures juridiques comme il le voulait en se parant de surcroît d’une volonté de continuité juridique avec le système de droit ottoman, Israël pouvait alors prétendre que toutes ces formes d’expropriation et de confiscation étaient parfaitement légales...

Autre redoutable concept juridique, cette fois lié au système du mandat mis en place par les Britanniques : les zones de sécurité ; quand l’État estime que tel ou tel secteur est important pour sa sécurité ou plutôt pour la conception qu’il se fait de sa sécurité entendue au sens large, il peut décider de le transformer en une zone militaire qui tombe alors sous son contrôle exclusif ; les personnes qui y habitent se retrouvent alors dans une zone de non-droit où tout devient possible à tout moment : leur expropriation comme leur expulsion.

En résumant il y avait donc trois notions essentielles : l’absence, les terres d’État et les zones de sécurité. Ces notions continuent d’être au coeur du système répressif qui frappe les Palestiniens d’Israël comme ceux de Cisjordanie, de Jérusalem et de Gaza. Elles sont parfois « revisitées » mais les logiques à l’oeuvre jusqu’à aujourd’hui sont analogues.

Derrière tout cela, il y a un enjeu absolument déterminant : faire en sorte que le maximum de terres soit contrôlé par des Israéliens au détriment des Palestiniens avec évidemment l’autre dimension fondamentale qui est celle du nombre : qu’il y ait un minimum d’Arabes ou, en tout cas, qu’ils soient partout en minorité par rapport à la population juive... D’où le principe consistant à renforcer la présence juive partout où les Palestiniens sont en majorité. L’idée qu’il fallait « judaïser » (c’est le terme officiel) la Galilée et le Triangle a vraiment été une obsession des gouvernements israéliens successifs, tous travaillistes de 1949 à 1977 ; et dans cette perspective, de nombreux plans, présentés comme des projets « d’aménagement du territoire », ont été mis en oeuvre. Tous impliquaient de favoriser systématiquement l’installation de populations juives en construisant de nouvelles villes, de nouveaux villages et de nouvelles infrastructures : parmi d’autres exemples on peut citer la ville nouvelle de Nazareth construite juste au-dessus de Nazareth, la plus grande ville arabe d’Israël. Cet effort a été aussi accompagné tout au début, dans les années 1948, 1949, 1950, par de « discrètes » expulsions de populations palestiniennes : des milliers de Palestiniens ont ainsi été expulsés de leurs villages ou des zones où ils s’étaient réfugiés parce qu’il fallait céder la place. Par petits groupes, l’armée israélienne forçait les gens à franchir la ligne d’armistice ; ce qui les condamnait à ne plus jamais pouvoir revenir.

Cet affrontement démographique est sans doute une des explications permettant de comprendre pourquoi le taux d’accroissement naturel des Palestiniens d’Israël a toujours été très élevé comme si on se battait pour l’avenir en faisant beaucoup d’enfants.

Leur lutte politique pour le respect des droits acquis

Au-delà du fait que les Palestiniens d’Israël ont obtenu le droit de vote, la question fondamentale est de savoir s’ils pouvaient s’exprimer comme ils le souhaitaient sur le plan politique.

Pendant des années, leur action politique s’est réduite à l’expression de suffrages en faveur des partis sionistes et principalement en faveur du parti travailliste qui avait su capter les voix des Arabes israéliens en jouant sur le système traditionnel arabe fondé sur les clans et les chefs de famille. Comme la société palestinienne avait alors complètement perdu ses repères et n’avait donc plus la capacité d’avoir une conscience politique autonome, elle s’est laissée logiquement instrumentaliser par le parti dominant qui négociait les ralliements et les votes à travers ces structures sociales traditionnelles. Pour comprendre cette situation il faut essayer d’imaginer ce que fut l’immense bouleversement que ces gens ont subi en 1948 et en 1949. Ils se sont retrouvés soudain dans un système politique qui leur était complètement étranger auquel ils étaient sommés de participer.

À la fin des années cinquante, la situation a évolué et, lentement, une conscience politique a commencé à émerger. Une première génération de militants animés d’une volonté de contestation et de résistance est apparue autour du Parti communiste israélien. En 1958, une petite organisation liée au Parti communiste, le Front arabe, est créée pour tenter de faire valoir les droits des Palestiniens d’Israël. Aussitôt interdite et réprimée, elle a resurgi quelques mois plus tard sous le nom de Front populaire qui était un rassemblement de militants arabes et juifs soutenus par le Parti communiste israélien. Leurs revendications se focalisaient sur les grands thèmes de leur dépossession : la terre, les discriminations et le droit au retour. Ils demandaient l’arrêt de la confiscation des terres et leur restitution à leurs propriétaires ; l’abolition du système discriminatoire qui avait été mis en place et le droit de retour pour les réfugiés. Pour l’État d’Israël, ces exigences avaient un caractère éminemment subversif puisqu’elles s’attaquaient au coeur même de la doctrine sioniste de conquête et de contrôle des terres. Le Front populaire a donc été dissous et ses dirigeants assignés à résidence.

Au début des années soixante, en partant de l’expérience, des difficultés et des échecs du Front populaire, un autre mouvement a tenté de s’imposer : Al Ard (la terre). Ce mouvement a repris les mêmes revendications focalisées autour de la lancinante question de la terre tandis que sur le conflit israélo-palestinien, il se prononçait pour des solutions politiques fondées sur le plan de partage de 1947. Al Ard a connu le même sort que les précédentes formations : la liste qu’il avait tenté de présenter aux élections législatives de 1965 fut dissoute et il fut déclaré illégal par la Cour suprême d’Israël.

Les quelques tentatives d’expression politique autonomes, pourtant très pacifiques, furent donc interdites. Ils étaient bien des citoyens israéliens de seconde zone, des citoyens tolérés par le système à condition qu’ils l’acceptent et ne le contestent pas. Devant l’impossibilité de soutenir des formations directement issues de leur communauté, beaucoup d’entre eux se sont tournés vers la formation politique israélienne qui les soutenait le mieux : le Parti communiste. Celui-ci est secoué par une grave crise qui aboutit, en 1965, à une scission à l’issue de laquelle un nouveau parti, le Rakah, à majorité arabe, va devenir le pôle autour duquel beaucoup se regroupent, d’autant qu’il est animé ou accompagné par des personnalités particulièrement appréciées comme l’écrivain Émile Habibi ou Tawfik Zayad, longtemps maire de Nazareth. L’étude des résultats du vote arabe montre qu’au fil des années, le Rakah obtient de nombreux suffrages au détriment des listes présentées par des partis sionistes : 22 % du vote arabe se porte sur lui en 1961 ; 37 % en 1973 ; 50 % en 1977.

Dans les années 1980 il y a eu un autre courant qui s’est imposé au moins au niveau local dans les élections municipales : celui des islamistes qui ont réussi à s’emparer de la seconde ville arabe d’Israël, Oum al Fahm. Et par ailleurs, d’autres formations issues de la communauté palestinienne ont su s’affirmer et avoir des représentants à la Knesset.

Après 1967, des retrouvailles difficiles avec les Palestiniens des territoires occupés

Dans l’histoire des Palestiniens d’Israël, comme évidemment pour l’ensemble du peuple palestinien et plus largement pour tous les peuples de la région, la guerre de juin 1967 a constitué un tournant décisif. C’est à partir de cette époque que les Palestiniens d’Israël vont enfin pouvoir renouer des contacts avec ceux de Cisjordanie et de Gaza, même si les circonstances de ces retrouvailles sont liées à une nouvelle défaite qui conduit à l’occupation par Israël de toute la Palestine. Au début ces retrouvailles sont particulièrement difficiles parce qu’ils sont considérés comme des Israéliens ou au moins comme des habitants d’Israël qui ont quelque part accepté l’État dont ils sont ressortissants. Ils eurent même parfois à souffrir de l’humiliation d’être considérés comme des traîtres par le monde arabe... L’ambivalence de leur statut en faisait alors des gens rejetés à la fois par les autres citoyens israéliens parce qu’ils n’étaient pas juifs et par les Palestiniens parce qu’ils étaient citoyens israéliens ! Pour résumer ce déchirement, l’un d’entre eux a raconté dans l’un de ses livres qu’on le traitait de sale juif à Naplouse et de sale arabe à Tel-Aviv... Il a fallu du temps, beaucoup de temps, pour que les perceptions et les représentations que le monde arabe avait des Palestiniens d’Israël changent et il n’est pas certain que les choses soient si claires aujourd’hui encore. Ces contradictions expriment bien l’immense difficulté de leur itinéraire : s’ils ont eu la chance de ne pas connaître l’exil, ils ont vu leur société se désarticuler complètement, l’espoir d’avoir leur État s’effondrer et leur identité vaciller de toutes parts.

Leur statut actuel

Après avoir vu ces points de repères dans l’histoire des Palestiniens d’Israël, je voudrais faire quelques remarques sur leur statut et leur situation politique aujourd’hui.

Des citoyens de seconde zone

Première


L'AFPS
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11 janvier 2009 7 11 /01 /janvier /2009 13:40
Seuls contre tous (1971-2002)

Le poids de l’émigration palestinienne

Émigrés ou réfugiés, les Palestiniens de 1948 et de 1967 sont confrontés au refus arabe de leur intégration. Les États arabes se lancent en effet dans une politique de discrimination économique et sociale des réfugiés palestiniens. L’octroi de la citoyenneté des pays d’accueil est très difficile et varie selon les États. Impossible au Liban, il est toléré en Syrie, en Jordanie ou en Irak.

Ces réfugiés palestiniens sont-ils pour autant traités comme des parias ? L’exemple le plus caricatural est l’exemple libanais. Au Liban, les réfugiés palestiniens constituent près de 10 % de la population. Or l’État y organise une politique de discrimination, reprochant aux Palestiniens la responsabilité du déclenchement de la guerre civile en 1975. La politique du gouvernement libanais depuis 1992 consiste à geler la situation des Palestiniens, c’est-à-dire à rendre leurs conditions de vie encore plus impossibles qu’elles ne le sont. En menant une véritable politique d’apartheid, par une mise à l’écart politique, économique et sociale des Palestiniens, le gouvernement libanais cherche à les inciter au départ. Ces derniers ne sont intégrés dans aucun des systèmes sociaux et économiques, n’ont pas le droit de construire ou de reconstruire les camps malgré leur accroissement démographique. Les Palestiniens du Liban n’ont pas non plus le droit de se déplacer, menacés en cas de départ de ne plus pouvoir revenir. Ils éprouvent également des difficultés à obtenir un permis de travail, pourtant obligatoire parce que considérés comme étrangers, et n’ont évidemment pas le droit d’exercer d’activités politiques.

Cette mise à l’écart signifie le refus des autorités libanaises d’une quelconque intégration. Celles-ci font tout pour le démontrer depuis le lancement du processus d’Oslo qui donne aux réfugiés palestiniens un statut très incertain et depuis l’ouverture des négociations de la résolution 194 sur le droit au retour. Les autorités libanaises font donc absolument tout pour que « leurs » réfugiés ne soient pas intégrés au Liban.

L’émigration palestinienne constitue cependant une population de plus en plus importante dont les États arabes sont obligés de tenir compte. Cette population augmente en raison d’une part de l’accroissement démographique plus élevé que celui de la population arabe locale, et d’autre part d’une émigration continue, encore aujourd’hui, notamment dans le Golfe. L’impact de cette population palestinienne sur la société locale reste à analyser, en particulier sur la définition de la politique arabe de ces États à l’égard de la question palestinienne.

Malgré le poids de ces réfugiés palestiniens, malgré les professions de foi pro-palestiniennes devant des publics arabes, la politique des États arabes depuis 1971 vise néanmoins à liquider l’OLP.

Éliminer l’OLP

Éliminer l’OLP

Après la guerre de 1973, les États arabes semblent reconnaître l’OLP. La montée en puissance des pays pétroliers et du Maghreb est un moyen de pression pour les Palestiniens sur les États arabes riverains. Ceux-ci - l’Égypte, la Jordanie et la Syrie - sont directement concernés par la question palestinienne, alors qu’a contrario cette dernière est un moyen d’une solidarité arabe « à peu de frais » pour les États arabes lointains, du Golfe persique ou du Maghreb. Lors du sommet arabe de Rabat tenu en octobre 1974, l’OLP est ainsi reconnue par tous les pays arabes comme le seul et légitime représentant du peuple palestinien sur tout territoire libéré. Il ne s’agit donc plus de réaliser l’unité arabe avant de réaliser l’indépendance palestinienne.

Ces années consacrent l’habileté diplomatique d’Arafat. Fort de son poids dans les opinions arabes, il peut jouer des divisions du monde arabe et monter les différents blocs arabes les uns contre les autres. Cela lui permet de rechercher l’autonomie de décision vis-à-vis des gouvernements. Cette campagne pour une reconnaissance régionale s’élargit à la scène internationale à la suite du fameux discours de Yasser Arafat à la tribune des Nations unies en novembre 1974.

Cette reconnaissance n’exclut pas cependant certains États arabes, comme la Jordanie ou le Maroc du roi Hassan II, de poursuivre une diplomatie secrète avec Israël. Cela n’empêche pas non plus la question palestinienne de rester une question marginale pour les États arabes, malgré le soutien de leurs opinions publiques. La question de Palestine n’est pas le but de guerre des Arabes en 1973, ce n’est pas elle qui entraîne l’Égypte, la Syrie dans la guerre contre Israël en octobre 1973. Si l’Égypte et la Syrie entrent en guerre, ce n’est pas pour libérer la Palestine mais bien pour libérer les territoires syriens et égyptiens occupés par l’État hébreu. Les états-majors syriens et égyptiens ne prévoyaient d’ailleurs aucune offensive au nord du Sinaï.

Le monde musulman montre les mêmes ambiguïtés vis-àvis de la question palestinienne depuis la création de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) après l’incendie de la mosquée d’Al-Aqsa en 1969 par un Australien pro- israélien. L’OCI s’intéresse à la Palestine mais essentiellement à la question de Jérusalem et ne cherche pas à défendre le droit des Palestiniens à une patrie indépendante. Au-delà des discours diplomatiques ou à l’égard de leurs opinions publiques, les États arabes cherchent donc à contrôler ou à écarter, si ce n’est à éliminer l’OLP.

Les États arabes, en particulier les États riverains de la Palestine, cherchent à prendre le contrôle du mouvement palestinien. Cela accompagne la radicalisation idéologique du Baas qui prend le pouvoir dans ces années-là en Syrie et en Irak. En Syrie, s’est constituée la Saïka. Des groupuscules, plus ou moins révolutionnaires, sont aidés par la Syrie afin de contrer la domination du Fatah au sein de l’OLP. Le groupe d’Abu Nidal, Fath-Conseil révolutionnaire, est ainsi manipulé à la fois par l’Irak, la Syrie et la Libye, par opposition à Yasser Arafat. Se constituent donc des organisations vassales aussi bien que des projets d’élimination physique des dirigeants de l’OLP. Certains d’entre eux sont assassinés, comme le représentant de l’OLP à Paris, Ez. Kalak, assassiné en 1978 par le groupe Abu-Nidal inspiré par l’Irak.

L’hypocrisie des États arabes se cache aussi derrière les malheurs palestiniens. L’exemple le plus criant est celui de la chute du camp de Tall al-Zatar au Liban en 1976 après un siège terrible. La guerre du Liban a montré la volonté d’éliminer l’OLP. Lors de l’offensive israélienne de 1982, tout le monde s’oppose au Fatah, contre ce qu’on a appelé le « Fatahland », c’est-à-dire l’emprise de l’OLP dans le sud du pays, Israël en premier, mais aussi les États arabes coalisés de manière tacite contre l’OLP. La question palestinienne est évidemment au coeur de la guerre civile libanaise déclenchée en 1975, bien que ce ne soient pas les Palestiniens qui aient déclenché la guerre. Les facteurs politiques, sociaux et économiques internes ont en effet été décisifs dans une société fragilisée par le conflit régional. Depuis 1975, les forces « palestino-progressistes » affrontent les Kataëb. De facto, en 1982, les maronites de Bechir Gemayel se sont alliés à Israël en faveur d’un Liban chrétien contre les Palestiniens. L’épisode de Sabra et Chatila se comprend ainsi. L’État libanais, qui n’est plus qu’une fiction et qui est contrôlé par les Kataëb, tente de liquider la résistance palestinienne. Avec le siège de Beyrouth-Ouest conduit durant l’été 1982, il cherche aussi à liquider la présence palestinienne au Liban. Il ne s’agit plus seulement des fedayin, qui sont obligés de quitter le Liban, mais aussi de la population civile avec le massacre, le 14 septembre 1982, de Sabra et Chatila. Tout se passe avec la passivité la plus complète des dirigeants arabes.

Cette tentative de liquidation se poursuit avec la guerre des camps. La Syrie utilise une dissidence palestinienne, apparue en mai 1983 et dirigée par Abu Moussa, pour chercher à inféoder le mouvement palestinien. La Syrie lance les dissidents palestiniens à l’assaut des camps de l’OLP, dans ce qu’on a appelé la « bataille inter-palestinienne » de Tripoli à la fin de l’année 1983. C’est la Syrie et non Israël qui pousse Yasser Arafat hors du Liban en 1983. Cette bataille des camps se poursuit à Beyrouth en 1987. Ce ne sont pas alors les Israéliens qui assiègent les camps palestiniens, ni même les chrétiens. Ce sont les chiites libanais, d’abord ceux du parti Amal soutenu par la Syrie, puis le Hizbollah. Rappelons que le siège des camps de Beyrouth a fait plus de huit mille morts !

Faut-il donc s’interroger sur le pragmatisme ou la « trahison » des pays arabes ? Il ne faut cependant pas oublier le poids de la pression américaine, comme le montre le plan de Fès adopté en 1982. Sous les pressions des États-Unis, les États arabes reconnaissent alors pour la première fois la coexistence de deux États en Palestine. La question de Palestine avait été le grand oubli des accords de Camp David. Un deuxième accord-cadre prévoyait pourtant de fixer le sort de la Cisjordanie et de Gaza dans de futures négociations à mener avec la Jordanie et l’Égypte, mais n’envisageait qu’une simple autonomie des territoires palestiniens. En fait, cet accord- cadre n’a même pas été appliqué, car les Égyptiens ne se considèrent pas liés par le volet palestinien, la priorité de Sadate étant de libérer le Sinaï. De toute façon, les Palestiniens se montrent hostiles à cet accord-cadre tout comme les États arabes opposés à une négociation sur la Cisjordanie, les États arabes alliés de l’URSS en premier lieu. L’URSS, ignorée dans le processus de négociation ouvert par Sadate, récuse en effet toute négociation avec Israël.

La défection de l’Égypte reste un coup dur pour l’OLP. Elle marque la rupture de la solidarité arabe. Pour l’OLP, elle représente surtout la perte d’un allié précieux, d’un médiateur auprès des États-Unis. Elle livre enfin pieds et poings liés l’OLP à la Syrie. Cette dernière apparaît comme la championne des intérêts arabes et va utiliser l’OLP à sa convenance. On pourrait évoquer la presse égyptienne au lendemain du voyage de Sadate lancée dans une diatribe contre l’OLP et même contre les Palestiniens « qui ne méritent pas une terre qu’ils ont vendue aux sionistes ».

Dans ces années 1980, l’OLP ne garde que des soutiens marginaux, de la part de la Tunisie, où elle est installée depuis 1982, du Yémen, du Soudan, de l’Algérie ou de la Libye. Elle conserve également l’appui permanent de l’Irak. L’Irak étant le frère ennemi de la Syrie, ce secours est néanmoins coûteux et provoque des pressions accrues de la Syrie sur le Fatah. Tout cela explique finalement le rapprochement de l’OLP avec la Jordanie en 1984, même si celui-ci est interrompu dès 1986, la Jordanie voulant aussi se présenter comme la garante de la cause palestinienne.

À la veille de la première Intifada, le mouvement palestinien est dans une impasse. La Jordanie réaffirme ses ambitions sur la Cisjordanie et présente un plan de développement économique, visant à une coopération économique israélo-jordanienne sur les Territoires occupés. Le royaume hachémite prévoit même d’intégrer au Parlement jordanien les habitants de Cisjordanie et des camps de réfugiés palestiniens et de prendre sous son patronage les immigrés palestiniens du Golfe. Les Arabes se désengagent de la question palestinienne, celle-ci n’est même pas à l’ordre du jour du somment arabe d’Amman en 1987. L’OLP, qui ne peut rien sans la solidarité arabe, se retrouve donc dans une impasse. En même temps, la solidarité arabe se montre tout à fait impuissante si bien que le mouvement national palestinien ne va trouver son salut que dans la société des Territoires occupés. La lutte s’est déplacée de l’extérieur vers l’intérieur.

Le combat pour un État palestinien

Le choc de la première Intifada accroît le soutien des opinions publiques arabes au mouvement palestinien. Il entraîne l’abandon de la Cisjordanie par la Jordanie en juillet 1988. Cela marque une rupture radicale et spectaculaire. Le roi Hussein abandonne ses droits sur la Cisjordanie. Il n’agit cependant pas par angélisme. Ce dernier craint en fait une extension de l’Intifada dans la partie jordanienne du royaume, auprès de la population palestinienne du pays. Il redoute également que l’Intifada ne serve de prétexte aux Israéliens pour procéder à une déportation des populations de Cisjordanie vers son royaume. Cela signifie enfin le refus de la « palestinisation » du royaume : il coupe donc les frontières entre la Cisjordanie et la Jordanie.

Il faudrait aussi évoquer les ambiguïtés de l’islam politique à l’égard de la question palestinienne, du mouvement Hamas ou de l’Iran. Le choc de la première Intifada va conduire en tout état de fait les États arabes à donner quelques gages au mouvement palestinien, comme la reconnaissance de l’État palestinien proclamé lors du dix-neuvième CNP en novembre 1988 à Alger.

Arrive la guerre du Golfe, le monde arabe s’aligne derrière les États-Unis. L’alignement de tous les États riverains de la Palestine dans une grande coalition fondée sur les positions américaines intervient alors que la direction de l’OLP se range aux côtés de l’Irak dans l’espoir, sans doute désespéré, de voir changer la donne régionale. L’OLP estime ainsi par un calcul, peut-être erroné, ne pas se couper de son opinion publique. En réalité, la centrale palestinienne cherche à suivre et non pas à canaliser son opinion. En tout cas, les pays arabes s’engagent dans la coalition américaine en raison d’intérêts particuliers, de leurs intérêts nationaux qui excluent la question palestinienne. La Syrie, par exemple, s’engage aux côtés des États-Unis pour préserver ses intérêts au Liban et obtient de Washington d’achever sa mainmise sur le pays lors de la guerre en Irak. Ce sont donc d’abord des intérêts géopolitiques et de politique intérieure qui expliquent la coalition arabe derrière les États- Unis. La position irakienne est enfin ambiguë. Saddam Hussein montre un soutien tardif, intéressé et assez creux, à la cause palestinienne. Après l’invasion du Koweït, c’est pour lui un moyen facile de diversion.

La guerre du Golfe signifie surtout le rejet par les pays du Golfe des Palestiniens, très nombreux, qui s’y étaient installés. Près de quatre cent mille Palestiniens sont obligés de quitter le Koweït. Ce réflexe xénophobe consacre le rejet de populations immigrées nombreuses, bien installées et appartenant souvent à l’élite du pays. Il signifie la volonté de la part des pays du Golfe, Arabie saoudite et Koweït en premier lieu, qui étaient les deux principaux soutiens financiers de l’OLP, d’asphyxier financièrement les Palestiniens. La manne pétrolière s’arrête autant pour l’organisation de Yasser Arafat que pour l’ensemble de la société palestinienne. Car les exilés ne peuvent plus apporter leur aide à des Territoires occupés affaiblis par quatre années d’Intifada. C’est pour les pays du Golfe un moyen de punir l’OLP et son chef de leur soutien affiché à Saddam Hussein.

L’après-guerre du Golfe marque un peu une période de chacun pour soi. Les négociations de Madrid ne voient pas de délégation palestinienne, mais seulement jordano-palestinienne. Dans l’ensemble, les États arabes montrent ensuite leur hostilité aux accords d’Oslo et tentent pour le moins de gêner, voire de saboter le processus de paix. Les États non- signataires d’un traité de paix avec Israël font en effet tout pour bloquer le processus de négociation israélo-palestinien par peur d’une paix séparée entre Israéliens et Palestiniens. La crainte d’être exclu du marché de la négociation redoutée par tous les États riverains de la Palestine, comme la Jordanie dans un premier temps puis la Syrie et le Liban écartés jusqu’à aujourd’hui, explique les blocages du processus de paix israélo-palestinien.

Il reste toutefois que cette opposition n’est pas l’exclusive des États riverains directement impliqués. La Libye, qui affiche un discours radical, révolutionnaire et anti-Israélien, expulse ainsi les Palestiniens en 1995, à la fois par réflexe xénophobe, par hostilité du général Khadafi à l’égard de l’OLP et par crainte d’un isolement au sein du monde arabe.

Il faudrait conclure sur le silence des pays arabes lors de la seconde Intifada. Celui-ci résulte des pressions exercées sur les gouvernements arabes. Malgré une opinion publique très mobilisée, très hostile à Israël, mais isolée, ceux-ci sont prisonniers de l’alliance américaine et de leurs intérêts économiques. Le silence et l’impuissance arabe se manifestent dans le plan, très ambigu, de la Ligue des États arabes élaboré en 2002 par les autorités saoudiennes. En fin de compte, ce plan semble servir autant à un traité de paix israélo-palestinien qu’à protéger les intérêts de la monarchie wahhabite menacés à Washington par les accusations de l’administration Bush depuis les attentats du 11 septembre 2001. Derrière ce plan, se cachent donc des motivations saoudiennes peu claires et le double jeu de la Syrie qu’ont mis à jour les atermoiements du sommet arabe de Beyrouth. De toute manière, la question de Palestine n’est aujourd’hui pas la priorité des États arabes obnubilés par le dossier irakien.

Conclusion

Le rôle très ambigu des États arabes

Le mouvement palestinien se retrouve aujourd’hui à nouveau dans une impasse, dépendant de l’assistance des pays arabes alors que la solidarité arabe relève plus de la rhétorique que de l’efficacité. Ces États se montrent hostiles au mouvement national palestinien par crainte du discours démocratique et révolutionnaire des Palestiniens face à des régimes autocratiques, comme le dernier sommet arabe de Beyrouth l’a montré. L’intervention d’Arafat, bloqué à Ramallah, a été censurée : le chef de l’Autorité palestinienne n’a même pas pu intervenir par vidéo, soi-disant pour des raisons techniques, en fait à cause de la censure exercée par les Syriens.

La stratégie d’autonomisation du mouvement national palestinien conduite par Yasser Arafat avait semblé triompher avec l’échec de l’arabisme après 1967. L’abandon d’un nationalisme radical visait à instaurer un mini-État de Palestine dans les Territoires occupés de 1967 et indépendant de la tutelle arabe. Cette stratégie explique le choix des Palestiniens de se réorienter, non plus vers la diaspora, mais vers les Palestiniens de l’intérieur lors de la première et de la seconde Intifada. Cela explique aussi le choix du processus d’Oslo. Puisque les diasporas sont sous le contrôle des États arabes, le mouvement national se tourne vers les Palestiniens de l’intérieur. Cette stratégie d’autonomisation semble aujourd’hui en péril avec l’échec du processus d’Oslo et des négociations multilatérales israélo-arabes.

La question palestinienne restera encore et toujours un élément du discours, mais seulement du discours idéologique des États arabes. Cette dernière sert encore aujourd’hui à leur propre légitimité afin de justifier leur propre régime, comme en témoignent quotidiennement les informations télévisées des différents pays arabes.

La question palestinienne restera un instrument politique de ces États dans la région. Les Palestiniens demeureront instrumentalisés par les États arabes tant que les États riverains d’Israël seront impliqués directement par la question palestinienne. Cette tutelle persistera aussi longtemps que les contentieux des États arabes avec Israël ne seront pas normalisés et que la question des réfugiés ne sera pas réglée. Ainsi donc, tant qu’il n’y aura pas d’État palestinien viable, la tutelle arabe pèsera encore.

Voir aussi ces documents sur notre site :

Accords Fayçal-Weizmann (1919)

La Ligue arabe (1944)

Accords libano-palestinien (1969)

Accords jordano-palestinien (1970)

Principales organisations palestiniennes de résistance

Les décisions du sommet arabe de Rabat (1974)

Les accords de Camp David (1978)

Le plan arabe de paix adopté à Fès (1982)

Jérôme Bocquet est enseignant à l’université Paris IV-Sorbonne, chargé de cours en histoire contemporaine et docteur en histoire de l’université Paris I.
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L’Orient le Jour | 18 avril 2008

Saleh Al Naami | 18 avril 2008

PCF | 18 avril 2008

Brahim Senouci | 18 avril 2008

17 avril 2008

Jean-Claude Lefort | 17 avril 2008

Mohammed Omer | 17 avril 2008

Adel Zaanoun | 17 avril 2008

17 avril 2008

Reuters, Afp et BBC | 17 avril 2008


L'AFPS
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11 janvier 2009 7 11 /01 /janvier /2009 13:38
Les États arabes et la question palestinienne
Jérôme Bocquet

 

Sommaire :

La Nakba ou la négation de la Palestine
Des accords Faysal-Weizmann à la Révolte palestinienne de 1936 : la naissance d’une question palestinienne
1948 : un engagement à reculons

La Palestine noyée dans l’arabisme (1949-1970)
La seule voie du nassérisme
La guerre des Six jours
Le temps des fedayin

Seuls contre tous ? (1971-2002)
Le poids de l’émigration palestinienne
Éliminer L’OLP
Le combat pour un État palestinien

Conclusion
Le rôle très ambigu des États arabes

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Les États arabes et la question palestinienne

Depuis la chute de l’Empire Ottoman, le sort du monde arabe est lié à celui de la Palestine, non l’inverse. La Palestine s’est retrouvée en effet au coeur de l’idée d’unité arabe qui a émergé avec la Première Guerre mondiale. Elle est au centre du combat nationaliste arabe depuis l’entre-deux-guerres et en même temps la Palestine n’occupe qu’une place secondai- re face à la priorité des nouveaux États arabes, celle de construire leur propre État.

Une idée répandue dans une certaine historiographie courante et dans la propagande israélienne présente la Nakba provoquée par l’incurie et par le manque de soutien des pays arabes à la cause palestinienne. C’est un débat inapproprié : la Palestine est devenue une question arabe à l’heure du refus d’Israël et au moment où les États arabes se sont crispés dans leur refus d’Israël. Il faut dire aussi que tous les régimes arabes ont été déstabilisés par la défaite en Palestine. Les pouvoirs arabes ont été discrédités et renversés pour la plupart. La jeune génération de ces États, engagés dans une véritable mission contre l’impérialisme, a mis en place des régimes militaires, préparant en quelque sorte la dérive policière de ces États dans les années soixante et soixante-dix. En même temps, la défaite arabe de Palestine a entraîné la naissance et l’utilisation des mythes palestiniens. Ceux-ci ont servi à légitimer, par la suite, les nouveaux régimes arabes. La Palestine fait l’objet de surenchère de la part des pays arabes : c’est un moyen facile de mobilisation nationaliste, en tout cas, un moyen facilement utilisé par les régimes arabes, à l’heure même où les défaites successives des armées arabes conduisent le mouvement palestinien à vouloir s’émanciper de la tutelle des États arabes.

Il y a donc un paradoxe à voir la Palestine au coeur d’un débat politique interne des États arabes et à percevoir d’autre part la montée de l’affirmation d’un projet politique palestinien autonome, ce dernier ayant pour but de se détacher des enjeux régionaux arabes. En fait, le mouvement national palestinien est étroitement dépendant des États arabes depuis la création de l’OLP et jusqu’à l’écrasement actuel de l’Autorité palestinienne. Le processus d’Oslo consacrait le choix d’une stratégie : celle de l’autonomisation du mouvement palestinien par rapport aux États arabes, un choix centré sur le territoire palestinien. L’échec du processus d’Oslo montre peut- être la vanité d’une telle stratégie.

Nous tenterons de montrer l’évolution de la question de la Palestine dans la définition de la politique des États arabes de la Nakba jusqu’à Oslo : des doutes, en particulier de la monarchie hachémite, sur l’existence même d’une question palestinienne jusqu’au consensus apparent sur l’État palestinien.

La Nakba ou la négation de la Palestine

Dans cette première partie, nous ferons un rappel historique nécessaire de la période antérieure à 1948.

Des accords Faysal-Weizmann à la Révolte palestinienne de 1936 : la naissance d’une question palestinienne

La question de la reconnaissance d’une identité palestinienne distincte s’est posée pour les États arabes. À l’origine, la Palestine a été simplement considérée par les arabistes et les partisans de Faysal, le chef de la révolte arabe pendant la Première Guerre mondiale, comme la Syrie du Sud. Faysal revendique la Palestine au nom des engagements des Alliés et comme faisant partie du grand royaume arabe syrien installé à Damas depuis octobre 1918. La Palestine fait même l’objet de revendications territoriales de Faysal. Ce dernier joue des intrigues de la Grande-Bretagne qui a essayé de rapprocher les hachémites et les sionistes afin d’écarter la France du Levant.

Ce sont les négociations entre Faysal et Weizmann, dirigeant de l’organisation mondiale sioniste, opérées à Londres à la fin de l’année 1918. Or, le texte est ambigu parce que la traduction arabe et anglaise diffèrent. Cet accord, signé le 3 janvier 1919, par lequel Faysal cède du lest sur la question palestinienne avec les sionistes, insiste sur la parenté raciale entre Juifs et Arabes et la nécessaire collaboration des Arabes et des sionistes en vue de la réalisation de leurs aspirations, telle qu’elle est prévue par la déclaration Balfour. Dans ces accords Faysal-Weizmann, la question d’un État juif n’est néanmoins pas formulée de manière explicite.

Dès 1920, se pose la question de la Palestine pour les Arabes. Le Congrès syrien de Damas proclame en 1920 l’indépendance de la Syrie avec Faysal pour roi. La Palestine est incluse dans la Syrie arabe et les Palestiniens espèrent une Syrie unifiée sous Faysal qui pourrait les sauver des intérêts et des convoitises françaises et britanniques. On aboutit cependant à la naissance en 1921 de la Transjordanie, séparée de la Palestine, à l’intérieur même du mandat britannique attribuée à Abdallâh. Bien qu’il n’ait récupéré que la Transjordanie, le frère de Faysal vise toujours la Palestine et est prêt à s’entendre avec les sionistes qui revendiquent la Transjordanie comme partie de la Palestine. En octobre 1921, Abdallâh entame ainsi des négociations avec les sionistes et propose même à Weizmann de reconnaître un foyer juif en Palestine en échange d’un trône qui lui serait accordé sur la Transjordanie et la Palestine. De ce moment datent les ambitions hachémites sur la Palestine avec le projet de la Grande Syrie ou « croissant fertile ». Celui-ci engloberait la Palestine et apporterait une solution à la question juive dans le cadre d’une autonomie concédée aux Juifs à l’intérieur d’un grand royaume arabe hachémite. Ce projet suscite évidemment l’inquiétude des autres pays arabes et des hommes politiques palestiniens, syriens et libanais.

On peut dire que dès l’entre-deux-guerres les États arabes ont joué un rôle croissant dans la vie politique palestinienne. À la suite des émeutes de 1929, le mufti de Jérusalem est entré en contact avec les États arabes et le monde musulman. Ben Gourion tente de négocier avec les responsables arabes palestiniens, mais également avec les nationalistes arabes, comme le Libanais Riad al-Solh, fondateur de la République libanaise, en faveur de la création d’une Palestine juive au sein d’une grande confédération arabe. Au moment de la révolte de 1936, les pays arabes, l’Égypte, l’Irak, l’Arabie saoudite, la Transjordanie, s’alignent sur la Grande-Bretagne et poussent les Palestiniens à accepter le fameux Livre Blanc britannique de 1939. Malgré l’écrasement de la révolte palestinienne, les États arabes appuient donc la puissance britannique. La création de la Ligue des États arabes, avec le protocole d’Alexandrie en octobre 1944, s’inscrit dans la même logique. Officiellement chargée de défendre les droits de la Palestine arabe, elle consacre en fait la victoire des adversaires des hachémites. En fin de compte, il s’agit d’un duel entre les monarchies irakienne et transjordanienne et leurs opposants dans lequel la Palestine n’est qu’un paravent. Le seul objectif de l’Égypte dans la création de la Ligue des États arabes est de contrer les ambitions hachémites et d’empêcher une annexion de la Palestine par Abdallâh.

Dès le début, le mouvement national palestinien a donc été mis sous la tutelle des États arabes, comme le montre d’ailleurs le choix en novembre 1945 du premier représentant palestinien à la Ligue arabe par le gouvernement syrien. Le Haut Comité arabe, qui avait disparu à la fin de la révolte arabe, réapparaît de la même manière à la fin de l’année 1945 à l’initiative des Syriens et sous la tutelle de la Ligue des États arabes.

1948 : un engagement à reculons ?

Il n’y a pas d’engagement arabe avant le 15 mai 1948, c’està-dire avant la proclamation de l’État d’Israël. S’il faut faire bien attention à ne pas réduire la première guerre de Palestine, avant le 15 mai, à un simple épisode de la guerre israélo-arabe, il faut bien distinguer deux guerres de Palestine. L’expulsion des Palestiniens est presque achevée avant le 15 mai 1948, donc avant même la proclamation officielle de l’État d’Israël. Elle n’est pas le résultat de la faiblesse militaire des États arabes ou du manque de conviction politique des États arabes. C’est seulement la deuxième guerre de Palestine qui est perdue par les États arabes : ces derniers perdent la guerre de reconquête de la Palestine. Les Palestiniens n’ont donc pas perdu leur terre parce que des régimes arabes « vendus » auraient voulu les abandonner.

Les États arabes, très vite inquiets de la politique américaine, principal soutien au nouvel État hébreu dès 1945, ont néanmoins largement tergiversé. Le nouveau président américain Truman ne respecte en effet pas les promesses de Roosevelt. Les Américains avaient en particulier promis aux Arabes de les consulter avant toute décision concernant la Palestine. Or Truman fait pression sur les Anglais pour accorder cent mille certificats d’émigration aux Juifs d’Europe, en premier lieu aux survivants des camps d’extermination nazis. De la même façon, ils font pression pour la suppression du Livre Blanc britannique de 1939. En face, la Ligue arabe se montre très timide. Préoccupée de la question palestinienne depuis sa fondation, elle revendique un État palestinien unitaire majoritairement arabe, mais elle se montre impuissante en raison des divisions entre les États membres et particulièrement entre la Jordanie, l’Égypte et l’Irak. Le cas du mufti de Jérusalem en est une illustration : celui-ci n’est pas soutenu par la Ligue, alors qu’il fait office de chef du mouvement palestinien. Les États arabes s’opposent vainement au plan de partage de l’ONU du 29 novembre 1947. Les deux Grands - Américains et Soviétiques - imposent le vote. Sur les treize États qui ont voté non, l’essentiel est ainsi constitué des pays arabes.

La Nakba n’est pas le résultat de la faiblesse des forces militaires arabes, mais il ne faut pas occulter le double jeu de la Transjordanie. Le roi Abdallâh voit dans l’affaire palestinienne le moyen de réaliser son projet de grand royaume arabe. Il va utiliser les adversaires du mufti de Jérusalem à cette fin, en affirmant même secrètement aux autorités sionistes son projet d’autonomie juive dans le cadre d’un grand royaume arabe. Au début de l’année 1946, le roi développe l’idée d’un partage à l’amiable de la Palestine entre Jordaniens et sionistes. Il refuse donc tout État palestinien formé sous la direction du mufti de Jérusalem dans le cadre du plan des Nations unies qui prévoyait un État palestinien. En septembre 1947, Abdallâh propose de nouveau aux sionistes un partage à l’amiable de la Palestine que ces derniers acceptent. Les Anglais ne sont d’ailleurs pas opposés à ce projet : celui-ci aurait pu permettre l’entrée de l’armée jordanienne dans la partie arabe de la Palestine le 15 mai 1948, c’est-à-dire à la date de la fin du mandat britannique, les Jordaniens s’engageant à ne pas entrer dans la partie juive de la Palestine. Il y a donc une entente tacite des Jordaniens et des sionistes pour qu’il n’y ait pas d’État palestinien arabe en 1948.

Il faut bien observer d’autre part la faiblesse et l’ambiguïté des autres États arabes. Le mufti ne s’y trompe pas : pour lui dès 1947, l’indépendance de la Palestine arabe passe par la lutte contre les États arabes. Ceux-ci se montrent inactifs face au plan Dalet. L’état-major israélien voulait ainsi faire partir les populations arabes de la partie donnée aux Israéliens dans le plan de partage. Lors de l’épisode de la chute de Haïfa et de Jaffa en avril 1948, les États arabes ne bougent pas. Ce n’est qu’à la fin du mois d’avril qu’ils commencent à réagir face à l’ampleur de l’exode de la population palestinienne. Ils entrent en guerre le 15 mai 1948 à contre-coeur, se méfient des intentions d’Abdallâh et finalement s’engagent dans la guerre, non pour préserver les droits des Palestiniens mais simplement afin d’éviter l’expansion territoriale de la Jordanie. Abdallâh ne souhaite quant à lui qu’un simulacre de guerre visant à justifier les annexions de la Palestine arabe par la Transjordanie. Les divisions des États arabes en mai 1948 expliquent l’absence de coordination entre leurs armées et leur faiblesse face à l’armée israélienne.

Il y a bien eu duplicité d’Abdallâh : il a rejeté tous les plans de la Ligue arabe, a cherché à éliminer toute possibilité d’un État palestinien indépendant et à imposer le fait établi de l’annexion jordanienne. La monarchie hachémite se montre en fait très réaliste face à l’état des forces en présence et ne se fait aucune illusion sur la capacité des armées arabes à résister à celle d’Israël. Le roi de Transjordanie rencontre d’ailleurs clandestinement Golda Meir dès le 10 mai 1948, donc avant même la proclamation de l’État hébreu, pour discuter des frontières futures des États jordanien et israélien. Une fois que l’armée jordanienne s’est emparée de la Cisjordanie en juin 1948, Abdallâh n’a qu’une obsession : mettre fin à la guerre pour préserver à la fois ses annexions et son armée.

Cette défaite s’explique par la faiblesse militaire des États arabes et surtout par leur situation intérieure. En 1948, ces États tout nouvellement décolonisés ne peuvent organiser une intervention efficace arabe en Palestine. L’Irak connaît des désordres politiques et économiques, c’est pourquoi il n’envoie que quelques détachements militaires qui seront placés à Naplouse. L’Égypte connaît des grèves ; son armée est mal équipée après le refus d’accepter l’aide britannique afin de préserver l’indépendance du pays. L’Égypte est enfin confrontée à la situation du canal de Suez où se trouvent encore des troupes britanniques, l’Égypte envoie donc peu de troupes en Palestine. La Syrie, comme le Liban, tout nouvellement indépendants en 1945, n’ont pas de véritable armée, la France n’ayant pas voulu constituer une armée indépendante. En dernier lieu, l’Arabie saoudite dispose d’une petite armée, mais celle-ci est d’abord chargée de maintenir l’ordre dans la péninsule.

Les jalousies entre Égyptiens, Syriens, Saoudiens et même entre hachémites irakiens et jordaniens, expliquent que les Arabes refusent toute médiation et aménagement du plan de partage. Car ils craignent un agrandissement territorial de la Jordanie. Tout ceci explique l’effondrement des armées arabes en 1948 lors de ce qu’on a appelé la « guerre des dix jours ». Pour sauver les apparences, les États arabes installent un gouvernement arabe de la Palestine à Gaza en octobre 1948, reconnu par tous les membres de la Ligue arabe, à l’exception notable de la Jordanie. Mais ce gouvernement est dépourvu de tous moyens et dépend étroitement de l’Égypte. Les Jordaniens répliquent d’ailleurs immédiatement en convoquant un congrès de notables palestiniens à Amman. Le résultat de cette division arabe est l’isolement des forces égyptiennes face à l’attaque israélienne dans le Néguev et le désastre des armées égyptiennes. La Jordanie exploite alors la défaite de l’Égypte pour occuper la région d’Hébron, délaissée par les troupes égyptiennes repliées sur le sud du front. Abdallâh en profite également pour chasser le gouvernement arabe de Palestine, parti s’exiler au Caire, et convoque un nouveau congrès de notables palestiniens à Jéricho afin de voter l’union de la Cisjordanie et de la Transjordanie, le 1er novembre 1948.

Cet ensemble de facteurs explique les concessions, les abandons, les compromissions même des armistices signés par la Jordanie, l’Égypte ou la Syrie en 1949 sur la question de Palestine. Ces armistices consacrent le fait accompli israélien mais aussi arabe et jordanien. La Syrie garde encore le contrôle sur toute une petite bande de territoire au nord de la Palestine. Le chef de l’État syrien, H. Zaïm, arrivé au pouvoir après un coup d’État, proche des États-Unis, propose un traité de paix à Israël en échange de l’annexion de ces territoires palestiniens à la Syrie. Il propose même de rencontrer Ben Gourion et accepte d’accueillir deux cent cinquante mille réfugiés palestiniens pour prix de ces territoires. Le refus d’Israël de négocier anéantit ces projets.

Dès 1949, les États arabes pouvaient donc chercher à négocier un accord avec Israël en dépit de la perte de la Palestine, en profitant du fait que les forces nationales palestiniennes étaient détruites, que la population palestinienne était placée sous le contrôle de l’autorité militaire israélienne ou de la police des États arabes, jordanien et égyptien. Cela signifie que dès 1949, les États arabes ont accepté l’existence de l’État d’Israël et l’installation des réfugiés palestiniens dans leurs États, en échange de quelques concessions territoriales que pourraient leur faire les Israéliens, même si ces derniers n’ont jamais cherché à négocier.

Il faut cependant se garder d’une vision trop schématique : les États arabes eux-mêmes ont été bouleversés par la défaite de Palestine. Celle-ci a radicalisé la politique intérieure des États arabes, en particulier en Syrie et en Égypte. Les régimes ont été discrédités : le roi Farouk en Égypte ou les gouvernements libanais et syriens issus de l’indépendance. La défaite a vu le triomphe des mouvements radicaux ou nationalistes, comme les Frères musulmans par exemple en Égypte. Les notables qui étaient au pouvoir depuis 1945 en Syrie ou en Égypte ont été écartés parce qu’ils avaient négligé l’armée. Les officiers qui avaient combattu en Palestine ont rejeté la faute de la défaite sur ces classes dirigeantes qui avaient obtenu l’indépendance contre la France ou la Grande-Bretagne. Puisque la défaite de Palestine entraîne de facto la montée de l’armée dans la vie politique ainsi que des minorités musulmanes en son sein, l’armée va provoquer des bouleversements politiques dans ces États. En Syrie, la défaite de Palestine entraîne ainsi en mars 1949 le premier coup d’État militaire.

Une autre conséquence de cette défaite est le choix de négocier avec Israël de manière séparée. Dès 1949, la Syrie du président Zaïm, cherche ainsi à rencontrer Ben Gourion pour négocier un traité de paix séparé avec Israël. C’est surtout le cas de la Jordanie qui craint par-dessus tout que le combat des mouvements palestiniens s’étende au-delà de la frontière de la Cisjordanie et atteigne le royaume jordanien. D’autre part, Abdallâh veut absolument intégrer la population palestinienne dans son royaume et cherche à négocier avec les Israéliens. Cela devait lui coûter la vie. Alors qu’il devait rencontrer les Israéliens à Jérusalem le 20 juillet 1951, il est assassiné auparavant à la mosquée d’Al-Aqsa. L’échec d’Abdallâh prouve que toutes les formes de compromis avec le mouvement sioniste sont inutiles puisque Israël refuse toutes les concessions proposées plus ou moins secrètement par les Arabes.

Dernière conséquence à long terme pour les États arabes : la question des réfugiés est omniprésente depuis 1949 au sein des États arabes. Ceux-ci reconnaissent de facto le plan de partage lors de la conférence de Lausanne de 1949. En échange du droit de retour, que les Israéliens refusent, les Arabes se montrent très conciliants sur l’accueil des réfugiés palestiniens. Les Syriens se disent prêts à accueillir trois cent mille réfugiés, l’Irak trois cent cinquante mille, des propositions finalement très proches de celles des États-Unis qui envisageaient l’installation d’environ cinq cent mille réfugiés dans les États arabes. L’Égypte ou la Jordanie multiplient les contacts secrets avec Israël. Les États arabes proposent à Israël de reconnaître l’État hébreu et d’établir des relations de bon voisinage en échange de concessions territoriales favorables aux États arabes au détriment des droits des Palestiniens et du territoire accordé à la Palestine dans le plan de partage de l’ONU. La Jordanie songe à un corridor qui aurait rejoint la Jordanie à la Méditerranée et l’Égypte à l’extension de son territoire jusqu’à la mer Morte.

L’intransigeance d’Israël empêche à nouveau la réalisation de ces projets et explique que les États arabes renoncent à tout accord avec l’État hébreu. La crainte de heurter les opinions publiques arabes, de plus en plus hostiles à des relations avec Israël, les pousse également. Mais les États arabes se retrouvent dans l’incapacité de faire face aux flots de réfugiés palestiniens qu’ils ont eux-mêmes accueillis. Ces États, tout nouveaux, ne peuvent offrir des services sociaux de santé ou d’éducation à ces réfugiés et sont contraints de faire appel à des aides extérieures, notamment des Nations unies, comme l’UNRWA. Ces réfugiés connaissent une faible intégration dans les sociétés arabes, facteur de déstabilisation ultérieure de ces pays.

Dans une deuxième partie, nous verrons comment la question de Palestine a néanmoins fait partie du discours arabiste et idéologique des pays arabes, mais est restée essentiellement un élément du discours arabe.

La Palestine noyée dans l’arabisme (1949-1970)

La seule voie du nassérisme

suite

La seule voie du nassérisme

La Palestine n’a pas eu d’autre choix que de suivre Nasser et la voie du nassérisme. Le rapport entre les États arabes et la question palestinienne reste d’abord l’occupation, il ne faut pas l’oublier, de la Palestine arabe, Cisjordanie et Gaza, par des États arabes. Les intérêts stratégiques des États arabes l’emportent avant tout, c’est-à-dire pour la Jordanie, la création d’un corridor pour la Méditerranée, pour l’Égypte la question du canal de Suez. Les discussions sur un accord de non-agression avec Israël prévalent avant tout autre considération palestinienne.

Cela explique la question de la Cisjordanie annexée officiellement le 24 avril 1950 par le Parlement jordanien. La Ligue arabe reconnaît de facto cette annexion, bien que cela ne soit pas une reconnaissance de jure, de droit. En fait la Ligue prend la décision de considérer la Palestine rattachée à la Jordanie comme un dépôt à restituer quand la Palestine sera libérée... Et le gouvernement arabe de Palestine disparaît à cette occasion. De même pour Gaza, l’Égypte cherche à contrer les ambitions du mufti de Jérusalem et à imposer son autorité sur tous les territoires contrôlés par l’Égypte.

Les forces politiques palestiniennes sont réprimées, non par les Israéliens, mais par les forces policières et militaires arabes, en premier lieu en Jordanie. Toute la politique hachémite repose sur la volonté d’intégrer les Palestiniens à l’État jordanien. L’État hachémite cherche à empêcher, en particulier, les infiltrations de commandos palestiniens en Israël pour éviter des représailles israéliennes de plus en plus sévères, en particulier la fameuse unité 101 commandée par le général Sharon, auteur d’un massacre en octobre 1953 à Kibya. Et donc, afin d’empêcher ces représailles israéliennes, la Légion arabe met en place une répression de plus en plus sévère contre les Palestiniens. La répression en Jordanie est efficace mais d’un autre côté, elle aliène les Palestiniens qui accusent les Jordaniens de collaboration avec Israël : c’est donc l’échec de la politique d’intégration et d’assimilation des Palestiniens au royaume hachémite qui visait à la naturalisation, à l’octroi de passeports et à l’intégration dans l’administration jordanienne.

La conséquence directe de cet échec est le maintien d’une identité palestinienne distincte de l’identité arabe jordanienne avec l’adhésion des Palestiniens aux partis d’opposition progressistes jordaniens par opposition à la politique de Hussein, comme le Baas, le Parti communiste, le Parti socialiste national ou encore les partis nassériens. Cet engagement s’oppose en tout cas aux choix pro-occidentaux de Hussein, qui s’est lancé de 1952 à 1957 dans une répression des partis politiques et des mouvements palestiniens. Hanane Ashraoui raconte bien dans son livre, La Paix vue de l’intérieur, comment son père qui militait dans un parti politique jordanien a été arrêté, mis en prison, par l’armée jordanienne en 1957, comment elle a vécu cette injustice de la répression jordanienne.

Il faut donc voir les faux-semblants de l’union arabe derrière la cause palestinienne. La Palestine est tout à la fois le théâtre des rivalités arabes et le champ de la radicalité arabe. Le contentieux israélo-syrien sur la Palestine est ainsi révélateur des ambitions syriennes. D’un côté la Syrie proclame son soutien à la cause palestinienne, et d’un autre côté, elle propose de négocier secrètement avec Israël, de partager les zones frontalières contestées et de renoncer à une partie de la terre de Palestine contre l’accès aux eaux du Jourdain.

Tandis qu’on observe la radicalisation du discours des dirigeants arabes, qui dénoncent la politique du fait accompli d’Israël, le discours n’aboutit pas à un soutien du mouvement national palestinien. Or ce discours ne se radicalise en fait qu’après le refus israélien de négocier avec les États arabes. Les véritables contentieux israélo-arabes ne concernent en réalité pas la Palestine. Ce sont les litiges nés de la deuxième guerre de Palestine, comme le Néguev, le Golfe d’Aqaba, les eaux du Jourdain, le canal de Suez et les zones démilitarisées, mais point la question de Palestine.

La question de Palestine reste néanmoins intégrée dans l’arabisme, mais cet arabisme est exclusif : il n’y a pas de question palestinienne proprement dite. Pour le parti Baas, la question palestinienne n’est qu’un tout petit aspect du combat révolutionnaire. Le régime baasiste syrien, qui prend le pouvoir en 1963, est un régime belliciste et va ainsi utiliser la question de Palestine dans son programme révolutionnaire.

Les années 1950-60 voient le triomphe de l’idéologie nassériste dans tout le Proche-Orient. La politique arabe de Nasser s’appuie sur une organisation politique palestinienne, mais pronassérienne, le MNA, le Mouvement nationaliste arabe, fondé par Georges Habache. Ce mouvement qui refuse toute conciliation avec Israël, est tourné vers la diaspora palestinienne, mais n’est pas un organisme proprement palestinien, mais panarabe. Pour ce mouvement, la lutte de libération de la Palestine doit passer par la réalisation de l’unité arabe. La libération de la Palestine est donc renvoyée à un futur très lointain. Le MNA fait bien sûr le jeu de l’Égypte. L’attitude de la République arabe unie (union de la Syrie et de l’Égypte en 1958) sur la question palestinienne est explicite. Alors que le mufti de Jérusalem propose à Nasser le rattachement de la Palestine à la République arabe unie en février 1958, ce dernier refuse, car il nie toute représentativité du mufti de Jérusalem et du Haut-Comité arabe. En fait Nasser ne veut pas créer un gouvernement palestinien en exil, il veut seulement disposer d’un organe palestinien soutenant sa politique au Proche-Orient. De même, Nasser refuse l’instauration d’une République palestinienne proposée par l’Irak en 1959. Cette république aurait due être instaurée sur l’intégralité de la Palestine, mais elle aurait dénoncé l’administration égyptienne sur Gaza, tout comme elle aurait dénoncé l’administration jordanienne sur la Cisjordanie. Nasser refuse également la constitution d’une armée de libération palestinienne (ALP) constituée en Irak et contrôlée par celui-ci.

La Palestine est clairement une cause de discorde entre pays arabes : opposition entre l’Irak, l’Égypte, la Jordanie. Chacun propose une organisation, une structure palestinienne inféodée pour contrer le projet rival, soit de la Jordanie, soit de l’Irak, soit de la Syrie, soit de l’Égypte. C’est par exemple le projet syrien d’une Union nationale palestinienne créée pour répondre à la République palestinienne proposée par l’Irak. D’autre part, l’Égypte et la Jordanie essaient de contrer toute manoeuvre arabe qui vise à dénoncer l’occupation égyptienne ou jordanienne de Gaza ou de la Cisjordanie. De fait, la Ligue arabe est totalement paralysée, même si la question palestinienne revient à l’ordre du jour de chaque sommet arabe.

Avec la création de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) en 1964, dirigée par Ahmed Shuqayri, un proche de Nasser, Nasser cherche à canaliser la résurgence d’un mouvement nationaliste palestinien, issu de la génération des camps, donc contemporain de Yasser Arafat. Il souhaite freiner l’affirmation d’une personnalité palestinienne autonome des États arabes et ne pas compromettre les intérêts politiques égyptiens et arabes. C’est aussi la création de l’ALP (Armée de libération de la Palestine) constituée de contingents militaires palestiniens intégrés dans les différentes armées arabes. L’OLP ne revendiquant pas une responsabilité directe sur la bande de Gaza et sur la Cisjordanie, elle ménage ainsi l’Égypte et la Jordanie. L’OLP se contente en fin de compte d’un extrémisme verbal, ce qui n’est pas sans la discréditer aux yeux des Occidentaux.

Cette tentative de contrôle n’empêche toutefois pas la montée en puissance d’une résistance palestinienne plus radicale, de la part du Fatah ou même du MNA de Georges Habache en cours de réforme. Cette résistance prend peur devant les tentatives de contrôle égyptiennes. Le Fatah en particulier va chercher l’aide de l’Algérie de Ben Bella et s’oppose à tout caractère antirévolutionnaire de l’OLP. Le MNA va même acquérir une tournure marxiste-léniniste et tenter de prendre le pouvoir au Sud-Yémen. Ces mouvements radicaux mènent le combat contre Israël et aussi contre les États arabes. L’émergence d’une résistance militaire palestinienne distincte de l’OLP suscite donc une compréhensible inquiétude et l’hostilité de ces États.

Conséquence imprévue par les États arabes, cette résistance radicale va les contraindre à radicaliser leurs discours, alors que la création de l’OLP par Nasser visait au contraire à contrôler le mouvement palestinien afin d’éviter tout risque de guerre avec Israël. Et, paradoxe, la montée en puissance de ces mouvements va pousser les États arabes, en particulier la Syrie et l’Égypte, à provoquer l’État hébreu et à favoriser des risques croissants de guerre devant aboutir à la guerre des Six Jours.

La guerre des Six Jours ou l’échec annoncé de l’arabisme

La surenchère des pays arabes sur la question palestinienne, de la part de la Syrie, de l’Égypte, de l’Irak, va servir de justification aux yeux d’Israël dans sa guerre préventive en juin 1967. La radicalisation de la politique syrienne depuis l’arrivée au pouvoir en 1966 de la frange la plus radicale du Baas, appelée néo-Baas, qui soutient les organisations militantes palestiniennes, en est largement responsable. La Syrie incite les intrusions de combattants palestiniens en Israël, au détriment des États voisins, comme la Jordanie ou l’Égypte. La Syrie souhaite le rapprochement avec l’Égypte de Nasser par opposition aux régimes arabes conservateurs, c’est-à-dire la Jordanie. La guerre est donc devenue inévitable à cause de la surenchère arabe. Cette dernière va justifier a posteriori la guerre israélienne. Les déclarations bellicistes du président de l’OLP, Shuqayri, sont notamment remarquées. Celui-ci appelle à jeter les Israéliens à la mer et pousse les Arabes à la surenchère. Une partie des Jordaniens est ainsi hostile à une neutralité à l’égard d’Israël en premier lieu par peur d’une guerre civile dans le royaume, si ce dernier ne soutient pas les Palestiniens dans les guerre contre Israël.

Cette situation aboutit au désastre de juin 1967, alors que les dirigeants arabes, hormis peut-être les Syriens, les plus radicaux, étaient persuadés de la faiblesse de leurs armées et de l’impossibilité de reconquérir la Palestine. Le roi Hussein le montre en retirant ses armées de Jordanie en vingt-quatre heures, pour se replier en Transjordanie afin de protéger la partie Est du royaume au détriment de la Cisjordanie. En fait, Hussein est entré en guerre contre Israël uniquement pour éviter les accusations de trahison. Il n’avait pas non plus une grande confiance dans les assurances israéliennes. Les dirigeants hébreux lui avaient en effet répété au début de la guerre des Six Jours qu’Israël n’attaquerait pas la Jordanie.

La première conséquence de ce désastre arabe est une radicalisation encore plus grande des Arabes sur la question de Palestine, le refus de capituler contre toute promesse, même contre celle de restituer tous les territoires occupés en 1967 par les Israéliens. Pour la Syrie, gouvernée par un gouvernement révolutionnaire, la cause palestinienne est une composante de l’action arabe et soutient donc les fedayin palestiniens, bien qu’à l’intérieur de la Syrie, les Palestiniens soient très sévèrement contrôlés.

Le refus arabe sur la question de Palestine est consacré lors du sommet arabe de Khartoum en août 1967 : conciliation des progressistes et des conservateurs dans un front uni contre Israël, refus d’Israël, réaffirmation des droits palestiniens sur leur pays. Mais ce refus d’Israël s’explique aussi par des mobiles de politique intérieure arabe. Ce refus clairement affiché de céder sur la Palestine n’exclut pas des divisions, des compromis. La résolution 242 est ainsi approuvée par l’Égypte, la Jordanie et le Liban contre l’avis des Syriens et des Palestiniens pour qui la résolution 242 ne perçoit les Palestiniens que comme des réfugiés. D’autres États arabes, comme certains pays du Golfe ou le Maroc, sont enfin prêts à des compromis avec Israël malgré la question palestinienne. À Khartoum, le Maroc s’oppose très vivement à l’OLP et cherche à l’expulser du sommet avant de se montrer prêt à des compromis avec Israël.

Le temps des fedayin

La nouvelle OLP

L’OLP passe sous contrôle du Fatah, c’est-à-dire contre la tutelle arabe : l’OLP s’émancipe des États arabes. Certains notables de Cisjordanie demandent même alors aux nouvelles autorités militaires israéliennes la constitution d’un État palestinien dans les territoires occupés par opposition à la Jordanie. Sans aller jusque-là, l’OLP, bientôt sous le contrôle du Fatah, vise à la revendication, non pas d’une unité arabe à long terme, mais d’un État démocratique de Palestine. Dans cette Palestine laïque et révolutionnaire, musulmans, chrétiens et juifs seraient à égalité. Cette revendication de l’OLP passe par l’action des commandos palestiniens de plus en plus prestigieux dans les opinions publiques arabes, surtout après la déconfiture des armées arabes qui ont été écrasées et dont les images ont fait le tour du monde. L’épisode du camp de Karameh, village jordanien où l’armée israélienne a rencontré en mars 1968 une résistance imprévue des fedayin, est à ce titre fondateur.

Les organisations combattantes palestiniennes entrent dans l’OLP et amendent la charte de l’OLP en 1968, en donnant la priorité à la lutte armée pour la libération de la Palestine dans le combat anti-impérialiste. Celle-ci est maintenant également dirigée contre les États arabes conservateurs. L’OLP devient le représentant politique du mouvement palestinien, un quasi-État avec ses propres services de santé, d’enseignement, etc. Pour ce faire, il dispose de l’aide financière considérable, non pas des États arabes riverains, mais des monarchies pétrolières du Golfe. À un moment, l’OLP est même autorisée à prélever un impôt sur tous les Palestiniens vivant dans le Golfe. Ces monarchies pétrolières agissent par nationalisme arabe, mais aussi par souci de contrôler le mouvement palestinien dans la ligne, plus modérée, de Yasser Arafat.

Cette prise de contrôle entraîne évidemment l’inquiétude des États arabes qui s’alarment de l’indépendance du mouvement palestinien. Il reste que l’OLP est une organisation plurielle, qui n’est pas construite sur le modèle du FLN, modèle monolithique. Le jeu des alliances et des oppositions des organisations palestiniennes à l’intérieur de l’OLP est donc encouragé par les États arabes qui manipulent les scissions, voire la création de succursales dans les États. La plus connue est la Saïka. Émanation du Baas syrien, elle suit le programme révolutionnaire arabe général avec le soutien du gouvernement syrien. Elle représente un outil de la politique syrienne au Proche-Orient en Jordanie, au Liban ou auprès des Palestiniens. De même, l’Irak crée en 1969 la FLA, la Force de libération arabe, émanation du Baas irakien.

Les États arabes s’inquiètent de la rhétorique révolutionnaire de l’OLP. Celle-ci menace leur propre régime, en même temps que l’intégrité de la région à cause des représailles israéliennes. Depuis 1967, l’Irak stationne des troupes en Jordanie et aide les Palestiniens contre l’armée jordanienne.

Cette situation suscite des tensions croissantes avec les États arabes, victimes des représailles israéliennes, comme la Jordanie ou le Liban. L’État libanais est même de plus en plus incapable de contrôler les camps palestiniens. Au Liban, la médiation de Nasser aboutit aux accords du Caire en novembre 1969. Ces accords légitiment la présence armée et la guérilla palestiniennes au Liban. Cette médiation de Nasser va échouer en revanche en Jordanie en septembre 1970, mais dans un tout autre contexte, celui de Septembre noir.

Septembre noir marque le désaccord grandissant entre les États arabes et la résistance palestinienne. Le mouvement palestinien est en effet hostile au cessez-le-feu négocié avec Israël après ce qu’on a appelé la « guerre d’usure » entre 1969 et 1970. En fait, le roi Hussein est disposé à liquider la résistance palestinienne. Les heurts avec les résistants du FPLP de Georges Habache se multiplient, ce dernier combattant autant Israël que les forces « réactionnaires et les traîtres arabes ». Le détournement des avions à Zarka près d’Amman va lancer les armées du roi Hussein contre les Palestiniens. Le pouvoir hachémite fait détruire les forces armées palestiniennes, bombarder les camps, faisant de très nombreuses victimes palestiniennes (plus de trois mille cinq cents morts). Les Palestiniens sont abandonnés : demi-échec de la négociation de Nasser, qui meurt d’ailleurs à ce moment-là, impuissance et même neutralité pro-jordanienne des troupes irakiennes stationnées en Jordanie, qui auraient dû appuyer les Palestiniens. L’armée syrienne intervient, dans un premier temps, en Jordanie pour soutenir les Palestiniens, puis recule dans des conditions peu glorieuses. Le massacre des Palestiniens en Jordanie se prolonge par la mort de cinq mille fedayin à ‘Ajloun en juillet 1971. Cela va entraîner a contrario la révolte des commandos palestiniens de Septembre noir et l’assassinat, par exemple, du Premier ministre jordanien en novembre 1971.

Seuls contre tous (1971-2002)

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11 janvier 2009 7 11 /01 /janvier /2009 13:38
suite

Remarquons aussi que la position arabe a été de refuser d’entrer dans le jeu du mandat parce que, dans la structure même du mandat, l’Agence juive avait des pouvoirs.

Entre 1922 et 1947, la position arabe a toujours été qu’il n’y avait pas à discuter puisque la Palestine est une terre arabe et que l’État doit être arabe. Les leaders palestiniens n’ont donc pas perçu le rapport des forces. Je pense - mais on peut le discuter - qu’ils n’ont pas su jouer le jeu qui leur aurait permis de s’intégrer dans le mandat et d’y affirmer, justement, leurs droits politiques. Leur politique a été celle du tout ou rien ; politique fragilisée, de surcroît, par la division entre les deux clans palestiniens : le clan Husseini et celui des Nashashibi, ce dernier étant plus proche des Britanniques. Ceux-ci ont donc pu jouer de ces contradictions. Hajj Amin al- Husseini était le leader du Haut Comité arabe. Menacé par les Britanniques, il s’est enfermé, en 1936, sur l’Esplanade des Mosquées ; encerclé, il parvient à s’enfuir et se réfugie dans le mandat français.

Cette politique arabe avait sa logique : il s’agissait de dire que la Palestine voulait un État comme en Transjordanie, au Liban, en Syrie et en Irak ; mais l’inconvénient était de ne rien accepter. Les sionistes avaient une politique plus habile, renforcée par une immigration très importante à partir de 1933.

Je crois aussi que la question des « droits politiques » a été mal comprise. Que signifient-ils pour la société palestinienne des années vingt et trente ? La société palestinienne de 1920 est féodale, très largement analphabète. Les notions de droits politiques, de fonctionnement démocratique, sont très éloignées de la réalité sociologique concrète. Ces concepts sont étroitement liés à la construction d’un État moderne. Pour les immigrants juifs qui sont surtout des cadres, ils ont, par contre, une signification évidente.

Ce que j’ai dit de la Palestine est aussi vrai pour la Transjordanie ou l’Irak. Par exemple, en 1920, en Irak, les Britanniques ont organisé un référendum sur le mandat britannique. Les chefs des tribus ont fait voter les clans. Dans une structure tribale, où la population est analphabète, le référendum n’a pas de sens.

J’ai le sentiment que, dans la gestion de ce drame, les dirigeants palestiniens ont perdu un certain nombre d’occasions. Mais, au lendemain de la Première Guerre mondiale, d’autres aussi ont connu l’échec : par exemple, les Kurdes, pour des raisons assez proches, mais aussi, pour des raisons plus complexes, les Arméniens qui, à demi paralysés par leurs contradictions, furent écrasés d’un côté par les Soviétiques et, de l’autre, par les Turcs.

Prenons un autre exemple, celui des Turcs. Les accords Sykes-Picot avaient prévu le dépeçage de la Turquie puisque la Cilicie devait être sous influence française et que toute une partie du territoire allait être confiée aux Arméniens car le président Wilson avait arbitré en faveur des Arméniens. Mais cela ne s’est pas réalisé, pourquoi ? Parce que le nationalisme turc a une tradition étatique héritée de l’Empire ottoman. Ils ont organisé une résistance nationale qui a balayé les prétentions arméniennes, l’arbitrage wilsonien et l’armée française. Cette armée, commandée par le général Gouraud, a été obligée de se retirer de la Cilicie. J’en conclus que les Arabes n’avaient pas vocation à perdre comme cela s’est produit. Mais ils ont perdu partout, à Damas, en Irak et je m’interroge sur ce rapport des Arabes à l’échec.

Un participant  : Au sujet de la révolte des Arabes de Palestine entre 1936 et 1939, est-ce que certains notables négociaient avec les Britanniques ? Est-ce que des objectifs politiques avaient été exprimés ?

Jean-Paul Chagnollaud  : On retrouve tout le temps, exprimé de différentes manières, une double revendication, l’une négative et l’autre positive. La première porte sur l’arrêt de l’immigration juive et l’arrêt des ventes de terres ; la deuxième porte sur un État indépendant. C’est vrai pour la période 1936-1939. Au départ, on a des groupes armés dont l’enracinement est strictement local mais, au cours des combats, une structuration territoriale apparaît ; je préfère dire territoriale plutôt que nationale. Un comité coordonne les luttes au niveau global et leur donne le sens d’une lutte nationale, même si la société reste très segmentée. Les Nashashibi n’ont pas du tout participé à la révolte ; il reste donc des contradictions importantes et la révolte échoue. Bien des hommes qui s’étaient imposés comme leaders ont été tués dans les combats ou ont été assassinés. Si bien qu’en 1946-1947, on ne trouve plus de voix palestiniennes pour parler au nom des Palestiniens. Le seul qui apparaît encore, mais dans une sorte de brouillard, c’est Hajj Amin al-Husseini qui était mufti et responsable du Haut Comité arabe dès les années trente. Ce personnage qui avait tenté de s’appuyer sur l’Allemagne pendant la guerre n’avait plus aucune crédibilité. Pour voir s’affirmer un nouveau leadership palestinien, il faut attendre les années soixante. La reconstruction de l’identité palestinienne se fit par le combat, à partir des réfugiés, avec le Fatah et Yasser Arafat. Entre 1939 et 1959, je ne dirais pas que ce fut le vide mais je serais tenté de parler d’absence. D’ailleurs, en Cisjordanie, en 1970, les Jordaniens, puis les grandes familles d’Hébron et de Naplouse, conservaient encore le pouvoir dans les villes ! La structure sociale permet de comprendre en partie l’échec de la révolte de 1936.

Un participant  : Quel a été selon vous le rôle du terrorisme, et en particulier du groupe Stern, dans la constitution et l’extension de l’État d’Israël ?

Jean-Paul Chagnollaud : Cela dépend des périodes. Le terrorisme dont vous parlez a été particulièrement actif dans l’après-guerre, entre 1945 et 1947. À ce moment-là, les dirigeants sionistes ont considéré qu’il fallait l’arrêter car il était contreproductif. Par contre, si vous faites allusion aux événements de 1948-1949 que nous connaissons tous (et il n’y a pas eu que le massacre de Deïr Yassin), il est évident que le terrorisme a contribué à l’exode des Palestiniens. Ceux qui sont devenus ensuite des hommes d’État, comme Shamir et Begin, qui sont tous des gens du Likoud, ont affirmé par ce terrorisme une sorte de radicalisme. Il y eut une scission dans la Hagana qui, en principe, condamnait ce genre d’action mais en fait s’en servait. Le terrorisme est ambivalent. Prenons, par exemple, le terrorisme palestinien dans les années soixante-dix, il a fait avancer la cause palestinienne mais, en même temps, il lui a donné une image très négative en Occident. Il y a une dialectique infernale du terrorisme. Je voudrais éviter les déclarations trop générales : il faudrait examiner les faits de manière très précise et selon les moments. Ce qu’on appelle le terrorisme peut avoir, dans certains cas, une fonction historique.

Un participant  : Les groupes sionistes envisageaient-ils une cohabitation future avec les Palestiniens ?

Jean-Paul Chagnollaud  : Quand on regarde la période 1920-1940, il n’est question que de s’imposer. C’est un rapport de forces pur et simple. Ben Gourion a écrit un livre qui s’intitule Les Arabes et moi. Il y décrit ses contacts avec les leaders arabes et l’on a le sentiment qu’il négocie. Mais les sionistes ont avancé comme des bulldozers en saisissant, avec beaucoup de pragmatisme, chaque occasion qui leur était favorable. Certes, il y eut des contacts avec les Arabes mais le sionisme n’a cessé d’avancer avec la conviction de son bon droit et en s’appuyant sur le rapport des forces. En 1947-1948, on sait qu’elle a été la position de Ben Gourion : il n’y a eu aucune négociation pour le retour des réfugiés palestiniens.

Un participant  : Dans la période 1920-1947, y a-t-il eu des personnalités ou des mouvements préconisant la non-violence ?

Jean-Paul Chagnollaud : Quelques personnalités ont suggéré la création d’un seul État, donc d’un État judéoarabe, avec l’idée que les uns et les autres pourraient vivre ensemble ; mais cette suggestion n’a pas été bien loin. Dans toute cette affaire, la non-violence n’a pas de sens puisque, dès 1920-22, les violences existent et qu’à partir de 1929, elles sont constantes.

Documents

La correspondance entre Hussein et Mac Mahon

Carte des accords Sykes-Picot (1916)

La Déclaration Balfour (1917)

Carte du projet sioniste (1919)

Mémorandum du premier Congrès des associations islamo-chrétiennes

Carte de la Palestine du mandat britannique

Le mandat britannique

Carte du plan de partition (PEEL) (1937)

Le Livre blanc (1939)

Carte du plan de partage de l’ONU (1947)

Jean-Paul Chagnollaud est rédacteur en chef de la revue Confluences Méditerranée et auteur de plusieurs livres dont Israéliens, Palestiniens, le moment de vérité, éditions L’Harmattan, Paris, 2000, en collaboration avec Bernard Ravenel.
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L’Orient le Jour | 18 avril 2008

Saleh Al Naami | 18 avril 2008

PCF | 18 avril 2008

Brahim Senouci | 18 avril 2008

17 avril 2008

Jean-Claude Lefort | 17 avril 2008

Mohammed Omer | 17 avril 2008

Adel Zaanoun | 17 avril 2008

17 avril 2008

Reuters, Afp et BBC | 17 avril 2008


L'AFPS
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11 janvier 2009 7 11 /01 /janvier /2009 13:36
Le Mandat britannique (1920-1948)
Jean Paul Chagnollaud

 

La période 1920-1948 est extrêmement foisonnante et il faudrait des heures pour en approfondir l’étude. Pour tenter de présenter une brève synthèse, j’ai choisi un plan chronologique en dégageant quelques éléments importants.

Trois points sont à retenir. D’abord les conditions historiques qui ont conduit à ce mandat britannique en Palestine. Ensuite, les vingt ou vingt-cinq ans de mandat. Enfin, naturellement, les conditions de l’achèvement du mandat qui conduiront au partage de 1947.

Les conditions historiques qui ont conduit au mandat
Les tractations pendant la guerre contre l’Empire ottoman
La conférence de Paris en 1919

Les principales étapes du mandat en Palestine
1922
1929
1936

La fin du mandat
L’impasse de l’après-guerre
Un partage est imposé par les Nations unies
Ce partage se fera par les armes

Débat

Documents

Les conditions historiques qui ont conduit au mandat britannique

Il faut distinguer deux temps. D’abord les tractations des Alliés pendant la Première Guerre mondiale : les Français et les Britanniques pensaient que l’Empire ottoman allait se disloquer avec la défaite. Puis, deuxième temps, la conférence de la paix en 1919 à Paris. On ne dira jamais assez à quel point cette conférence a préparé les guerres futures en Europe et au Proche-Orient.

Premier temps : les tractations pendant la guerre contre l’Empire ottoman

Les Français et les Britanniques ont tenté de se placer pour l’avenir. Si l’on évoquait le Liban et la Syrie, la France serait en cause. S’agissant de la Palestine, ce sont les Britanniques qui prennent les décisions et qui portent des responsabilités écrasantes. Ils ont discuté avec les Arabes et ont passé un accord avec eux ; ils ont discuté aussi avec les Français et le mouvement sioniste. Ils ont donc négocié avec tous les acteurs et ont fait des promesses aux uns et aux autres, tout à fait contradictoires.

En 1915, la Grande-Bretagne a mené une négociation avec le leader arabe de La Mecque, Hussein : c’est la correspondance Mac Mahon-Hussein qui conduit les Britanniques à promettre, malgré certaines ambiguïtés, la création d’un État arabe au lendemain de la guerre. Les Britanniques veulent en effet que les Arabes se révoltent contre l’Empire ottoman et deviennent ainsi leurs alliés.

Or les territoires revendiqués par le chérif Hussein représentaient finalement l’ensemble du monde arabe, excepté l’Égypte, de la Turquie à Aden, sur le Golfe Persique et à la Mer rouge ; donc l’ensemble de la péninsule avec les pays devenus aujourd’hui l’Irak, le Liban, la Syrie, la Transjordanie, la Palestine et l’Arabie Saoudite.

Mais quelques jours après la fin de la correspondance Hussein-Mac Mahon, les Britanniques vont discuter avec la France du partage des influences au Proche-Orient. Voyez la carte des accords Sykes-Picot qui sont tout à fait essentiels. Ces négociations ont commencé en 1915 avec l’idée d’un partage de la région. Sur la carte, on voit bien que le Nord est sous l’influence ou le contrôle de la France tandis que le Sud est sous l’influence ou le contrôle britannique. Avec les accords Sykes-Picot, on s’aperçoit que la préoccupation fondamentale des Britanniques était de pouvoir passer du Golfe arabo-persique à la Méditerranée. Sur la carte, apparaît la profondeur stratégique de la zone britannique qui permettait de contrôler la région mais surtout, et c’est vraiment essentiel, la route des Indes. Au Sud, le port de Bassorah avait une importance stratégique.

Dans ce partage, la France obtenait ce qu’on appellera plus tard la Syrie et le Liban ainsi que Mossoul, c’està-dire la zone qui est aujourd’hui le nord de l’Irak et une partie de la Turquie.

Quant à la Palestine, la carte indique quelle doit être placée sous contrôle international. Les Britanniques qui ont déjà Bassorah ont aussi besoin d’un port sur la Méditerranée : ce sera Haïfa. C’est la seule concession qui leur est faite à ce moment en ce qui concerne la Palestine.

Mais assez rapidement Londres cherche à remettre en question ce partage. En décembre 1918 se déroula une discussion entre Clemenceau et Lloyd George ; nous n’en avons aucun procès-verbal mais simplement des échos. Lors de cette discussion qui eut lieu à Londres, Lloyd George demanda à Clemenceau Mossoul et la Palestine. L’affaire se régla très vite : Mossoul passe sous mandat britannique et est intégré au mandat irakien et la Palestine qui devait être sous contrôle international passe sous contrôle britannique.

Entre-temps, il y a eu l’autre promesse, à la fois fondamentale et sans doute fondatrice des malheurs de cette région, la déclaration Balfour. Le 2 novembre 1917, Lord Balfour affirme au mouvement sioniste qui existe depuis une vingtaine d’années que le gouvernement de sa Majesté envisage favorablement l’établissement d’un foyer national pour le peuple juif ; quelques lignes plus loin, il est dit qu’on ne portera atteinte ni aux droits civils ni aux droits religieux des collectivités non juives existant en Palestine. Le texte parle de droits civils et religieux mais n’évoque pas de droits politiques.

Il y aura ensuite des négociations avec la France qui voulait que, dans le mandat, les droits politiques soient insérés. Un problème sémantique s’est posé puisque « civil rights » peut se traduire par droits politiques ; mais, en définitive, le terme droits politiques n’a jamais été repris.

De ce premier point, retenons que les Britanniques ont fait des promesses contradictoires. Aux Arabes, ils promettent tout ; aux Français un partage de la région ; et au mouvement sioniste, un foyer national juif en Palestine alors qu’à ce moment, il y a 10 ou 12 % de Juifs en Palestine ; certains sont là depuis très longtemps mais la plupart se sont installés dans les premières colonies qui datent de 1882.

Deuxième temps : la conférence de Paris en 1919

À cette conférence, ce sont les Français avec Clemenceau et les Britanniques avec Llyod George qui ont le plus de poids. Les Italiens se retirent du jeu assez vite ; les Américains sont présents avec le président Wilson, ce qui va susciter beaucoup d’espérance parmi les peuples de la région, notamment chez les Arméniens, les Kurdes et les Arabes.

La conférence de paix reçut de nombreuses délégations (arabe, sioniste, arménienne, kurde...) qui viennent exposer leurs revendications. Les Arabes réclament l’indépendance mais il y a des revendications plus spécifiques. Par exemple, les Libanais veulent un grand Liban.

Le projet sioniste est présenté par Weizmann, l’homme qui a obtenu la déclaration Balfour. La carte précise la revendication sioniste : elle concerne toute une partie de la Palestine jusqu’à la ligne de chemin de fer qui va vers le Hedjaz, c’est-à-dire vers l’Arabie et inclut au nord les sources aquifères et toutes les réserves d’eau de ce qui sera le Liban. Le contrôle des fleuves importants, en particulier du Litani, est une revendication majeure des sionistes. On voit bien se dessiner les problèmes qui se poseront plus tard, l’occupation du Sud- Liban et celle du Golan pour contrôler toute cette zone au nord de la Galilée.

Ces revendications sont donc contradictoires et l’on tranche à San Remo, en avril 1920, en faveur des puissants. Le Proche-Orient sera lié aux intérêts des Britanniques et des Français. Pour l’essentiel, on appliquera les principes qui ont été arrêtés par les accords Sykes-Picot, avec les modifications que j’ai indiquées. La Société des Nations (SDN) va donner des mandats aux Français et aux Britanniques. La France obtient un mandat sur la Syrie et un autre sur le Liban. C’est elle qui décide de la frontière et bâtit un grand Liban. Par contre, au nord, la France est perdante parce que Mustapha Kemal Ataturk refoule l’armée française qui occupait la Cilicie. Les Français doivent se replier en Syrie et au Liban.

Les Britanniques obtiennent un mandat sur la Mésopotamie qui va devenir l’Irak et un autre sur la Palestine puisque la France, en décembre 1918, l’a accepté. Il reste une zone entre la Palestine et l’Irak que les Britanniques érigent en territoire à part : ce sera la Transjordanie qui va du Jourdain jusqu’à la frontière de ce qui va devenir l’Irak.

Si l’on met de côté l’Arabie Saoudite et les Émirats du Golfe, on constate que partout le principe du mandat a triomphé. Tout est imposé par les Britanniques et les Français et partout, sauf au Liban où les Maronites ont eu gain de cause, il y a des révoltes : en Syrie, en Irak, en Transjordanie. En Irak, par exemple, en 1920, éclate une révolte extrêmement importante que les Britanniques brisent par les armes. Même chose en Syrie avec les Français. Pourtant, l’objectif est bien, en dix ou quinze ans, d’aboutir par étapes à l’indépendance. Les Britanniques progressent d’ailleurs dans cette direction plus vite que les Français. En Transjordanie, par exemple, dès 1923, on voit apparaître un État sous tutelle britannique ; en 1932, l’Irak est indépendant mais sous la même tutelle.

Par contre, pour la Palestine, la conférence de San Remo a repris, pratiquement mot à mot, la promesse Balfour pour l’insérer dans un document international ; et dans la charte du mandat que la SDN établit pour la Palestine, on retrouve encore la déclaration Balfour.

En 1922, lorsque le mandat commence, nous avons une situation tout à fait différente des autres pays. En Palestine, il y a une population arabe, majoritairement musulmane, avec une minorité chrétienne, qui voudrait avoir l’indépendance comme les autres ; mais il y a la réalité de ce foyer national juif qui représente à peu près 12 ou 13 % de la population avec une déclaration Balfour désormais entérinée par ce qu’on pourrait appeler la communauté internationale.

Je résume en deux mots : d’abord, des promesses contradictoires pendant la guerre ; ensuite, une conférence qui décide du destin des peuples et deux États qui ont décidé des frontières : la France et la Grande-Bretagne.

Les principales étapes du mandat en Palestine

On peut retrouver ces étapes en trois dates : 1922, 1929, 1936. Et un fil rouge : d’un côté, le nombre et de l’autre la terre. Trois dates avec le nombre et la terre. Il suffit alors d’articuler les différentes configurations de cet ensemble.

1922 : le mouvement sioniste s’intègre dans la structure même du mandat. Dès cette époque, le mouvement sioniste vise la création d’un État juif en Palestine ; cet État étant appréhendé de différentes manières selon les courants. Le projet est donc bien là alors que la base démographique n’existe pas encore.

Du côté arabe, les choses sont plus complexes. Il y avait des revendications nationalistes de la part d’une élite mais je ne crois pas qu’on puisse parler d’un nationalisme palestinien comme aujourd’hui.

La société palestinienne était très segmentée, organisée en clans avec des divisions internes très importantes, avec notamment les deux grandes familles, les Nashashibi et les Husseini.

La revendication arabe était complexe. Fayçal, le leader de l’époque, qui est le fils d’Hussein de La Mecque et qui avait participé à la conférence de Paris, avait des revendications très précises : il voyait la Palestine comme une partie du royaume arabe et donc en fait une partie de la Syrie. En 1922, si l’idée d’un État palestinien n’apparaît pas, il y a, dès cette époque, des congrès palestiniens. Une élite palestinienne aspire à l’indépendance de la Palestine d’autant plus que les régions environnantes se structurent autour d’un État, sur un territoire déterminé.

Par contre, les Arabes de Palestine ont refusé l’immigration juive car ils la perçoivent comme un danger alors qu’ils sont chez eux, sur leurs terres. C’est bien pourquoi je disais que le fil rouge est à la fois le nombre et la terre. En 1922, il n’y a pas encore beaucoup de juifs ni de terres achetées. Pourtant, dès cette époque, les Arabes de Palestine refusent l’immigration et l’acquisition de terres.

1929 : l’immigration juive a commencé mais de manière limitée. Les conditions de vie en Palestine sont d’ailleurs assez difficiles et certains repartent.

Les chiffres qui apparaissent dans le tableau (cf. page suivante) montrent que cette immigration est peu importante au début.

On est parti de 12 % de population juive et l’on est maintenant à 15 %. Mais la crainte est là. Il y a déjà eu des heurts en 1920-22 mais c’est en 1929 que le premier affrontement vraiment très grave a lieu. Il se produit à Jérusalem, devant le Mur des Lamentations. Il y a toujours eu des querelles à propos du Mur mais là elles prennent un tour dramatique. Des heurts dramatiques ont lieu aussi à Hébron : des Juifs sont assassinés par des Arabes de la ville, en même temps que d’autres protègent les Juifs (les Palestiniens ne manquent pas de le rappeler aujourd’hui à Hébron). Cette affaire est extrêmement importante. Les colons qui, aujourd’hui, habitent Hébron disent qu’ils réoccupent les maisons que les Juifs avaient en 1929.

La situation est donc déjà très tendue en 1929 et les Britanniques, qui avaient ouvert la voie à l’immigration juive, mettent en place une politique beaucoup plus restrictive aussi bien sur l’immigration que sur l’achat des terres.

L’achat des terres est d’ailleurs organisé par le mouvement sioniste car, dans l’esprit des sionistes, c’est ce qui doit servir de base économique et politique à l’État juif de Palestine. De grands propriétaires arabes vendent leurs terres et une base foncière commence à être fondée pour le mouvement sioniste qui accueille de nouveaux immigrants.

La situation est très tendue mais, durant les années 1929-1930, l’immigration reste limitée. Tout va changer avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir et, à partir de 1933, l’immigration prend beaucoup d’ampleur. Retenons deux chiffres. Pour la période 1924-1931, le total est de 82 000 immigrants, en comptant ceux qui sont repartis. Pour la période 1932-1938, donc pour six années seulement, on en a 217 000 qui viennent principalement de Pologne et d’Allemagne alors que les autres venaient d’un peu partout, d’Union soviétique, des Balkans, du Proche-Orient. De plus, il faut souligner que cette immigration venue d’Allemagne et de Pologne est composée de cadres techniques, d’industriels, de professions libérales, donc de gens qui ont des capacités intellectuelles et technologiques. La situation se détériore alors de plus en plus jusqu’à la véritable confrontation violente qui commence en 1936.

1936 : la révolte arabe. C’est une révolte contre l’occupation britannique et contre le mouvement sioniste. Il y a des heurts très durs. La répression britannique ne recule devant rien. D’une certaine manière, on pourrait dire qu’Ariel Sharon n’a rien inventé. Le couvre-feu, les assassinats ciblés ont été pratiqués par les Britanniques. Une partie de l’élite politique palestinienne a disparu avec la répression.

L’année 1936 est aussi un moment important pour la conscience nationale palestinienne : la révolte a eu une fonction fondatrice. On assiste d’abord à des révoltes locales, un peu isolées les unes des autres ; puis une coordination nationale apparaît et c’est certainement le fruit d’une prise de conscience plus large. On ne se bat plus pour telle ou telle région de Palestine mais on se bat pour un pays. C’est l’idée de tribu palestinienne, au sens noble de nation, qui émerge d’une société féodale segmentée. Mais, en même temps, l’année 1936 est un échec terrible.

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L’année 1936 est aussi un moment important pour la conscience nationale palestinienne : la révolte a eu une fonction fondatrice. On assiste d’abord à des révoltes locales, un peu isolées les unes des autres ; puis une coordination nationale apparaît et c’est certainement le fruit d’une prise de conscience plus large. On ne se bat plus pour telle ou telle région de Palestine mais on se bat pour un pays. C’est l’idée de tribu palestinienne, au sens noble de nation, qui émerge d’une société féodale segmentée. Mais, en même temps, l’année 1936 est un échec terrible.

Devant cette situation, les Britanniques créent une commission d’enquête dirigée par Lord Peel. Dans un Livre blanc, la commission constate que les points de vue sont inconciliables et qu’il n’y a d’autre solution qu’un partage. Le plan prévoit de découper la Palestine : l’État juif serait situé au nord et sur la côte ; l’État palestinien serait dans ce qu’on appelle aujourd’hui la Cisjordanie et au sud avec Gaza, avec une série de corridors pour relier entre eux les différents territoires. Ce partage est conçu en fonction de la répartition des populations mais dans l’État juif, il y aurait eu deux cent mille Arabes et, dans l’État arabe, mille deux cent cinquante Juifs. Le rapport Peel estime qu’il faudrait parvenir à une homogénéité et, par conséquent, évoque des échanges de populations. Mais, compte tenu du fait qu’il y a d’un côté deux cent mille personnes et de l’autre mille deux cent cinquante, il est bien clair que cet échange ressemble bien plus, en fait, à un transfert de population arabe. De surcroît, le rapport Peel prévoyait que l’État arabe de Palestine serait ensuite fusionné avec la Transjordanie pour former un seul État.

Le gouvernement britannique approuva les conclusions du rapport dans ses principes mais non dans ses modalités pratiques ; en particulier, il n’approuvait pas l’idée de transfert parce qu’évidemment, elle ne pouvait que susciter de violentes réactions du côté arabe.

Chez les Arabes d’ailleurs, le plan Peel provoqua un véritable choc. Toutes leurs craintes se trouvaient d’un seul coup concrétisées : un document officiel de la puissance mandataire démontrait qu’il s’agissait bien de les déposséder d’une partie de leur pays. Le projet d’un État juif contre lequel ils s’étaient battus se précisait et des transferts de population étaient même envisagés. Le plan Peel fut donc totalement rejeté. Le monde arabe refusa aussi ce plan, sauf le prince Abdallah, l’émir de Transjordanie, qui ne pouvait être que satisfait puisqu’il avait l’intention de s’emparer de la Palestine. Abdallah réussira d’ailleurs à mettre la main sur une partie de la Palestine après la guerre de 1948 (rappelons que le prince Abdallah des années trente est l’arrière grand père de l’actuel roi Abdallah de Jordanie).

De leur côté, les sionistes étaient très mécontents de ce plan qui ne correspondait pas à leur ambition. Il faut comparer sur la carte ce que le plan Peel leur donnait avec le projet sioniste et ses 50 000 km2. Mais les leaders sionistes, Weizmann et Ben Gourion, estimèrent cependant que ce plan présentait un intérêt majeur : pour la première fois, la puissance mandataire affirmait clairement qu’il fallait un État juif en Palestine.

Au congrès sioniste de 1937 qui se tint en Suisse, à Zurich, la résolution adoptée affirme, comme principe, que le projet de partage de la commission Peel est inacceptable mais le Congrès donne à l’exécutif les pleins pouvoirs « pour engager des négociations en vue d’établir les conditions précises du gouvernement britannique au sujet de l’établissement proposé d’un État juif ». Après le refus de principe, une ouverture est donc faite pour discuter. C’est une attitude que les sionistes auront souvent dans les moments décisifs : tenter de saisir ce qu’on leur offre tout en affirmant leur désaccord parce que c’est insuffisant.

Compte tenu de la situation sur le terrain, les Britanniques n’ont pas donné suite à ce plan de partage. En 1939, le gouvernement publia un autre Livre blanc qui, cette fois, penche du côté arabe. Le gouvernement décidait de limiter l’immigration juive pour les cinq années à venir à dix mille par an, avec de très strictes restrictions sur la vente des terres. Comme un quota supplémentaire de vingt-cinq mille était prévu, cela fait soixante-quinze mille immigrants pour les cinq ans à venir.

Ainsi les Britanniques reconnaissaient la nécessité de limiter le nombre des immigrants juifs et les terres dont ils s’emparent. Toujours ce fil rouge : le nombre et la terre. Mais en 1939, le rapport des forces démographiques a beaucoup changé : il y a en Palestine un tiers de Juifs pour deux tiers d’Arabes.

La fin du mandat

Pour aller à l’essentiel, dégageons trois idées :

1) sur le terrain, c’est l’impasse ;

2) un partage est imposé par les Nations unies ;

3) en définitive, ce partage se fera par les armes.

L’impasse de l’après-guerre

Au moment où le monde découvrait le génocide du peuple juif et où de nombreux rescapés des camps de la mort voulaient venir en Palestine, les Britanniques continuaient, par principe, de limiter l’immigration juive. Notons, d’ailleurs, que certains voulaient aller aux États- Unis et que ceux-ci, à cette époque, avaient une politique migratoire très restrictive, limitée par des quotas. Il y avait donc des dizaines et des dizaines de milliers de réfugiés juifs qui voulaient venir en Palestine. La situation était dramatique avec un véritable terrorisme juif contre les Britanniques. On connaît l’histoire de ce bateau, L’Exodus, au cours de l’été 1947 qui ne peut débarquer les rescapés des camps de la mort. Dans cette affaire, les Britanniques perdent leur âme. Ils subissent alors une défaite morale et politique.

En février 1947, ils décident de porter la question palestinienne devant les Nations unies. Ils avaient reçu un mandat de la SDN et l’ONU en est l’héritière. Saisie de ce dossier, l’ONU désigne une commission spéciale, l’Unscop (United Nations Special Committee on Palestine) composée de délégués de onze États. Elle part en Palestine en juin 1947, au moment de la tragédie de L’Exodus et essaie de rencontrer les différents acteurs. Mais le Haut Comité arabe refuse de la rencontrer parce que, dit-il, les droits naturels des Arabes de Palestine sont évidents : il n’y a pas besoin d’une enquête pour savoir que la Palestine est arabe sur tout le territoire.

Par contre, l’Agence juive a rencontré l’Unscop et beaucoup discuté avec elle. Un des personnages-clés est alors Abba Eban qui deviendra plus tard ministre israélien des Affaires étrangères. L’Unscop propose deux solutions. La première serait une fédération avec un État arabe et un État juif ; l’idée était donc qu’il faut, malgré l’opposition des deux communautés, maintenir l’unité du pays par un État fédéral. L’autre solution - qui est la thèse dominante - est un partage avec un État arabe et un État juif et une union économique pour conserver une unité minimale, indispensable sur un si petit territoire.

Un partage est imposé par les Nations unies

En septembre 1947, l’Unscop rend son rapport. L’Assemblée générale de l’ONU en discute et, finalement, le 29 novembre 1947, adopte un plan de partage dans lequel deux États sont prévus, avec un corpus separatum pour Jérusalem et Bethléhem, c’est-à-dire les Lieux saints qui auraient une administration internationale. Ce plan de partage a été voté par l’Assemblée générale. Les États-Unis, la France ainsi que l’Union soviétique ont voté pour. Le rôle de l’Union soviétique en faveur de la création d’un État juif a été tout à fait essentiel. Les États arabes et quelques États comme la Grèce et la Turquie ont voté contre. Le Royaume-Uni s’est abstenu.

Le plan de partage prévoyait de donner à l’État arabe, la partie nord, la Galilée, avec la ville chrétienne arabe de Nazareth et, au sud, une bande qui est Gaza avec un prolongement important dans le Néguev. L’État arabe prévu était en trois morceaux reliés entre eux. L’État juif obtenait le littoral où il y a de nombreuses colonies et toute la partie qui longe la Syrie, au nord du lac de Tibériade.

Tandis que les Arabes refusent ce plan de partage, les sionistes ont une position beaucoup plus nuancée ; ils ont obtenu, pour la seconde fois, que l’idée d’un État juif en Palestine soit entérinée.

Ce partage se fera par les armes

La proclamation de l’État d’Israël, le 14 mai 1948, va s’inscrire dans la première guerre israélo-arabe. Au terme de cette guerre, en 1949, aux armistices de Rhodes, les lignes de démarcation sont très au-delà de ce qui avait été prévu pour l’État juif.

Toute la partie nord, et en particulier la Galilée, a été absorbée par l’État juif. Le deuxième point concerne Jérusalem. Ben Gourion n’avait pas l’intention d’accepter le statut international de cette ville et l’armée israélienne, la Haganah, s’est battue pour arriver à Jérusalem. L’armée israélienne s’est arrêtée devant les murs de la Vieille Ville et la frontière de 1949 passe juste au pied de la muraille. La Vieille Ville restera aux Jordaniens jusqu’en 1967.

Enfin, le troisième point qui mérite d’être signalé concerne Gaza. Dans le plan de partage, ce territoire avait une relative profondeur. La guerre a réduit cette zone à une petite bande de terre qui fait dix kilomètres de large sur quarante kilomètres de long, c’est-à-dire un peu moins de 400 km2. On a donc la configuration qui nous est familière aujourd’hui avec Gaza et la Cisjordanie. Sans oublier qu’en 1950, la Transjordanie annexe le territoire qu’elle contrôlait sur le plan militaire et devient la Jordanie.

Débat

Bernard Ravenel  : Merci pour cette préhistoire de l’État d’Israël et du mouvement national palestinien. Pour lancer le débat, je poserai une question : lorsque Clemenceau, en 1918, lâche Mossoul et la Palestine, n’a-t-il rien demandé en échange ? Les Français feraient-ils des cadeaux aux Britanniques ?

Jean-Paul Chagnollaud  : Cette rencontre entre Clemenceau et Lloyd George est en effet étonnante et m’a toujours intriguée. Disons d’abord que Clemenceau ne s’insère pas dans la tradition colonisatrice et, plus fondamentalement, Clemenceau est obsédé par l’Allemagne. Il voulait obtenir un certain nombre de garanties sur le Rhin, face à l’Allemagne. Un autre argument, souvent évoqué, est que Clemenceau était surtout soucieux des ressources énergétiques. Il avait besoin du charbon de la Sarre et il voulait du pétrole. Quand il lâche Mossoul, il obtient une partie des revenus pétroliers de cette région. Dans la négociation, Clemenceau s’est plus intéressé aux avantages pétroliers de Mossoul qu’à la Palestine. Rappelons que nous n’avons pas de décryptage officiel ni de procès-verbal de l’entretien. Nous n’avons que le compte-rendu d’un collaborateur de Llyod George qui nous dit que ce dernier a demandé Mossoul à Clemenceau qui a accepté. Même chose pour la Palestine. On reste sceptique mais nous n’avons que ce document d’un collaborateur qui, de surcroît, n’était pas présent : c’est Lloyd George qui lui a rapporté comment l’entretien s’était déroulé. Le résultat est là : Clemenceau n’a jamais remis en question la parole qu’il avait donnée.

Bernard Ravenel  : Si je me souviens bien, la compagnie qui exploitait le pétrole de Mossoul était allemande à l’époque ottomane. Elle est devenue ensuite, sous la domination anglaise, l’Irak Petroleum Company. Clemenceau qui n’avait pas oublié que le pétrole avait manqué pour les taxis de la Marne demandait 22,5 % des parts et il a obtenu le pétrole.

Jean-Paul Chagnollaud : Il est fascinant de penser que le destin de deux régions bascule ainsi au terme d’une discussion entre deux hommes d’État.

Un participant : Pourriez-vous revenir sur les courants qui formaient le mouvement sioniste dans l’entre-deux-guerres ? Quelle était son influence et sa politique face à la montée du nazisme ?

Jean-Paul Chagnollaud  : Je répondrai brièvement puisqu’il y aura plus tard une conférence sur ce sujet. Disons que, durant cette période, il y a deux grands courants. Celui qui est dirigé par des hommes comme Weizmann et Ben Gourion qui sont à la fois déterminés et très pragmatiques. Leur réaction, en 1937, face au rapport Peel est particulièrement révélatrice. Dès ce moment, ils estiment qu’ils sont en mesure d’obtenir des éléments substantiels pour un État juif. Je suis frappé par leur pragmatisme et leur capacité très moderne de penser la création d’un État-nation.

L’autre branche du mouvement sioniste, disons la droite, est incarnée par Jabotinsky. Au fond, c’est l’ancêtre du Likoud, les racines de Sharon et de Netanyahu. La continuité idéologique est évidente. Jabotinsky est toujours sur des positions maximalistes. Au congrès de Zurich, par exemple, en 1937, il veut exiger l’intégralité de la Palestine et, dès ce moment, il est ouvertement favorable à un transfert des populations palestiniennes et peut s’appuyer sur le rapport Peel qui l’envisageait.

J’ajoute que le mouvement sioniste dispose d’une structure destinée à l’achat des terres en Palestine : la terre devenue juive est inaliénable et, sauf exception, doit être travaillée uniquement par des ouvriers juifs. L’organisation était très efficace et avait réussi à s’intégrer dans le système même du mandat. La construction s’opère méthodiquement par la terre. À la même époque, les linguistes travaillent sur l’hébreu qui n’était pratiquement plus parlé pour donner une langue à ce nouvel État. J’ai le sentiment que les dirigeants sionistes travaillent alors méthodiquement à la constitution de tous les éléments nécessaires à un État-nation moderne.

Cela me fait penser à ce qu’avait écrit Herzl, dans son journal, au lendemain du congrès de Bâle, en 1897 : « Aujourd’hui, j’ai fondé l’État juif. Si je le disais publiquement, on me rirait au nez, mais dans cinq ans peut-être et dans cinquante ans, sûrement, on comprendra. » Or, les cinquante ans conduisent exactement à 1947 ! Ces hommes, que ce soit Herzl, Weizmann ou Ben Gourion, ont une vision politique indépendante des vicissitudes de l’histoire. Ce n’est pas le cas du côté arabo-palestinien.

Encore un dernier mot concernant le mouvement sioniste. En 1919, le président Wilson a voulu envoyer une commission au Proche-Orient pour connaître les sentiments des peuples avant de décider de leur destin. Cette commission porte le nom des deux hommes qui l’ont conduite, King-Crane. Elle a rendu un rapport qui n’a eu aucun effet sur les événements et qui, d’ailleurs, n’a été rendu publique que bien plus tard. Or, dans ce rapport, il y a quelques lignes, plutôt favorable à la cause sioniste, mais qui concluent que l’entreprise va conduire à la dépossession des Arabes de Palestine. Dès 1919, les choses sont donc claires.

Un participant  : Pouvez-vous revenir sur les « droits politiques » des Palestiniens qui n’ont pas été reconnus dans la Charte qui donne mandat aux Britanniques sur la Palestine ?

Jean-Paul Chagnollaud  : Je me souviens que, dans une discussion entre Britanniques et Français qui eut lieu un peu avant la conférence de San Remo en avril 1920, Millerand voulait que, dans le texte issu de la conférence, figure la mention des droits politiques. Or les Britanniques, en usant de tous les arguments possibles, y compris l’argument sémantique, ont refusé. Le débat a repris à la conférence : les Britanniques faisaient semblant d’être d’accord mais en soulignant que, dans le terme de « civil rights », les droits politiques étaient inclus. En réalité, ces droits politiques n’ont pas été reconnus.

Remarquons aussi que la position arabe a été de refuser d’entrer dans le jeu du mandat parce que, dans la structure même du mandat, l’Agence juive avait des pouvoirs.

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11 janvier 2009 7 11 /01 /janvier /2009 13:35
Les propositions palestiniennes

Maintenant, quelles ont été les positions dans la négociation ? La position palestinienne est très simple et je crois qu’elle est très forte. La position palestinienne s’énonce comme suit. Elle part du texte qui est très clair. Elle part également du contenu lui-même de ce droit au retour. Qu’est-ce qu’un droit au retour ?

Tout d’abord une distinction absolue à faire. Le droit au retour n’est pas une loi du retour. Cela n’a strictement rien à voir. Une loi du retour est une loi votée par un parlement en l’occurrence qui s’appelle la Knesset qui permet à n’importe quelle personne qui appartient à une religion de venir dans un pays qui s’appelle Israël et d’avoir sa nationalité quasiment à la descente de la passerelle d’avion. Cela n’a strictement rien à voir avec un droit spolié détenu par ceux qui ont été spoliés ou leurs descendants et qui attendent d’être satisfaits. Cela n’a strictement rien à voir. Et c’est pour cela que la différence entre une loi du retour et un droit au retour est importante. Ce n’est pas le droit du retour, attention, c’est un droit au retour, c’est un droit à revenir. Ce n’est pas une loi, ce n’est pas quelqu’un qui m’a, par solidarité religieuse ou par générosité, donné une loi qui m’autorise si je veux à prendre un avion et à aller quelque part. C’est un droit.

Ensuite, cela n’est pas négociable. Le droit d’un être humain à être chez lui n’est pas un droit qui est acquis parce qu’un parlement le lui a donné. C’est un droit naturel et la question du droit des Palestiniens à être en Palestine n’est pas un droit négociable.

Ce qui peut être négociable, c’est son application, pas le droit lui-même. Je peux, si moi je détiens un droit, accepter moi de négocier mes droits, mais pas de négocier le fait d’avoir le droit de ces droits. Je ne négocie pas mon droit à les avoir. C’est parce que précisément je les détiens que je peux négocier leur application et comme je veux. Je peux décider que je ne veux pas rentrer. C’est mon droit, mais je peux décider aussi qu’un jour, si je veux rentrer, je peux rentrer chez moi.

Donc il y a dans la négociation par rapport au retour, un ordre de séquences : d’une part, le droit au retour n’est pas la loi au retour, d’autre part le droit au retour n’est pas échangeable avec l’indemnisation, ce n’est pas ou le droit ou l’argent.

Et troisièmement je ne discute l’application du droit qu’une fois que le droit est reconnu, je ne dis même pas reconnu parce qu’il est déjà reconnu. Il est déjà reconnu par l’ONU, il est inhérent à tout peuple qui a le droit d’être chez lui et - c’est une chose que très peu de gens savent - il a été même reconnu par l’État d’Israël. Car dans la résolution 237 en vertu de laquelle Israël a été admis comme membre de l’ONU, il est très explicitement spécifié que pour qu’Israël intègre l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies, Israël reconnaît la totalité des résolutions et des décisions de cet organisme qu’est l’ONU. Or la résolution 194 sur le droit au retour avait déjà été votée. Il était très clair, nous le savons, quand il y a eu la rédaction de cette résolution 237, que quand on disait qu’Israël, pour être admis à l’Organisation des Nations unies, reconnaissait toutes les résolutions de l’ONU, on faisait implicitement référence à cette résolution 194. Et il y a même des antécédents que les Israéliens cachent. Cinq ans après 1948, les Israéliens ont négocié eux-mêmes la question du retour. Il y a eu des négociations pendant cinq ans. C’est sûr qu’ils ne comptaient pas qu’elles aboutissent, mais déjà le fait d’accepter d’entrer dans la négociation indique une reconnaissance que le problème existe, qu’il y a quelque part des réfugiés de votre fait.

Donc le droit au retour n’est pas négociable. Son application l’est mais uniquement une fois que le droit est reconnu. Donc on ne peut pas commencer par l’application, on ne peut pas commencer par l’indemnisation et cet ordre de séquences est le noeud actuel. Aujourd’hui, parce qu’il y a eu des avancées, qu’on le veuille ou non, parce que les Palestiniens sont là, parce qu’il y a de plus en plus de travail historique qui dit ce qui s’est passé, ce n’est plus caché, maintenant on dit c’est accidentel, oui tout le monde est victime, nous aussi nous étions victimes, vous aussi vous avez été victimes. Commence même à un peu circuler l’idée de la reconnaissance du tort, c’est-à-dire une sorte de déclaration morale disant nous avons commis un crime à votre égard, nous avons commis une injustice. Donc c’est dans l’air.

C’est pour cela qu’aujourd’hui nous faisons face à toutes les stratégies qui visent soit à lancer de fausses pistes, style « la démographie des Palestiniens est très dangereuse, l’État ne sera plus assez juif », soit à inverser l’ordre des séquences, à commencer par le deuxième bout, à savoir « le droit on ne peut pas en discuter, c’est très problématique pour Israël, on ne peut pas en parler. Parlons de l’application, trouvons une solution quand même, on ne va pas passer des siècles à parler du droit ». Le droit est présenté à ce moment-là comme une question théorique, « parlons de l’application, combien ça coûte, est-ce qu’on peut faire un fonds international d’indemnisation, est-ce qu’on peut intégrer, absorber les réfugiés sur le plan économique, est-ce qu’on peut dire “bon aujourd’hui les Palestiniens sont plus de 9 millions, 60 % de 9 millions ça donne un chiffre. Bon on pourrait peut-être négocier 100 000, 150 000 qui viendraient en Israël, pas en tant que retour mais en tant que regroupement familial parce qu’ils ont des parents”, donc pour raisons humanitaires » et ainsi de suite.

Donc il faut se cramponner mais de la façon la plus ferme sur l’ordre de séquences, le droit avant l’application et, avec le droit, il faut demander quand même, pour la réconciliation, pas simplement pour marquer le point, il faut demander une déclaration solennelle israélienne sur l’injustice commise.

Parce que je reviens à la question de la légitimité et ça aussi les Israéliens le savent. Israël a obtenu toutes les reconnaissances qu’il voulait. C’est un fait. Il n’y a pas un pays important au monde qui ne l’ait pas reconnu, tout le monde a des ambassades en Israël. Et pourtant il demeure inquiet. Est-ce qu’il se sent inquiet à cause des brigades de l’armée arabe ou de l’aviation palestinienne ? J’en doute. Ils sont inquiets à cause d’autre chose. Ils sont inquiets parce qu’ils savent ce qu’ils ont fait, ils savent que nous savons ce qui s’est fait, et ils savent surtout - c’est cela le noeud, c’est pour ça qu’il y a encore de la haine très forte dans leurs propos - ils savent que leur légitimité est entre les mains des réfugiés. Parce que l’État d’Israël ne trouvera en fait une situation légitime, malgré toutes les ambassades de la planète, que lorsque ces victimes leur diront : « D’accord, ce qui est fait est fait, on peut vous accepter. »

Tant que ces victimes - et eux savent très bien, à cause de tous les malheurs que leurs parents ont vécu, ce qu’est une victime - ne leur donneront pas cette légitimité, celle-ci ne sera pas assurée. Et là il y a un noeud très fort et qui est très irritant car ils n’arrivent pas à sortir cette douleur.

C’est pour cela par exemple que lorsque Monique Chemillier-Gendreau, dans des exposés sur le droit, s’est mise à aborder cette histoire de la légitimité qui serait en réalité, qu’on le veuille ou non, entre les mains des victimes et pas entre les mains ni des États-Unis, ni des pays qui reconnaissent Israël, ni même des citoyens israéliens (même si les Israéliens estiment que le gouvernement est légitime à leurs yeux, nous parlons d’une autre légitimité), la fureur a été absolue. Jamais Israël n’a été attaqué comme il l’a été attaqué en formulant cette idée juste. Elle est juste, et tout le monde le sait, à commencer par ceux qui étaient très en colère.

Bon vous voyez on est dans un noeud qui est historique et politique et stratégique et psychanalytique et moral et qui est la clé, la seule clé possible d’une réconciliation. Si ce droit n’est pas reconnu, si le tort n’est pas reconnu sur le plan moral, et si à ce moment une bonne application n’est pas forcément à 100 % parce qu’il n’y a pas d’application à 100 %, à ce moment-là la conciliation deviendra possible.

Voilà un peu ce que je voulais vous dire sur cette question du droit au retour. Maintenant, si vous voulez, on peut aborder des questions parce qu’il y a certainement des aspects que je n’ai pas traités. Merci.

DÉBAT

Qu’ont fait les pays arabes pour aider les Palestiniens ?

Elias Sanbar : Pour ce que les États arabes ont fait, oui les États arabes n’ont rien fait, mais pas toujours ni à toutes les périodes. Moi je ne suis pas l’avocat des États arabes. Je sais un peu ce dont nous avons pâti très souvent. Mais je ne vous cache pas, je suis très méfiant dès que j’entends ce type de questions. Je vais vous dire pourquoi. Pas par sympathie pour ces régimes qui sont aujourd’hui illégitimes pour leurs peuples et très largement despotiques. Mais il n’empêche que c’est l’argument que nous, Palestiniens, pendant un demi-siècle - ça fait cinquante ans que ça dure, avons entendu dans la bouche des Israéliens qui devenaient tout d’un coup extrêmement compatissants par rapport aux malheurs que nous subissions du fait de nos frères et qui devraient en principe nous donner à réfléchir pour que nous sachions qui étaient nos vrais adversaires, nos frères et pas les Israéliens. Donc j’ai une réticence - je vous le dis très franchement - dès qu’on nous pose cette question parce que je me dis : elle est trop simpliste. Elle est très simpliste parce que, contrairement à ce que vous pensez, elle n’a rien à voir avec l’histoire. Je vais vous dire pourquoi. Je vais vous répondre par des questions identiques. Qu’a fait l’Égypte nassérienne par rapport à la Palestine ? Qu’a fait l’Égypte de Sadate par rapport à la Palestine ? Qu’a fait le Yémen nassérien par rapport à Sadate ? Qu’a fait le Yémen du Sud marxiste par rapport à la Palestine ? Qu’a fait le Liban de 1958 par rapport à la Palestine ? Qu’a fait la Syrie marxiste ? Qu’a fait la Syrie de Assad ? Ce qui veut dire qu’il y autant de questions et autant de réponses que non seulement d’États arabes mais de périodes. Donc cette question, moi j’y répondrai dès qu’elle sera précise. Vous pouvez me dire aujourd’hui : que fait l’Égypte de Moubarak ? Je peux vous répondre. Que fait le Liban d’un tel ? Je peux vous répondre. Mais cette façon globalisante, les Arabes ça n’existe pas. Les Saoudiens, malheureusement je n’ai aucune sympathie pour ce régime, ont fait beaucoup, contrairement à ce que vous imaginez, et vous savez pourquoi ? Pour acheter le calme. Les Saoudiens, que vous le vouliez ou non, ont aidé avec leur argent, et bien précisément ce sont les seuls qui ont payé. Ils ont payé comme on fait chanter des riches. Si ça vous satisfait, c’est très bien. L’Arabie Saoudite est l’État qui a le plus avancé de l’argent pour ne pas avoir de troubles chez lui puisque les Palestiniens ont la réputation d’être des agitateurs...

Que répondent les Israéliens quand on leur pose le problème maintenant que l’on connaît mieux la vérité historique ?...

Elias Sanbar : Comme vous avez dû le voir dans le film « Route 181 », ce qui a délié les langues, c’est que les cinéastes parlaient hébreu. D’ailleurs il y a plusieurs rencontres dans le film. Au cours de la conversation, celui qui est en train de se déchaîner sur les Palestiniens se rend compte tout d’un coup que les interlocuteurs, bien que parlant hébreu, ne sont pas d’accord avec lui. Et vous en avez deux ou trois qui, tout d’un coup, s’arrêtent et disent : « Ah je vois ce que tu penses, tu es de l’autre bord. » et là les langues s’arrêtent, elles ne disent plus la même chose. Pour vous dire que ce discours, même si c’est sur la route, il est presque interne. Et quand l’interlocuteur extérieur réel arrive, on ne l’entend plus. Et la force des deux cinéastes a été qu’ils ont été pris comme des gens d’Israël et donc là les gens ont dit vraiment tout ce qu’ils savent. Alors beaucoup de gens après leur ont reproché de les avoir floués et leur ont dit : « Si vous aviez parlé une autre langue, on ne vous aurait pas dit cela. » C’est un aveu déjà de dire une chose pareille.

Quelle appréciation portez-vous sur la façon dont l’accord de Genève a traité la question des réfugiés ?

Elias Sanbar : Pour le projet de texte de Genève, il y a un certain nombre d’avancées indéniables dans les propositions car ça reste toujours à l’état de propositions, ce n’est pas un accord, car il n’est pas un acte officiel mais un texte de propositions, bien sûr élaboré par des signataires des deux bords, mais c’est quand même un projet.

La question des réfugiés connaît une avancée, d’une part dans la mesure où en préambule la question du droit est reconnue. Et il est très explicitement fait référence à la résolution. Ils n’ont pas donné son numéro, ils ne disent pas la résolution 194. Donc elle est un des termes de référence, mais sans dire « nous reconnaissons le droit au retour ». Le fait de reconnaître la résolution qui institue le droit au retour est quand même une avancée très importante.

La deuxième chose qui est très importante dans ce texte, c’est qu’il a définitivement séparé la question du droit et la question des indemnisations. Et il les a séparées de façon très intelligente dans la mesure où il les a associées au lieu de les présenter comme des alternatives l’une à l’autre, puisque le projet de Genève dit : les réfugiés ont le droit au retour et à une indemnisation parce que ça fait quand même plus de cinquante ans qu’ils vivent une injustice insupportable.

Ils ont même ajouté une troisième chose car dans la question des indemnisations, si on reste un peu dans le texte, les indemnisations telles que prévues par la résolution elle- même finalement ne sont utiles, au cas où ils les réclameraient, que pour les gens qui avaient une propriété puisque la résolution stipule que les terres ou les maisons ou les biens seront indemnisés. Mais il y a beaucoup de gens qui ont été expulsés qui étaient absolument pauvres, qui ne possédaient ni leurs maisons ni leurs terres, et ceux-là qu’est-ce qu’on en fait ? Or ce qui est très bien également dans les propositions de Genève, c’est qu’une troisième indemnisation a été ajoutée à l’autre qui est une indemnisation morale pour le tort subi. Et cela pour tous. Voilà les trois premiers points.

Le point qui manquait - et c’est très surprenant parce que Yossi Belin, le signataire israélien, de ce projet était quand même d’accord, il l’avait même abordé lors des négociations de Taba qui avaient eu lieu en décembre 2000, après l’échec des négociations à Camp David -, est la question de la reconnaissance du tort. Il y avait dans le projet à Taba l’idée de reconnaître qui n’allait pas jusqu’à dire « nous sommes responsables d’un crime », mais « vous avez subi un tort et nous en sommes responsables ». Donc il y avait une avancée dans l’idée de la responsabilité. Mais cet aspect a littéralement disparu du projet de Genève. Est-ce qu’il a disparu comme on nous l’a dit par la suite parce que les auteurs ont estimé qu’ils avaient déjà pris assez de risques par rapport à leur opinion en endossant la résolution 194, et qu’ils ne pouvaient pas à la fois reconnaître le tort et accepter les indemnités morales, c’est possible. Il n’empêche que c’est un manque.

Mais ce qui est bien dans ce projet, c’est son côté très pédagogique puisqu’il est la preuve concrète que rien n’est impossible. Finalement même s’il ne voit pas le jour, même s’il ne se concrétise pas, il aura quand même servi à donner la preuve que toutes les questions, même les soi-disant absolument insolubles, peuvent trouver une solution. C’est énorme dans l’état d’esprit général aujourd’hui.

Sur 1948 et les expulsions, qu’est-ce qu’on peut considérer comme historiquement acquis et indiscutable ?

Elias Sanbar : Maintenant pour ce qui est des expulsions, oui, nous avons énormément de données. En gros, l’expulsion s’est faite entre le 29 novembre 1947, c’est-à-dire le vote de la résolution du partage, et la proclamation de l’État d’Israël le 15 mai 1948. Bien entendu, durant les deux semaines qui sont proches de la date du 15 mai, l’expulsion connaît une cadence infiniment plus forte, plus généralisée qu’avant.

Il faut que vous le sachiez aussi, l’expulsion a commencé, techniquement - et les plans de la Hagana et du Palmach étaient très clairs à cet égard - par être menée au sein même du territoire palestinien. On n’a pas commencé par pousser les gens vers les frontières. Les expulsions au départ consistent à vider des triangles qui sont délimités par des colonies et à faire pousser la totalité de la population vers des lieux d’entassement des réfugiés. Les réfugiés commencent par être regroupés en Palestine et c’est après, dans un deuxième temps, qu’on fait pousser la grosse masse des réfugiés vers les frontières. On rassemble et puis on vide, sinon le mouvement aurait été ingérable, on ne pouvait pas organiser des expulsions au niveau de chaque village ; vous avez 900 localités sans compter les villes en Palestine. Il fallait faire vite, il fallait être efficace. C’est ainsi qu’ils réfléchissaient. Et la meilleure preuve précisément que l’expulsion n’a pas été accidentelle, mais qu’elle relevait d’un plan militaire, c’est précisément ce regroupement avant de déverser des gens de tous les côtés. Et c’est comme cela que la Galilée par exemple, mis à part les villages très proches des frontières qui sont passés à pied, le gros des habitants de la Galilée va être poussé vers la côte, principalement Haïfa et Saint-Jeand’Acre. Et après l’exode forcé se fera par la route du littoral vers le poste frontière au Sud Liban.

Les villes de Ramleh, de Lod et tous les villages environnants seront vidés en un après-midi, 50 000 personnes vidées par Rabin d’ailleurs et là nous sommes dans un cas assez intéressant puisque Ramleh et Lod ont été vidés après la proclamation de l’État d’Israël, ce qui est une autre preuve, parce que parfois on dit que c’est accidentel. Moi je crois que, pour des raisons militaires sécuritaires, quand on est en territoire ennemi, on ne peut pas se permettre d’avoir des populations hostiles ; il faut les déplacer. Or là on déplace 50 000 personnes alors que l’État d’Israël est déjà proclamé, qu’il est reconnu à l’ONU et qu’il n’y a plus de danger.

Le

mouvement principal se déroule donc entre le 29 novembre et le 15 mai et quand les armées arabes entrent en Palestine, la quasi-totalité des 800 000 sont déjà dehors parce que les armées arabes sont entrées le jour de la proclamation de l’État

d’Israël. C’est ce qu’on appelle la guerre israélo-arabe, en fait c’est la deuxième guerre de 1948. Il y en avait eu une avant qui est une guerre d’expulsion, il n’y avait pas d’armée arabe. Et les Israéliens ne parlent que de la deuxième parce que, en ne parlant que de la deuxième, ils peuvent dire : « En 1948, le 15 mai nous avons été agressés par les armées arabes, nous avons mené une guerre de défense. » L’armée arabe était déjà engagée dans une tentative de récupération de ce qui était déjà vidé quand elles sont rentrées. Les réfugiés étaient déjà partis. Le gros des mouvements d’exil a eu lieu au mois d’avril 1948. Nous avons de très bonnes statistiques. La Croix-Rouge et les Quakers ont, malgré toute la pagaille, réussi à faire un nombre surprenant de fiches sur les personnes qui arrivaient. Et nous avons surtout, après, dès que l’Unrwa s’est installée, nous avons aujourd’hui un fonds sur lequel notre travail a commencé qui recouvre - et encore ce n’est pas très précis - près de 46 millions de documents d’archives. Une fois que cette matière sera traitée et informatisée, il y aura du travail pour des décennies sur la situation des réfugiés, qu’elle soit sanitaire ou d’éducation des familles. Vous savez qu’il y a un répertoire total des propriétés perdues selon les numéros et les plans du cadastre. Ça existe.

Peut-on comparer les accords de Genève et les accords d’Oslo ?

Elias Sanbar : Il y a deux choses à dire. Tout d’abord, pour qu’on ne parte pas dans des discussions qui ne sont pas réelles, il faut préciser que les accords d’Oslo sont des accords qui ont été signés et mal appliqués. Ils ont existé. Nous ne pouvons pas ouvrir un débat sur les accords de Genève qui sont un texte virtuel et malheureusement très probablement mort... Donc discutons les textes, mais ne disons pas que nous avons déjà permis à Israël d’appliquer comme il l’entend un texte qui n’est qu’un projet, ne traitons pas ce texte comme un traité en cours de signature. Il n’en est pas un.

L’ordre des séquences est respecté dans le texte de Genève. D’ailleurs le passage que notre amie (l’intervenante) a lu, le montre. Il dit que « les négociations sont fondées sur la reconnaissance de la résolution 194 ». L’application peut prêter bien-entendu à débat, mais, pour moi, elle n’est pas très importante dans la mesure où la négociation n’a pas eu lieu.

Il y a une deuxième chose qu’il faut que vous sachiez. On va faire un peu de diplomatie-fiction, supposer que le texte de Genève est pris, qu’il est signé par un ministre israélien et le gouvernement palestinien. C’est à ce moment que commence la négociation. Aucun État, aucun groupe, aucun responsable ne viendra simplement signer un projet fait par d’autres et pour moi le grand risque - et c’est pour moi la plus grande faille des accords - du projet de Genève, c’est que s’il devenait concret, il constituerait une base de départ qui serait réduite, car les bases de départ dans toutes les négociations sont considérées toujours par l’une des parties, d’habitude la plus forte, comme un plafond et la négociation se fait toujours sur la base de savoir comment allons-nous trouver un dénominateur commun qui soit un peu plus bas... C’est ça le grand problème de ce projet. Cela dit, notre discussion peut être intéressante bien sûr. On peut entrer dans les détails : qu’est-ce que vous en pensez, est-ce que c’est jouable, etc. Mais cette discussion reste quand même relativement théorique. Ce texte est un projet qui a créé quand même un malentendu, une équivoque : dans les pays où nous vivons, il y avait une frustration sur l’impression qu’il n’y a pas de solution au problème si bien que beaucoup de monde s’est précipité sur le texte de Genève comme si c’était un véritable accord. Par exemple ça me fait rire quand je vois des blocs de gens qui sont « pour » et des blocs de gens qui sont « contre » Genève. J’entends les uns me dire : « Nous avons fait un groupe pour faire du lobbying pour Genève. » Mais c’est très virtuel, on n’en est pas du tout là. Et donc on peut en discuter comme un texte pas théorique ou plus que théorique.

Voilà deux équipes qui ont fait une proposition, qu’ont-elles de convenable ? Qu’ont-elles de critiquables ? Est-ce réaliste ? Est-ce acceptable ? Mais on ne peut pas les aborder comme on peut aborder, de façon concrète, critique ou pas, l’expérience des accords d’Oslo qui se sont concrétisés. Certains diront dans le désastre, d’autres diront dans un moyen désastre, d’autres diront dans une chance manquée, mais qui se sont concrétisés. Donc on n’est pas du tout dans le même registre.

Moi je n’aurais pas négocié la question des réfugiés de cette façon-là, donc je ne peux pas la défendre. Néanmoins on ne peut pas faire dire au texte ce qu’il ne dit pas. Ainsi lui faire dire que le droit au retour dépendrait uniquement de la volonté Israël n’est pas exact. Le texte dit que, pour ce qui est du regroupement familial, Israël a un droit de regard, ce qui est très hypocrite et pervers, mais Israël ne dit pas : « C’est moi qui applique le retour. » Israël dit que les gens du projet qui ont signé ont quand même accepté le fait qui est que l’application du droit au retour se fera de façon majoritaire dans les frontières de l’État palestinien. C’est ça que dit le texte. Ce n’est pas Israël. Il y a eu un accord qu’on peut critiquer ou pas, mais le texte ne dit pas : « Israël décide. » Ils ont cédé sur le fait que le droit s’appliquera au sein des frontières de l’État de Palestine et ce faisant relèvera uniquement de la souveraineté palestinienne. Que ça vous laisse sceptique, ce n’est pas un problème pour moi. Je ne suis pas un défenseur acharné de ces accords, mais je pense qu’ils ont eu quand même le principal mérite de montrer que ça n’est pas insoluble et, en ce moment, c’est assez important.

Bernard Ravenel : Ça n’a pas empêché Alain Finkelkraut de dire au meeting de la Mutualité que les Palestiniens avaient abandonné le droit au retour en Israël et en Palestine. Je l’ai entendu. Comment a-t-il pu dire ça dans ce genre d’ambiance, à la Mutualité ?

Elias Sanbar : Cela n’a pas non plus empêché Amos Oz qui, lui, n’était pas à la Mutualité, mais qui est un des concepteurs du projet, de dire à la presse israélienne, le lendemain de la proclamation du projet en Palestine, avant qu’il ne vienne à Genève : « Nous les avons mis à genoux et ils ont levé les mains. » Amos Oz qui, après, est venu ici faire des plaidoiries pleurnichardes sur son amour fou de la paix, a joué au cowboy le lendemain et c’est dans Haaretz que ses déclarations ont été publiées.

On avance souvent, pour contester le droit au retour la question démographique et la nécessité de maintenir un « État juif ». Comment analysez-vous ces problèmes ?

Elias Sanbar : Au départ le projet est un projet non pas d’État juif - il faut faire très attention aux traductions - mais à un État des Juifs. Quand vous dites un État juif, ce n’est pas la même chose qu’un État des Juifs. Dans l’idée, la terminologie, le concept d’un État des Juifs, vous incluez que c’est l’État exclusif des Juifs. Si vous dites la France est l’État des Français, ça veut dire ceux qui ne le sont pas ne sont pas là. Il y a une idée d’exclusivisme dans la notion d’État des Juifs. Et le titre fondateur d’où vient l’expression en allemand qui est Judenstadt, c’est l’État des Juifs, ce n’est pas l’État juif. Donc il y a, dès le départ, l’idée d’un État exclusif, pas simplement un État donné par une volonté divine, mais un État exclusivement donné, un État élu pour une communauté... Il y a deux choix, terre choisie pour une communauté choisie.

À partir de là, c’est vrai que se développe, et dans le discours et dans le travail d’autoconviction, une sorte de postulat qui est le suivant : « Non seulement Dieu nous l’a donné, mais celui qui était là avant l’autre a un droit exclusif de présence, pas une antériorité seulement légitimatrice mais celui qui était là avant l’autre a tout le lieu, n’a pas à être avec un autre dans le lieu. » Et tout le débat pseudo historique s’est quand même déroulé autour de ce thème ; l’idée de la promesse divine faite à Israël s’est inscrite non pas simplement dans l’idée du don divin mais dans l’idée de l’antériorité. Qui était là avant l’autre a droit à tout et qui vient après est un usurpateur donc quelque part un occupant illégitime.

Quand les premières vagues de colonisation commencent, il y a le discours propagandiste qui est élaboré uniquement pour les opinions extérieures : la terre est vide, nous sommes un peuple sans terre, la terre est sans peuple donc il n’y a aucune injustice. Mais les gens qui arrivent savent, et en plus ils les voient. Et leur question n’est pas de savoir si la terre est vide ou pas, leur question est de dire : « Ceux qui y sont n’ont pas le droit d’y être. » C’est comme un propriétaire qui revient dans un domaine et qui voit qu’il y a des squatters qui sont installés ; là c’est tout un peuple. Et commence à ce moment, bien avant 1948, le déplacement. Les squatters, il faut les vider des immeubles et des domaines qu’ils occupent. En plus - et c’est là également que commence le fameux discours sur le désert, etc. - non seulement ils n’ont pas droit à être dans ce qui est notre propriété, mais en plus ils la laissent à la désolation, ils ne la cultivent pas bien, ils en ont fait un désert alors que c’est un paradis, etc. Donc il y a dès le départ une liaison entre l’élection et l’antériorité et la solitude, l’exclusivisme sur le territoire.

Bien entendu cette idée n’est pas née en 1948 et, bien entendu, quand se développent les thèmes du danger démographique, du caractère juif de l’État à préserver, ça n’est pas né en 1948, c’est la quintessence du projet dès le départ ; il y a bien sûr là des mécanismes que l’on pense étendre, des mécanismes légitimateurs.

Quand je dis « les histoires démographiques », je n’apporte pas la véritable réponse au droit au retour ; je ne veux pas dire qu’il n’y a pas aussi des paniques quant au fait que la démographie palestinienne puisse constituer un danger, mais je dis que cet argument ne relève pas du registre du retour ; il relève d’autre chose, il relève précisément de cette histoire de légitimation par la promesse d’élection et la puissance solitaire sur les lieux. D’ailleurs, à preuve que cela ne relève pas de la question du retour, c’est qu’ils sont paniqués avant même qu’il y ait un Palestinien qui soit rentré. Ils sont déjà paniqués par le fait que les 150 000 qui sont restés en 1948 sont aujourd’hui 1 300 000 citoyens israéliens. Ceux-là ne sont pas rentrés et déjà on entend des discours fous sur le fait que la Galilée est en train d’être déjudaïsée. Donc je ne dis pas qu’il n’y a pas des paniques ; je ne dis pas qu’il n’y a pas cette idée pour garder cette pureté de l’État. Mais ces arguments, quand ils sont présentés par rapport à la question des réfugiés, ne sont pas vrais. Ils sont en train de dire leur vraie peur parce que, quand ils parlent de démographie, ils disent que cela leur fait peur, alors que ce qui leur fait peur fondamentalement dans la question des réfugiés, ce n’est pas la démographie, c’est ce qui s’est passé. Ce qui leur fait peur précisément sur la question du caractère religieusement pur de l’État, c’est la démographie, c’est une des peurs, ce n’est pas la seule. Peut-être que je me suis mal exprimé en disant que c’est un alibi. Je voulais dire qu’il est pas à sa place, il sert d’écran pour autre chose.

La pratique des faits accomplis n’est-elle pas la stratégie israélienne pour empêcher toute solution ?

Elias Sanbar : Pour ce qui est de la question des faits accomplis, il est bien entendu que c’est absolument désastreux et il est bien entendu qu’il y a une démarche perpétuelle à vider les choses de sens. Prenez par exemple les négociation à Madrid. À l’époque, je ne sais pas si vous vous en souvenez, Shamir était premier ministre d’Israël et le New York Times je crois avait publié une lettre de conseils pratiques et techniques écrite par Kissinger et adressée publiquement au Premier ministre d’Israël qui disait en substance : « Vous ne pouvez pas ne pas aller à Madrid. Je sais que vous ne voulez pas y aller mais vous ne pouvez pas l’éviter. Le rapport de forces est tel que Bush et Eltsine sont absolument acharnés à vouloir y mener tout le monde. N’essayez pas de contrer Bush. Par contre, vous pouvez négocier indéfiniment. » Et si vous vous souvenez, Shamir, qui avait bien lu l’article, a fait une déclaration en arrivant à Madrid qu’en fait ils ont tous appliquée, même les travaillistes. Shamir a dit : « Nous allons négocier 10 000 ans. » Ça ne veut pas simplement dire traîner, ça peut vouloir dire que si je négocie pendant 10 000 ans, par exemple sur Jérusalem, et que je colonise parallèlement à ma longue négociation, je peux arriver un jour et dire : « Oui d’accord, on va maintenant négocier. » Nous arrivons à table, nous déroulons les cartes et la partie israélienne dira : « Voyons ce qu’il y a à négocier. » Nous regardons les cartes, il n’y a plus rien à négocier. C’est cela les faits accomplis, comment faire en sorte que même s’il y a des avancées, elles ne puissent plus être concrétisées, elles n’aient plus de substance. Et à ce moment la partie israélienne ne dira plus : « Moi je ne peux pas négocier », elle dira : « Regardez la réalité. Soyons réels et réalistes. » C’est textuellement la phrase prononcée par Bush dans sa conférence de presse il y a trois semaines avec Sharon où, en trois mots, il a concrétisé l’adhésion américaine après des années de refus à l’idée que les colonies allaient rester. Quand il a dit : du fait que le conflit est long, il y a des réalités nouvelles sur le terrain, là il est évident qu’elles vont rester. En une phrase, nous héritions de 450 000 colons qui devenaient une réalité constituée sur le terrain du fait du temps. Donc l’idée du fait accompli est certainement stratégie, elle vise précisément à vider la négociation de substance.

Que pensez-vous de « l’État binational » ?

Elias Sanbar : Pour ce qui est de l’État binational, bien sûr que c’est une très bonne idée et que c’est une perspective qui peut être très intéressante. C’est une perspective qui permet de ne pas aller vers des bains de sang et qui permet d’aller vers autre chose que deux ghettos, un ghetto palestinien voisin d’un ghetto israélien. C’est vrai que c’est très bien, sauf qu’il y a des points qu’il faut bien voir et qui n’ont rien à voir avec la valeur du principe ou de l’idée. L’idée est très bonne, mais pour moi cette idée est plus une cible qu’un point de départ. C’est comme la démocratie, c’est très joli, mais vous ne démarrez pas avec, ce n’est pas vrai, c’est un défi la démocratie, vous la construisez. Les gens qui vous disent : « on va faire une élection et dans trois semaines, c’est démocratique », c’est une belle blague, ça se construit, ça ne se décrète pas. Alors il faut voir deux choses. L’idée est très avancée, les Israéliens n’en veulent pas en très grand nombre. Je pense qu’il y a des Palestiniens qui n’en veulent pas. Ils n’ont pas envie de vivre avec eux, il faut être un peu réaliste. Aujourd’hui, avec tout ce qui s’est passé, les Palestiniens n’ont pas envie de vivre avec des Israéliens. Ils en ont trop souffert. Il faut du temps.

Moi j’ai fait des tournées quand nous étions en charge des négociations. J’ai vu les réfugiés dans les camps. Il y avait deux choses très contradictoires et en fait qui ne le sont pas du tout. Quand on a des délégués de délégations étrangères avec nous, bien sûr, les réfugiés refusaient tout et nous on renchérissait ; quand nous étions seuls, entre Palestiniens, il faut que vous l’entendiez, il n’y avait aucun renoncement - c’est-à-dire la même personne, et elle était sincère dans les deux cas - me disait : « Je veux mon droit au retour » et « je ne veux pas vivre avec eux. » Texto. Il ne faut pas se faire d’illusions.

Tout ça pour vous dire que c’est un défi, c’est une construction, ce n’est pas donné. Et là encore, nous partons souvent dans des débats : es-tu pour ou contre l’idée binationale ? Mais je suis à fond pour, est-ce qu’on peut discuter de savoir comment la rendre concrète, pas simplement d’être pour, comment la construire ? C’est vrai qu’elle peut constituer une alternative très bonne et très avancée. Mais nous, les Palestiniens, en ce moment, nous avons déjà deux partis, le parti qui est pour et le parti qui est contre. L’État binational, on n’y est pas. Essayons de voir comment construire cette idée de l’État binational et ça va nécessiter une construction israélienne que nous ne pouvons pas faire.

Nous ne pouvons pas seuls décider qu’ils vont vivre avec nous, il faut qu’ils décident eux de vouloir. Est-ce qu’ils le veulent, est-ce qu’ils ont envie d’être avec nous ? Là, on est dans du réalisme de base. Moi si on va me dire : pour quoi tu es ? Moi je suis pour l’État démocratique, je suis même pas pour l’État binational. Si on veut me demander mon aspiration. Mais jamais je viendrai vous dire : « Voilà le projet aujourd’hui qui est en cours. » Il n’est pas en cours. Pour moi l’État binational est déjà une reculade par rapport à l’État démocratique. Mais l’État démocratique est également dans ma tête une conviction et également une réalité très lointaine. Je ne sais même pas si elle viendra un jour.

En fin de compte, n’y a-t-il pas une crise ou une impasse dans la stratégie palestinienne ?

Elias Sanbar : Je pense que ce n’est pas par hasard - et je ne suis pas du tout en train de critiquer - si nous nous jetons à corps perdu dans l’histoire de Genève. Il faut bien sûr discuter, mais je crois qu’il y a quelque part là une manifestation actuelle de notre crise. Nous n’arrivons pas à être dans du concret. Il faut le dire et se le dire. Ce qui fait que nous partons dans des débats et des batailles sur qui est pour et qui est contre Genève... Moi je sais qu’en Palestine, il y a eu des histoires absolument incroyables sur qui a signé cet accord et qui s’est réuni pour le signer ; alors, il y avait ceux qui étaient sincèrement contre, il y avait beaucoup qui étaient contre parce qu’ils n’avaient pas participé à la rédaction, il y avait ça aussi. Cela relativise un peu. Après on n’arrive plus à écouter de la même façon les propos quand on sait ça.

Il y a aujourd’hui une situation de crise réelle, il y a une situation palestinienne de crise qui n’a pas d’alternative. Il y a de la résistance, de la volonté de ne pas accepter ce qui se passe mais personne ne me convaincra aujourd’hui que nous avons une alternative.

Nous sommes au bout de trois ans d’Intifada dans une situation où les dirigeants n’ont pas adressé une fois la parole à leur base pour lui dire : « Voilà ce que nous allons faire », même si c’est une imbécilité que nous allons faire. Il n’y a pas eu une adresse à la base pour dire « voilà l’étape suivante : c’est telle chose, nous voulons faire telle chose », même si c’est le ramassage des ordures, sans aller dans des stratégies gigantesques. Il n’y a pas eu un message. Il y a un vrai problème. Et dans le mouvement de soutien qui est à l’extérieur, même si on ne connaît pas ce détail, ce vide est en train de se répercuter. Alors on s’accroche à des projets quand ils passent pour essayer un peu, et c’est plus que légitime de s’accrocher, mais nous avons un problème réel.

Pendant la première Intifada, qui était de loin d’une moindre ampleur et qui était très différente, il y avait quand même toutes les semaines un communiqué qui sortait, clandestin, distribué partout, qui disait « les cibles de la semaine sont un, deux, trois »... Chaque semaine. Peut-être que les cibles n’étaient pas géniales, que la perspicacité politique n’était pas fameuse, mais il y avait une sorte de travail de concerve. Les jeunes qui descendaient dans les rues savaient qu’il fallait s’articuler à telle chose parce que la cible cette semaine c’était ça, pour une autre semaine elle concernait les associations de femmes qui devait s’organiser en conséquence, et ainsi de suite.

Nous sommes dans un autre cas de figure et je pense que tous ces questionnements sont légitimes, mais la discussion ne peut suffire à combler un autre vide.

Il y a aujourd’hui une grande question qui se pose et à laquelle je n’ai pas de réponse. Il faut au moins que nous commencions à la dire. Aujourd’hui, quelle est l’alternative face au retrait de Gaza ? Le retrait est un coup complètement pervers et tordu. Le retrait est une organisation pour annexer 5 000 kilomètres carrés de la Cisjordanie. C’est 350 kilomètres de soi-disant cédés dont ils ne veulent pas parce que c’est un bourbier inouï, pour pouvoir en bouffer 5 000. Que faire ? Si je dis : « je ne veux pas qu’ils se retirent de Gaza », on ne comprend plus. L’occupant veut partir, vous dîtes que vous ne voulez pas qu’il parte... Si vous dites « oui c’est bien qu’ils partent », vous êtes piégés, vous êtes dans sa logique de l’échange parce qu’il va partir de Gaza, la totalité des États de la planète - et ça a commencé au G8, Europe en tête - vont applaudir ce pas historique, mais nous savons que, pendant ce temps en Cisjordanie, le Mur continue d’être construit. Hier, des portions de mur interdites par les États-Unis ont été amorcées... Il y a un vrai problème et nous y sommes arrivés pas simplement parce que les Américains et les Israéliens ont été très habiles, mais parce que, depuis un ou deux ans, il n’y a eu aucune alternative proposée d’autre part du côté Palestinien...

J’ai un souvenir très net de l’année 1972 où, tout d’un coup, est arrivée une série de mauvaises nouvelles et où tout d’un coup des choses dont on pensait qu’elles se passaient bien ne se passaient pas bien du tout. Je me souviens de l’effritement à l’époque du sentiment de solidarité par exemple en France quand ces réalités sont apparues et ça s’est fait sur le thème : vous nous avez manipulés ; vous nous avez caché la réalité des choses et vous nous avez instrumentalisés. Peut-être que si nous avions su - mais nous ne savions pas - la réalité de la situation et que nous en avions parlé, on nous aurait dit : vous êtes en train de venir nous déprimer... Mais finalement ça a été un désastre ; le nombre de gens qui se sont arrêtés de se battre sur la base du fait qu’ils avaient été trompés, manipulés, utilisés était très grand... Il ne faut absolument pas recommencer.

[1] The United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East.

Elias Sanbar, réfugié palestinien vivant à Paris, historien, est rédacteur en chef de la Revue d’études palestiniennes.
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L’Orient le Jour | 18 avril 2008

Saleh Al Naami | 18 avril 2008

PCF | 18 avril 2008

Brahim Senouci | 18 avril 2008

17 avril 2008

Jean-Claude Lefort | 17 avril 2008

Mohammed Omer | 17 avril 2008

Adel Zaanoun | 17 avril 2008

17 avril 2008

Reuters, Afp et BBC | 17 avril 2008


L'AFPS
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11 janvier 2009 7 11 /01 /janvier /2009 13:32
La question des réfugiés et le droit au retour


 

sommaire :

Présentation par Bernard Ravenel

Quelques rappels

Une question existentielle

Une peur permanente

Le début des négociations et les termes de référence

Les batailles préalables à des négociations et l’arrêt de celles-ci

Les propositions palestiniennes

Débat

Présentation

Dans notre cycle qui entend présenter les différentes dimensions du problème palestinien, il n’était pas pensable de ne pas aborder au fond le problème des réfugiés qui constituent la majorité de ce peuple. Et nous tenions à ce que ce thème soit présenté par la personne qui, en France, connaît le mieux le dossier, à savoir Elias Sanbar, qui a été responsable de la délégation palestinienne sur ce sujet dans le cadre des négociations multilatérales issues de la Conférence de Madrid en 1991. Je le remercie au nom de l’AFPS d’être parmi nous ce soir.

En préalable, je voudrais faire une remarque d’ordre sémantique :

« Droit au retour » ou « question des réfugiés », la différence dans la dénomination n’est pas innocente. Elle désigne le lieu d’où l’on parle et les perspectives dans lesquelles on entend s’inscrire. Ici - les réfugiés - ce sont des considérations humanitaires liées aux conditions de vie dans les camps qui prennent le pas ; là - le retour - c’est en termes de droit que l’on entend raisonner, un droit de chaque individu, mais aussi un droit à l’échelle d’un peuple : comment parler du droit à l’autodétermination dès lors que la majorité de ce peuple est en exil forcé. Par ailleurs, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, le terme même de « retour » évoque inévitablement un élément-clé des relations qu’entretient l’État d’Israël avec la diaspora juive. La loi israélienne du même nom fait de chaque juif dans le monde un citoyen israélien pour peu qu’il en manifeste le désir.

Pour les Palestiniens, cette question est au coeur de l’injustice qui leur a été faite. Pour Israël, elle est directement liée au caractère juif de l’État proclamé en 1948. Les modalités de sa résolution seront probablement, aussi bien du côté israélien que du côté palestinien, le critère principal d’adhésion ou non aux accords finaux.

Pendant quarante-cinq ans (jusqu’au processus de paix lancé à Madrid en 1991), la question des réfugiés est restée peu débattue. Tant que la question palestinienne était posée comme un tout indissociable, elle paraissait insoluble. Parler de la nécessité d’une solution globale pour les 5 millions et quelque de Palestiniens, c’était accepter l’idée que le compromis n’était pas envisageable. Mais avec l’évolution stratégique de l’OLP, il est devenu possible d’isoler la question des territoires occupés pour la traiter dans un cadre spécifique tout en traitant parallèlement la question des réfugiés dans le cadre de négociations multilatérales.

Elias Sanbar était donc au centre de cette négociation. C’est pour cela que la présentation de ce thème, parfois instrumentalisé, en particulier par les adversaires de toute solution, par Elias Sanbar, nous paraît particulièrement nécessaire et opportune. Bernard Ravenel

Le texte qui suit a été établi à partir de la retranscription de la conférence d’Elias Sanbar et du débat qui a suivi. Il n’a pas été revu par l’auteur.

La question des réfugiés est la question centrale du problème israélo-palestinien, parce que c’est la question originelle, le noeud le plus complexe de tous parmi les diverses questions à résoudre. Elle dépasse toutes les autres car elle réunit la question du passé, le présent (60 % de la population palestinienne est réfugiée), et l’avenir. La clé fondamentale de ce que l’on pourrait appeler une possible réconciliation se trouve là et pas ailleurs. On peut aboutir à un accord sur Jérusalem sans que cela nécessite forcément une réconciliation car on peut gérer cette question d’une certaine façon selon les accords de paix, par exemple prévoyant un contrôle international avec des garanties ; on peut trouver une formule. On peut régler la question des colonies également par pures négociations entre deux partenaires. Mais on ne peut pas arriver à une solution de la question des réfugiés sans aborder la question de la réconciliation.

Quelques rappels

Quelques rapides précisions de vocabulaire car le vocabulaire joue beaucoup.

1/ Tout d’abord, on a tendance spontanément à considérer comme réfugiés les Palestiniens qui habitent les camps de réfugiés et c’est évidemment logique d’y penser. En réalité, concernant la question du retour, le problème des réfugiés ne concerne pas uniquement les habitants des camps mais la totalité de l’exil palestinien car il y a une partie des exilés palestiniens qui ne vivent pas dans des camps ou qui n’ont même pas vécu dans des camps, mais qui n’en sont pas moins des gens titulaires et habilités à réclamer l’application de ce droit car il les concerne et il les touche. Donc quand on parle du droit au retour et des réfugiés, il ne s’agit pas uniquement de la population des camps.

Il faut que vous sachiez que, dans le cadre des négociations, une trouvaille commode de vocabulaire a été apportée pour pouvoir distinguer les dossiers. Mais en distinguant les dossiers, on a quand même semé une confusion : les réfugiés, les expulsés palestiniens de 1967 et non pas de 1948, ont été déclarés, pour la commodité du vocabulaire, pour qu’on puisse distinguer les deux négociations l’une de l’autre, des populations déplacées. En fait ils sont exactement dans la même situation que ceux de la première vague d’expulsion en 1948. Donc ce problème concerne comme vous le voyez les gens expulsés en 1948, les gens exilés à qui on n’a pas permis de revenir, les gens déplacés de force en 1967 et qu’on ne laisse pas revenir chez eux, donc de façon assez globale près de 60 % du peuple de Palestine. Ce qui veut dire une majorité écrasante, ce n’est pas une frange, donc ce n’est pas seulement une question centrale, elle touche, elle concerne la majorité démographique aussi. Ce n’est pas une minorité qui constitue une question importante, c’est la majorité qui constitue la principale question. C’est pour cela que c’est un grand, grand, grand noeud.

2/ La deuxième chose qu’il faut savoir, c’est quant à la géographie du réfugié. En 1948, l’expulsion s’est passée de plusieurs façons. Vous avez tout d’abord les Palestiniens qui résidaient, qui habitaient dans la partie littorale plus les premières plaines derrière le littoral, notamment la Galilée, la plaine de Jaffa ; cette région, qui est devenue l’Israël de 1948, a été très massivement vidée de sa population puisque, à l’époque, ce qu’on appelle toute la Palestine historique, c’est à-dire Israël actuel, plus Cisjordanie, plus Gaza, totalisait 1 400 000 personnes environ. Sur ces 1 400 000 personnes vous avez en 1948 à peu près entre 760 000 et 800 000 qui sont expulsés, c’est-à-dire à qui on fait passer les frontières. Il y a d’autres populations qui, sans être expulsées, c’est-à-dire les Palestiniens originaires de la Cisjordanie ou de Gaza, se trouvent détachées de la Palestine sans en être sortis ; en effet, la bande de Gaza passe sous contrôle égyptien, la Cisjordanie sous contrôle transjordanien et ces Palestiniens-là, sans avoir bougé de Palestine, se retrouvent littéralement en dehors de la Palestine puisque la Palestine disparaît et qu’émerge à sa place un État qui s’appelle Israël.

Pour avoir une idée des chiffres, il faut que vous sachiez que vous avez à peu près 800 000 personnes qui sont expulsées. Le premier recensement israélien, de 1950, dénombre à 152 000 les Palestiniens encore présents dans les zones sous contrôle israélien. Donc si nous ajoutons les 152 000 aux 800 000 réfugiés expulsés, que nous soustrayons ces 950 000 du 1 400 000, nous évaluons à 450 000 ceux restant qui se sont retrouvés dehors, les habitants de Gaza et de la Cisjordanie.

Maintenant, comme dans toute expulsion, une expulsion ponctuée de massacres, les populations en règle générale se déplacent vers les frontières les plus proches et en fonction des seules routes sûres. Les populations civiles - qui ont encore en tête non seulement le massacre de Deïr Yassin, le plus connu, mais aussi de nombreux autres qui ont ponctué l’expulsion et dont on commence enfin à parler - se déplacent vers les lieux les plus proches. C’est ce qui explique qu’en règle générale la population du Nord (Galilée, Haute-Galilée, Basse-Galilée, région de Haïfa et de Saint-Jeand’Acre) va se retrouver soit au Liban, soit en Syrie. C’est ce qui explique également que les populations palestiniennes des zones centrales (celles qui vont de Haïfa à Jaffa) vont aller dans deux directions, soit vers la Cisjordanie, soit vers Gaza et de Gaza vers l’Égypte. D’autres après iront encore plus loin, vers l’Irak, vers l’Europe, vers les Amériques, vers l’Amérique latine, ainsi de suite.

Je rappelle tous ces mouvements pour bien indiquer qu’il y a des réfugiés palestiniens, des exilés palestiniens au Liban, en Syrie, en Égypte, en Irak, en Jordanie bien sûr, etc., mais il y en a également qui sont réfugiés sur des portions du territoire de la Palestine puisqu’il y a des camps de réfugiés en Cisjordanie et à Gaza, ce qui fait que vous avez une situation très complexe sur le plan du statut. Vous avez des Palestiniens qui vivent au milieu de frères arabes, qui vivent cela comme un bannissement parce que l’exil est une notion trop étrangère en fait - on n’est pas exilé chez soi ; les Arabes étaient notre prolongement naturel, nous étions bannis chez des frères - mais vous avez également cette situation très étrange où des Palestiniens résident au milieu d’autres Palestiniens. Le camp de réfugiés de Naplouse par exemple est près de Naplouse ; le camp de Naplouse est habité par des réfugiés venus de ce qu’on appelle les zones de 1948, Naplouse est habité par les habitants de Naplouse.

Et vous avez à cette époque deux catégories de Palestiniens, l’une qui est dans la situation du refuge et l’autre qui est dans la situation de la déchirure, c’est-à-dire coupée de la Palestine sans avoir bougé de l’espace.

Donc vous voyez cette situation du retour concerne non pas des aspirations différentes, mais touche des États, des situations extrêmement diversifiées. Cela ne change rien au sentiment ; le sentiment est unitaire et la réclamation est unanime sur ce point. Mais cette situation touche quand même beaucoup aux perceptions. Il est certain qu’un Palestinien qui habite un camp de réfugiés en Palestine ne fonctionnera pas par rapport à son idée du territoire de la même façon qu’un Palestinien qui habite un camp de réfugiés au nord de la Syrie par exemple, le rapport à la territorialité, le rapport au déplacement, le rapport à l’absence est quand même différent, il y a des nuances. Ça ne change rien fondamentalement, mais c’est important de le savoir.

Cette question du droit au retour est née très, très vite, c’est-à-dire immédiatement après l’expulsion, au moment où les réfugiés commencent à débarquer. Et l’expulsion s’est faite très vite. Donc il y a eu une sorte de choc. Ça n’a pas été une hémorragie au cours de laquelle des gens partaient petit à petit. Tout s’est joué en à peine quelques semaines. Donc il y a une situation de véritable choc, et pour ceux qui sont expulsés, et pour ceux qui les voient arriver aux frontières arabes. Il y a une situation également très compliquée sur le plan matériel et humain, sur le plan sanitaire. Et, très vite, l’ONU va réagir par une condamnation parce qu’il n’est pas prévu en principe que le partage de la Palestine se passe ainsi.

C’est à partir de là que les deux premières organisations qui vont recevoir les gens - et qui n’étaient pas là pour cela puisque personne ne savait ce qui allait se passer - sont d’une part la Croix-Rouge internationale, qui se trouvait dans les pays limitrophes et qui a immédiatement couru vers ce théâtre du désastre pour accueillir les populations, et des missions humanitaires de Quakers américains qui faisaient à l’époque un travail humanitaire dans la région de Gaza. Ce sont ces deux organisations qui ont en fait encaissé le choc puisque l’ONU n’avait pas encore préparé des institutions pour recevoir le flot des réfugiés. Puis très rapidement ces deux organisations vont transférer leurs activités à une agence qui s’appelle l’Unrwa [1], créée dans la foulée du vote en décembre 1948 de la résolution 194, celle qui institue le droit au retour.

Sur ce point, un rappel est nécessaire car cela va beaucoup peser à l’avenir : la résolution 194 dit que tout Palestinien a le droit au retour et il sera indemnisé dans le cas où il ne voudrait pas exercer son droit. La nuance est capitale. Jamais le texte fondateur de cette question du droit au retour ne dit : ou les Palestiniens rentrent ou ils sont indemnisés, c’est-à-dire il n’y a jamais eu dans le texte l’idée d’instituer l’indemnisation comme une alternative au droit. L’indemnisation n’est présentée dans le texte de la résolution que comme un choix de ceux qui, détenant le droit, décideraient de ne pas exercer leur droit et seraient à ce titre habilités à réclamer d’être indemnisés pour les biens qu’ils ne veulent plus réclamer. Ils ne veulent plus les réclamer. On ne peut pas leur dire : vos biens sont partis, vos droits sont partis et voilà en échange une somme. Ce n’est pas ce que dit le texte. J’insiste là-dessus parce que cette lecture biaisée de la résolution est un des points fondamentaux de la bataille diplomatique.

La deuxième chose qu’il faut savoir, c’est que l’Unrwa, qui est une agence de l’ONU, est unique en ce sens que, à la différence de toutes les autres agences des Nations unies, elle est la seule créée de façon expresse et limitative pour la question des réfugiés de Palestine. Les organisations de l’ONU par exemple pour la santé, pour l’enfance, sont mondiales : elles peuvent aller sur n’importe quel théâtre où il y a des problèmes de santé, des problèmes pour l’enfance ; les agences pour l’éducation peuvent aller dans n’importe quel pays où il y a des problèmes d’éducation, l’Unrwa a été créée de façon expresse et exclusive pour s’occuper des réfugiés palestiniens et j’ajoute - c’est dans son règlement interne - elle disparaîtra le jour où les droits seront accomplis. Donc l’Unrwa trouve sa raison d’être dans le fait que le droit n’a pas été appliqué et l’existence de l’Unrwa est, sur le plan juridique, la preuve permanente que ce droit attend son application. C’est également très important. Je vous raconterai après comment, à un moment donné, les Américains et les Israéliens se sont attaqués durant la négociation, à cette question des droits en prétextant une campagne pour la fermeture de l’Unrwa pour des raisons soi-disant purement institutionnelles. Parce que si vous abolissez cette institution, cela signifie que, puisque c’est son statut, que le droit a été satisfait et donc vous voyez que cette institution - par-delà les tâches dont elle s’est occupée, l’éducation, la santé, etc. - a une portée infiniment plus importante et va infiniment plus loin qu’une simple activité d’agence humanitaire. Son existence est la preuve quotidienne que ce droit attend son application.

Partant de là, la question du droit au retour a, dès le départ, vous vous en doutez, été contrée par un refus absolu de la part d’Israël. Ce n’est pas une question qui a été débattue avec des points de vue même diamétralement opposés ; c’est une question dont il était littéralement interdit de parler. La question du droit au retour, plus que toutes les autres, était une question fondamentalement tabou, interdite. Les thèmes et les alibis sur le danger démographique, etc., que vous entendez aujourd’hui n’ont commencé à émerger que précisément lorsque nous avons réussi à ouvrir la question, comme des tentatives pour bloquer l’avancée du débat. Au départ, il n’y a strictement aucun débat, cette question ne se pose pas. Elle est inventée, disent les Israéliens, inventée de toutes pièces par ces Palestiniens qui sont partis d’eux-mêmes, qui sont partis en s’enrichissant, parce qu’ils nous ont roulés en vendant leur pays et très souvent à des prix que leurs terres ne valaient pas ; et maintenant qu’ils se sont enrichis, ils viennent pleurnicher en disant qu’on leur a pris leurs terres. Et d’ailleurs la meilleure preuve qu’ils n’existent pas, c’est qu’ils n’ont aucun attachement à leur patrie puisqu’ils l’ont vendue. C’était ça leur thème. Mais voyons, personne n’a obligé personne à partir ! etc.

Une question existentielle

D’où vient cette espèce de panique - car, malgré l’outrance des propos, c’est une position de panique qu’adopte Israël dès que l’on aborde cette question ? Elle vient de deux registres et une fois que je vous les aurai détaillés, vous comprendrez encore plus pourquoi cette négociation est compliquée.

Elle vient tout d’abord d’un registre que j’appellerai un registre de légitimité publique et qui peut s’énoncer comme cela : l’État d’Israël, dans la perception du mouvement sioniste et dans la perception des membres de ce mouvement, a été dès le départ présenté comme la solution au problème juif, pardon à la « question juive » parce que c’est en ces termes qu’elle était formulée déjà dans le célèbre texte de Marx. Donc, dès les pogroms tsaristes, combinés aux effets de l’affaire Dreyfus commence à se développer l’idée « nous n’avons de place nulle part, il faut qu’il y ait un État refuge » ; c’est parti du choc qu’a un journaliste viennois du nom de Hertzl qui couvre le procès Dreyfus et qui, alors qu’en arrivant à Paris, il est plutôt quelqu’un dans les thèses de l’intégration des juifs dans les sociétés européennes, en revient avec l’idée d’un État refuge, mais un État refuge face à des persécutions. Donc, dès le départ - et ça n’a rien à voir avec ce qui s’est passé sur le terrain - dans le mouvement sioniste et dans la perception extérieure de ce mouvement, dans les opinions occidentales, le projet est présenté comme un projet qui vise à faire justice à des persécutés.

Le fait que le pays qui va servir de havre et de refuge soit peuplé ne pose pas problème. Il ne pose pas de problème dans la mesure où, à l’époque (il faut aussi se mettre dans la mentalité de l’époque et dans la vision politique de l’époque) ceux qu’on appellera par la suite les pays colonisés ou les pays du Sud ne comptent pas. Le slogan qui disait dans le débat de 1967 « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre » est très tardif ; en fait tout le monde savait que la terre n’était pas vide. Le grand problème, c’est que, comme ce sont des gens différents (des Arabes, des Africains, des Asiatiques, c’est comme ça qu’on les percevait), ils ne comptent pas. Et quel est le problème à devoir les consulter pour savoir si on va prendre leur espace pour en faire autre chose ? Donc cela passe.

Mais dès le départ, ce qui est important dans toute cette histoire, c’est la perception que cette histoire est juste. Et cet aspect d’histoire juste va devenir infiniment plus fort avec le déferlement de la barbarie nazie. Après ce qui se passe durant la Deuxième Guerre mondiale et la montée hitlérienne également à partir des années 1933, la terre entière est convaincue que la proclamation de l’État d’Israël est la réponse juste à une injustice, que le nazisme étant un mal absolu, la riposte israélienne au mal absolu est forcément un bien absolu. Et donc dès le départ commence à fonctionner ce thème non pas de la légitimité politique ou de facto - vous avez des États qui sont nés par la force, par des conquêtes, et qui ont dit : voilà nous avons conquis, nous proclamons, nous sommes là, ou par une colonisation (les États-Unis en sont un fantastique exemple) - mais une légitimité morale. Et c’est un État qui naît à partir d’une guerre d’expulsion qui est quand même quelque chose de moralement très peu légitime.

Donc, dès le départ, la question de la légitimité va être perçue sur le plan étatique comme menacée, mortellement menacée, au cas où on accepterait l’idée que cet État légitime est né d’un acte illégitime. Commence alors à se développer une espèce de panique à savoir : tout le monde dit que nous ne devons pas exister, que l’État d’Israël doit être aboli, qu’il s’est érigé à la place de la Palestine et que la Palestine ne peut réémerger de la disparition, que si Israël recède la place. L’idée que les épisodes de la naissance de l’État d’Israël puissent être divulgués, provoque à ce moment des réactions de pure panique car elle est liée à l’État d’Israël, non pas à un épisode pas très glorieux de son histoire, mais à sa naissance et ça veut dire à sa légitimité, donc à son existence future. Les Israéliens sont convaincus que si l’État d’Israël est illégitime, il n’y a plus aucune raison pour qu’il existe.

Ainsi, cette question qui, en apparence, n’est qu’une question de droit - elle l’est aussi, et pas seulement en apparence -, mais qui n’apparaît que comme une question de droit ou une question du débat historique, est une question existentielle sur le plan étatique pour les Israéliens. D’où cette espèce de fermeture absolue dès qu’elle est abordée. Il y a un crime qu’il s’agit de ne pas dévoiler. C’est pour cela qu’on peut dire qu’ils savent ce qui s’est passé. C’est ça le noeud le plus important dans l’histoire. Les Israéliens savent tous ce qui s’est passé, tous à commencer par ceux qui n’ont pas vécu ce qui s’est passé. Et c’est pour cela qu’il y a une véritable panique dès que vous abordez la question, ils savent ce qu’ils ont fait et ils savent que nous savons ce qu’ils ont fait.

Une peur permanente

À partir de ce point, on passe à l’autre registre qui est plus intime, plus individualisé, plus personnel. L’État d’Israël est donc né comme une riposte à une barbarie et peut-être qu’il l’a été en partie puisqu’un grand nombre des rescapés se sont retrouvés là. Que cela justifie l’expulsion d’un peuple est une autre histoire. Et l’État d’Israël est dès le départ façonné, construit et bâti par rapport aux individus qui le constituent sur le thème du camp retranché.

Chaque individu est élevé, vit, est organisé - l’école le dit, l’université le dit, l’entraînement permanent à l’armée le montre, l’idéologie militariste le dit - avec ce sentiment de la citadelle assiégée et le sentiment que non seulement la légitimité politique de l’État est menacée, mais également l’existence physique de ses habitants. L’individu est dans une double inquiétude, celle que son État ne soit plus légitime, et donc que l’édifice s’effondre, et celle que lui-même ne soit plus légitime, en tout cas ne soit plus autorisé à être là où il est, pour certains là où ils sont nés, et que donc l’existence physique soit remise en question, c’est à dire l’idée du massacre.

Et donc ce phénomène qu’on trouve au niveau public, à savoir qu’il ne faut pas que ça se sache, devient encore plus fort au niveau individuel. Il ne faut surtout pas le reconnaître, parce qu’à la seconde où moi, en tant qu’individu, je reconnais que j’ai pris la place d’un autre, que ma famille a occupé la maison d’un autre, que j’ai expulsé, on pourra tout à fait venir me dire, non seulement tu as commis une injustice, mais encore tu n’as plus le droit de vivre ici. C’est pour cela que cette question du droit au retour touche à des registres qui ne sont pas strictement diplomatiques ou strictement politiques ou strictement humanitaires. Elle relève aussi d’autre chose et là vous avez un très gros noeud, d’ailleurs avec de très grandes ramifications, et je n’exagère pas, de type schizophrénique, psychanalytique.

Je vous raconte juste une histoire pour que vous vous imaginiez l’état dans lequel ces choses se vivent. Il y a quelques années, j’étais en Palestine et j’ai rencontré un Israélien, non pas simplement un pacifiste, mais quelqu’un d’extrême gauche, c’est-à-dire un personnage considéré comme un traître absolu par sa propre société. Ce qu’il m’a dit est quand même très dur, pour quelqu’un qui est pour le droit au retour, qui me déborde même parfois sur cette question. Donc il m’a dit : « Tu sais, c’est quand même très compliqué. » Je lui dis : « Qu’est-ce qui est compliqué ? » Il me dit : « Tu sais, moi, j’étais avec ma famille dans les camions qui étaient pleins, chargés de gens autour des deux villes de Ramleh et Lod. » (Lod est devenu l’aéroport de Lod aujourd’hui, et vous savez durant l’expulsion, ça aussi on ne le raconte pas assez, des camions chargés de civils israéliens étaient toujours préparés quasiment en bordure des affrontements militaires pour que, dès que le village tombe ou que la ville tombe, les remplaçants soient immédiatement installés dans les maisons, qu’il n’y ait aucune possibilité de retour, même une demi-heure plus tard. C’est pour cela qu’il y a tellement de récits israéliens de maisons dans lesquelles ils débarquent, où les repas sont encore chauds ; ça n’est pas de la mauvaise littérature, c’est vrai.) Donc, cet ami me dit : « Tu sais j’étais dans un des camions de Ramleh et en un tour de main la ville a été vidée ; une heure après nous étions installés dans une maison et il y avait effectivement à la cuisine un repas qui cuisait. La mère était partie en catastrophe. » Je lui dis : « Oui, ça a dû être très dur » ; il me dit « non c’est pas ça qui est dur ». Je lui dis : « Qu’est-ce qui est le plus dur ? » Et là vraiment il m’a ouvert les yeux sur une dimension qui est quand même très lourde. Il m’a dit : « Le plus dur, c’est que, pendant des années après, chaque fois que nous avons eu soif, nous avons bu de l’eau dans leurs verres. Et ça, ça rend fou, ça dépasse l’analyse politique, ça donne un profond sentiment, qu’on le veuille ou non, et surtout que vous n’avouerez jamais, de ne pas avoir le droit d’être là où on est. »

C’est au niveau de l’essence humaine, on n’est plus du tout dans de grands débats, on est dans de l’humanité et ça a rendu beaucoup de gens très fous. D’où cette espèce de défensive permanente ; dès que vous abordez la question du retour, on ne te dit pas : « Qu’est-ce que tu veux dire ou qu’est-ce que tu prétends ? » La réponse, dès qu’on l’aborde, c’est : « Est-ce que tu veux me tuer ? » On l’a entendu tout le temps : « Est-ce que vous parlez de cette histoire pour nous massacrer ? » En quoi le fait de réclamer son droit équivaut-il à leur massacre ? Mais c’est comme ça en permanence.

Donc cela a constitué l’essence du blocage, tout le reste, tout ce que vous avez entendu après sur « les résolutions ne disent pas cela », « vous êtes trop nombreux, vous allez perturber le caractère juif dominant de l’État », etc., sont quasiment des arguments d’arrière-garde, des arguments de retrait défensif. Le fond de l’histoire est là. Si, à la seconde où nous reconnaissons votre droit, nous faisons aveu de notre illégitimité profonde, n’espérez pas obtenir de nous de nous suicider. C’est cela tout le problème de la négociation du droit au retour. Et c’est pour cela que c’est très bloqué. Et c’est pour cela que les discussions qui vont dans tous les sens sur la démographie sont des pièges.

Le début des négociations et les termes de référence
Le début des négociations et les termes de référence

Nous, Palestiniens, nous ne devrions pas discuter pendant des heures pour dire : « Ne vous en faites pas, ça sera 150 000, pas 225 000 vous comprenez, 150 000 c’est pas terrible... » Le problème n’est pas là, ils le savent. Il faut aller vers les questions de légitimité, une question de conditions de naissance. Dans quelles conditions est né l’État d’Israël et c’est ça qui est la clef de cette histoire.

Bien entendu, cela n’a pas empêché, à partir d’un certain moment, les négociations de s’ouvrir. Mais avec tout ce que je vous ai dit, vous pouvez commencer à imaginer les tactiques de négociation qui ont été employées. En un mot, c’est très simple. Il fallait tout faire pour ne pas poser la question. Que pouvait-on aborder pour ne pas revenir à cette question ?

Donc, à l’ouverture des négociations, on nous a dit que la question des réfugiés allait être abordée - on ne pouvait pas l’éviter, les rapports de force ne permettaient pas aux États- Unis de la sortir de la négociation - mais ils se sont très vite arrangés pour dire qu’elle faisait partie des questions explosives - ils ne disaient pas explosives, ils disaient des questions les plus ardues... « On ne peut pas espérer commencer une négociation par le plus dur et donc prendre le risque d’une impasse immédiate. Nous allons négocier les choses négociables, celles sur lesquelles on peut s’arranger, nous allons laisser de côté pour plus tard les questions qui elles sont plus complexes : Jérusalem, les colonies, les réfugiés, l’eau, les frontières et la sécurité. »

Mais la pression était telle - car la majorité écrasante de ce peuple est composée de réfugiés -, qu’ils ont dû inscrire cette question dans le volet dit des négociations multilatérales, présentées de façon très vague au départ, c’est-à-dire des négociations techniques.

Et nous sommes allés à cette ouverture des négociations à Ottawa. À l’époque, nous étions tous à Washington, nous avons constitué une petite délégation et nous nous sommes retrouvés à Ottawa pour l’ouverture des négociations sur les réfugiés.

Dès le départ, une cible était très claire - et là nous avions un peu réussi, malgré le rapport de force extrêmement défavorable, à utiliser une règle que les Américains nous avaient imposée ailleurs et qui s’est retournée contre eux. Les Américains avaient systématiquement accompagné les ouvertures des négociations de ce qu’ils appelaient « les termes de référence », c’est-à-dire un peu la règle de base à partir de laquelle les négociations se mènent. Donc, nous avons dit : il faut le terme de référence de cette négociation, même si elle est purement technique et que la vraie négociation viendra au bout de la période transitoire. Dans notre esprit, l’idée était de poser dès le départ la résolution du droit au retour.

Nous partons de cela, ce que sachant la délégation israélienne n’est pas venue à l’ouverture et nous avons fait l’ouverture sans Israéliens. Et là, ils ont commis une faute dont nous étions en principe les champions, nous les Arabes en général, à savoir la chaise vide, et nous avons réussi à ce moment, en l’absence des Israéliens, à mettre au préambule des négociations multilatérales que les négociations étaient basées sur les termes des résolutions, de toutes les résolutions de l’ONU relatives à la question des réfugiés palestiniens. Donc nous avons réussi non pas à négocier mais à marquer un point de référence qui est vital. Tout tourne autour de cette histoire, est-ce qu’il y a un droit ou pas ? et si on dit qu’il y a un droit, cela va ouvrir l’autre histoire.

Les batailles préalables à des négociations et l’arrêt de celles-ci

Néanmoins à cette négociation intervient une des premières trouvailles américaines. C’est le discours du chef de la délégation américaine qui dit : « Pour négocier sur les réfugiés, il faut quand même qu’on fasse des définitions. Nous sommes réunis pour discuter le cas des réfugiés et les réfugiés sont toutes les personnes qui ont subi des déplacements du fait de la crise du Proche-Orient. » Et il a commencé à donner des exemples : les Kurdes en Irak, les populations du Sud Liban du fait de la guerre civile, les populations syriennes du Golan, les juifs des pays arabes ; tout d’un coup, tout le monde est devenu réfugié. Et il y avait donc au départ dans la reconnaissance de cette résolution comme terme et comme élément de base de la négociation une politique très claire consistant à dire : il y a un problème de réfugiés, il est régional, il n’y a pas de problème palestinien des réfugiés ; il y a un problème comme dans toutes les situations de guerre, les gens bougent - c’est vrai, dans toutes les guerres il y a des mouvements de réfugiés. Subitement, nous étions assimilés à des mouvements de populations. Donc, la première bataille a consisté à casser cette définition qui n’a pas été retenue.

La deuxième bataille s’est faite en présence de la délégation israélienne qui a réalisé que les choses étant faites, il ne fallait plus laisser la place vide. Ils sont venus, dirigés d’abord par Schlomo Ben Ami, lui-même juif marocain (qui est devenu par la suite ministre de Barak) et j’ai réalisé très vite et ça se sentait à des kilomètres, que la totalité de la délégation israélienne était composée de juifs des pays arabes. Et le thème a été : toutes les guerres, tous les conflits provoquent des injustices, nous sommes à égalité dans les torts, les Palestiniens sont partis de chez eux, les Juifs arabes ont été chassés de chez eux, nous avons calculé les pertes de part et d’autre, nous sommes entièrement quitte et la question est réglée. Il y a eu une sorte d’échange de population. Mais une deuxième bataille a été menée sur ce thème et elle a été quand même de nouveau été bloquée.

La troisième bataille, qui était à mon avis politiquement la plus dangereuse, s’est déroulée en Turquie où avait eu lieu une session qui avait coïncidé avec le début de l’installation de l’Autorité nationale palestinienne à Gaza et donc le début de l’émergence d’institutions, de fonctionnaires, de bureaux, etc. Et à ce moment-là - les Israéliens n’ont pas ouvert la bouche sur cette question, car ça aurait été trop gros que ce soit eux qui présentent la demande - la demande a été faite par les Américains et les Canadiens, en tête-à-tête au départ, en tant que délégation palestinienne dès notre arrivée : « Voilà, nous avons des choses très importantes à vous dire. Vous êtes en train de prendre votre pouvoir à Gaza, en Cisjordanie, vous êtes en phase de powerment (Powerment, c’est comme une mise en orbite de pouvoir, vous êtes en train d’être chargé en terme de pouvoir comme on charge une pile) et quand même vous ne pouvez pas, alors que votre pouvoir émerge, supporter l’existence d’un État dans l’État qui a quand même 110 000 fonctionnaires, ce qu’aucun organe ou institution palestinienne n’a. Donc est-ce que vous ne voudriez pas, vous en tant que Palestiniens, réclamer la fin des activités de l’Unrwa maintenant que vous prenez vos affaires en main. Vous êtes en train de faire votre État, votre souveraineté devient réalité et vous n’allez pas vous encombrer de cet organe. »

Parallèlement à cela, c’est exactement à cette période que les États-Unis qui, depuis sa promulgation, avaient voté tous les ans la résolution sur le droit au retour, se sont subitement abstenus. Et l’année qui a suivi, ils ont voté contre. C’était en 1995, à la session de l’Assemblée générale, à l’automne. Tout d’un coup, les Américains ne votent pas et demandent aux États arabes de s’abstenir. Ils savent qu’ils ne peuvent pas leur demander de voter contre mais de s’abstenir.

Alors quel est le deuxième discours qui accompagne celui du pouvoir palestinien qu’il s’agit de consolider ? le deuxième discours, c’est : « Vous ne pouvez pas passer votre vie à vous encombrer de termes de référence qui datent de cinquante ans. Une négociation réelle, créative, se doit d’élaborer et de créer ses propres termes de référence. Vos termes de référence, la négociation sur les réfugiés, vous les rédigerez vous et les Israéliens, vous n’avez plus besoin des résolutions de l’ONU. »

Donc nous avions une attaque double, l’une sur les textes fondant le droit, l’autre sur l’institution dont la permanence disait tous les jours que ce droit n’était pas encore satisfait. Et là, nous nous en sommes vraiment tirés de justesse dans la mesure où ça n’a pas du tout marché au niveau de la délégation. Nous étions quand même complètement dedans, ça n’a pas beaucoup marché au niveau des responsables palestiniens qui, pour la plupart, n’étaient pas encore rentrés en Palestine. Mais il faut malheureusement dire que certains de ceux qui étaient déjà installés avec l’Autorité en Palestine, étaient assez sensibles à ce discours sur la consolidation de leur pouvoir. Et donc nous avons mené là une bataille très difficile puisque nous avons dû contrer et la pression américaine et canadienne et les accords déjà donnés par certains de nos responsables à Gaza. J’ai absolument la conviction que c’est ce qu’il fallait que je fasse.

Et puis les négociations se sont arrêtées sur les réfugiés. Ils ont lancé le fait qu’il fallait maintenant passer aux négociations sur le statut final, que ce n’était plus la peine d’aller en discussions techniques, etc.

Finalement ce qu’il faut tirer de cet épisode c’est que la négociation sur la question du droit au retour des réfugiés palestiniens est très simple. Très souvent des amis ou des connaissances posent la question de savoir : « Mais qu’est-ce que c’est que cette blague des négociations sur les réfugiés ? Vous n’avez eu ni le droit au retour, ni rien dans cette histoire. »

En fait la négociation était bloquée dès le départ sur le fait qu’on n’allait pas aborder la question de l’application du droit. Par contre l’enjeu réel - et je crois qu’on s’en est assez bien tiré - consistait précisément à les empêcher de vider le droit de sa substance. C’est-à-dire que toute notre mission - c’est en tout cas ainsi que nous l’avons comprise - consistait à préserver la question du droit, pour qu’il puisse être négocié dans sa plénitude. Car, si nous avions accepté la disparition du droit, si nous avions accepté qu’il n’y ait plus de termes de référence, si nous avions accepté l’idée que tous les réfugiés étaient interchangeables, si nous avions accepté que la question des indemnités était la question centrale et que les Juifs arabes étant spoliés, les Palestiniens étant spoliés, nous étions quitte, nous serions allés à la négociation finale sur les réfugiés avec un dossier vide. La négociation finale sur les réfugiés serait passée d’une négociation sur le droit à une négociation sur combien ça coûte, combien ça va coûter pour vous reloger, pour vous sortir des camps, pour vous permettre de travailler. Ainsi, toute la bataille a précisément consisté à préserver la possibilité de négocier un jour.

Les propositions palestiniennes
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10 janvier 2009 6 10 /01 /janvier /2009 23:27
Omniprésence du « transfert »

Il est trop tôt pour dire quel type de gouvernement sortira des urnes du 28 janvier. Certes, Ariel Sharon a mené sa campagne électorale en « modéré », partisan d’un État palestinien (ou plutôt d’un pseudo-État : 41 % seulement de la Cisjordanie, moins le territoire aux mains des colonies, Israël contrôlant frontières et espace aérien, totalement démilitarisé et doté d’une direction nouvelle...). Dans cet esprit, il s’efforce de reconstituer un gouvernement d’union nationale, avec les travaillistes et le shinoui qui cautionneraient ainsi, à l’intérieur et à l’extérieur sa politique. Mais le Premier ministre garde un autre fer au feu : un gouvernement de droite et d’extrême droite à participation ultra-orthodoxe, prêt à se lancer dans l’aventure d’un nouveau transfert.

J’ai cité en introduction cette phrase qu’il répète régulièrement : « La guerre d’indépendance de 1948 n’est pas achevée. » Que veut-il dire par là ? Non seulement l’État hébreu existe bel et bien depuis le 14 mai 1948, mais il est - militairement comme économiquement - plus puissant que l’ensemble de ses voisins. En réalité, le seul « travail » qui reste à « finir » - pour employer le vocabulaire de l’extrême droite israélienne -, c’est l’expulsion des Palestiniens.

Et, d’ores et déjà, les indices se multiplient :

-  le thème du « transfert » est omniprésent dans les médias israéliens ;
-  autrefois typique de la seule extrême droite, il est désormais porté par de nombreux partis de droite et bien des personnalités. Même le Likoud, autrefois plus prudent : ainsi le président du Likoud France et, depuis juin 2002, du Likoud mondial, Jacques Kupfer[Jacques Kupfer, Arouts7 (www.a7fr.com), 11 août 2002. ], évoquait récemment « ces squatters arabes en Eretz Israël, capables de produire autant d’assassins prêts à tout détruire et partout ». Et il affirmait : « Peut-être faut-il se rendre à la seule évidence : on ne peut plus vivre avec eux si tant est qu’ils aient le droit de vivre. Ce sera donc eux ou nous. La solution tellement regrettable et irréaliste du transfert risque de devenir la seule solution praticable capable de nous apporter la sécurité et plus tard la paix. L’histoire offre toujours les opportunités pour réaliser les rêves d’une nation. Encore faut-il savoir les saisir et ne pas rater les occasions comme nous l’avons malheureusement fait en 1948 ou en 1967 » ;

-  cette agitation politique, médiatique et intellectuelle - ajoutée aux effets ravageurs des attentats terroristes - n’est pas sans résultats : en deux ans, le pourcentage d’Israéliens favorables au « transfert » des Palestiniens est passé de moins de 10 % à plus de 40 % [Cf. l’historien militaire israélien Martin Van Creveld, Daily Telegraph, 28 avril 2002. ] ;

-  il faut aussi évoquer, sur le terrain, le harcèlement des Palestiniens par l’armée et les colons en vue de les forcer au départ. Symbolique apparaît le cas du village de Khirbet Yanoun, au sud de Naplouse, que les habitants ont quitté le 18 octobre 2002, avant d’y revenir sous la protection des militants pacifistes de Taayush (Vivre ensemble). « Le transfert - expliquent deux responsables de l’association, Gadi Algazy et Azmi Bdeir - n’est pas nécessairement un moment dramatique, où les gens sont expulsés et fuient leur ville ou leur village. [...] C’est un processus en profondeur, un processus rampant qu’on ne voit pas. [...] Sa principale composante est la destruction graduelle des infrastructures de la vie de la population civile palestinienne dans les territoires : c’est l’étranglement progressif par les bouclages et les sièges, qui empêchent les gens d’aller au travail ou à l’école et d’avoir accès aux services médicaux, qui barrent la route aux camions comme aux ambulances, renvoyant ainsi les Palestiniens à l’époque des ânes et des charrettes. [...] Et ce que les bouclages de l’armée ne réussissent pas à faire, les colons y parviennent : chaque nouvelle implantation ou avant-poste exige des mesures de sécurité, c’est-à-dire, aux yeux des colons, l’expulsion des Palestiniens des zones environnantes et la transformation de terres agricoles en terres de mort - quiconque les travaille ou y cueille des olives risque de le payer de sa vie. [...] Khirbet Yanoun n’est pas un cas isolé » ;

-  il faut enfin mentionner les indications d’ambassades et de consulats étrangers signalant une augmentation considérable du nombre de demandes de visas palestiniens - cent mille à deux cent mille auraient émigré en deux ans...

Un terrible dilemme

Autant d’indices qui doivent inciter à la plus grande vigilance : la guerre que Washington a décidé de mener, quoiqu’il arrive, contre l’Irak, surtout si Israël y était entraîné, pourrait créer les conditions d’un « transfert ». Amira Hass envisage, dans Le Monde diplomatique de février 2003, trois prétextes possibles : la chute de scuds irakiens, un méga-attentat terroriste, des manifestations palestiniennes qui dégénéreraient...

Certes, un transfert massif serait, pour l’armée et le gouvernement d’Israël, militairement et politiquement dangereux - il pourrait notamment ruiner l’image d’Israël dans le monde. Certes aussi, George W. Bush, soucieux d’élargir et de renforcer la coalition anti-irakienne, serait peu enclin à accepter une opération qui risquerait de mettre le feu aux poudres dans l’ensemble du monde arabe. Mais - de Qibya en 1953 à l’invasion du Liban en 1982, en passant par la guerre du Sinaï de 1956 et celle de 1973 - le curriculum vitae d’Ariel Sharon en témoigne : il n’a jamais hésité à dépasser les lignes rouges, même celles fixées par la présidence des États-Unis.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’objectif de toujours de l’extrême droite israélienne a pris un sens nouveau du fait de l’échec du processus de paix joint à l’évolution démographique. Bien que huit cent mille Palestiniens aient été contraints au départ en 1948-1949, suivis de trois cent mille autres en 1967, d’ici moins de dix ans, il y aura une majorité arabe dans le « Grand Israël », qui deviendra progressivement écrasante. Israël, « État juif et démocratique », fera face à un terrible dilemme :

-  soit il choisira la démocratie, et notamment accordera le droit de vote à tous les habitants, y compris Palestiniens, auquel cas ce ne sera plus un État juif ;

-  soit il tiendra à préserver son caractère juif, auquel cas il ne pourra pas être démocratique. Or l’imposition d’un véritable apartheid à une majorité arabe sans cesse plus large provoquera des soulèvements plus puissants encore que l’Intifada, auxquels l’armée israélienne réagira par une répression pire encore. Un tel scénario peut déboucher à terme sur l’écrasement des Palestiniens, mais aussi sur la disparition de l’État d’Israël.

À ce piège tragique, il n’y a, du point de vue israélien, que deux issues : soit la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël, qui permette aux deux peuples de coexister dans le respect de leur souveraineté et de leur sécurité, soit l’expulsion d’un maximum de Palestiniens du « Grand Israël » qui y préserve - pour quelques décennies - une majorité juive. Ariel Sharon et ses amis excluent évidemment la première solution, et rêvent sans doute de la seconde.

Le vieux général a même une idée précise de la destination vers laquelle il faudrait « déplacer » les Palestiniens : la Jordanie. Il a toujours affirmé que le royaume hachémite était destiné à accueillir les Palestiniens. Lors des affrontements de « Septembre noir » entre le roi Hussein et la Résistance palestinienne, en 1970, Ariel Sharon, alors commandant du front Sud, s’opposa au soutien accordé par Israël au « petit roi » contre les fedayin : il aurait fallu au contraire, expliqua-t-il, porter les Palestiniens au pouvoir à Amman pour y créer leur État et en finir ainsi avec cette question. Trente-trois ans plus tard, a-t-il changé de stratégie ?

Documents

Deïr Yassin

Ces Israéliens qui rêvent de « transfert »

Le vrai cauchemar du transfert

Dominique Vidal est rédacteur en chef adjoint au mensuel Le Monde diplomatique et auteur de plusieurs livres sur le Proche-Orient dont Les 100 portes du Proche-Orient (éd. l’Atelier, 1996), Palestine 47, un par- tage avorté (éditions Complexe, 1994) et Le péché originel d’Israël : l’ex- pulsion des Palestiniens revisitée par les « nouveaux historiens » israéliens (éd. l’Atelier, 2002). Il publie en mars 2003 Les 100 clés du Proche-Orient (avec Alain Gresh, éd. Hachette Pluriel) et Le Mal-être juif (éd. Agone).
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