dimanche 25 janvier 2009, par Olivier Carré
La pensée politique arabe évolue-t-elle vers ce qui nous apparaît rationnel, réaliste, compréhensible ? Une pareille évolution préparerait les peuples arabes à des accords de paix définitifs
avec Israël, quitte à sacrifier une bonne fois la cause des Palestiniens, tout comme naguère l’Etat français jugeait préférable de sacrifier à son intérêt propre pour le long terme la communauté
française d’Algérie. Or, comme l’on sait, les initiatives conjointes de Nasser - chef arabe de la négociation Rogers - et de Hussein - « sacrificateur » de la résistance palestinienne -
à l’été 1970, n’ont réussi à emporter l’adhésion ni des peuples arabes ni du peuple israélien. Si l’opération n’était pas crédible, c’est, pour une grande part, que la pensée politique arabe est
marquée, depuis juin 1967, par deux courants qui ne vont guère dans le sens du « réalisme » qu’attendent beaucoup d’Occidentaux et d’Israéliens 1.
Le premier courant est celui de la résistance palestinienne, avec ses théories de la révolution palestinienne et arabe. L’intrusion de ces théories ranime à la fois et bouscule les mouvements
idéologiques établis tels le ba’athisme, le nassérisme et le communisme. La pensée politique arabe de gauche se développe, depuis l’après-guerre des six jours, en fonction de l’idéologie
palestinienne de révolution. Un tel développement, nous le verrons, ne favorise guère ce que nous entendons.
Peut-être Anouar ABDELMALEK dans Idéologie et renaissance nationale Paris Anthropos 1969 comme dans La pensée politique arabe contemporaine Paris Seuil 1970 minimise-t-il le thème national-arabe
au profit de celui de édification nationale égyp tienne socialiste ou bien au profit de la doctrine tiers-mondiste du nationalitarisme Cf RODINSON M.) Marxisme et monde musulman Paris Seuil 1972
pp 142-143 Nous en trouvons une expression rénovée dans CHEVALLIER Dominique) La Société du Mont Liban époque de la révolution industrielle en Europe Paris Geuthner 1971 Préface et 26 etc
KHADDURI Majid) Political trends in the Arab world The role of ideas and ideals in politics Baltimore and London Hopkins 1970 pp 26-27 Précisons que dans cet article nous entendons nullement
faire le point des études orientalistes actuelles mais faire connaître quelques ouvrages arabes récents qui la plupart sont venus enrichir la bibliothèque de la Fondation nationale des sciences
politiques
Evolution de la pensée politique arabe
par réalisme. Le deuxième courant marquant consiste dans l’évolution du socialisme arabe de Nasser vers le socialisme islamique hérité des Frères musulmans. Un nationalisme arabe porteur d’un
socialisme d’inspiration islamique ne prépare sans doute pas, lui non plus, à ce réalisme politique qui consisterait, pour chaque Etat arabe, à renoncer aux mythes panarabe et panislamique.
Le « réalisme politique » qu’en général nous attendons des Arabes procède, il est vrai, d’un raisonnement dont la prémisse est le principe de l’Etat national. Or au Proche-Orient les
loyautés des individus et des groupes s’adressent-elles à des Etats-nations, ou bien plutôt, d’une part à des ensembles provinciaux restreints, et, d’autre part, à un vaste ensemble qui oscille
entre la grande communauté arabe et la communauté musulmane mondiale ? De telles sensibilités valent éminemment, nous semble-t-il, en Asie arabe. Quant à l’Etat national égyptien, peut-être
ne fait-il exception qu’en apparence, du fait qu’il coïncide avec la province du Nil inférieur. Sa prestigieuse histoire arabo-musulmane depuis le vme siècle, montre combien cette province
nilotique se sent concernée par la vaste communauté arabe et musulmane 2.
Cette hypothèse qui n’est pas neuve 3 nous semble expliquer à la fois le succès et le contenu tant de l’idéologie palestinienne de la révolution, que de l’idée d’un socialisme arabe
d’inspiration islamique. Aussi tâcherons-nous de mieux la formuler, avec l’aide d’analyses sociologiques de penseurs arabes actuels. En effet plusieurs esprits ont pu risquer, après le désastre
de juin 1967, des critiques assez vives, ou tout simplement obtenir le droit de publier des manuscrits jusqu’alors interdits par les censures étatiques. Ces ouvrages venaient à point, car
chacun, au moins l’espace de quelques mois, fut alors poussé à jeter tout voile et à connaître la vérité de sa société, en-deçà des différents systèmes idéologiques. Cela représente, si l’on
veut, un troisième courant marquant de la pensée politique arabe récente, plus important peut-être, moins connu aussi de ce côté-ci de la Méditerranée.
I. LES THÉORIES PALESTINIENNES DE LA RÉVOLUTION
Les principales organisations de résistance existaient depuis plusieurs années et leurs orientations idéologiques mûrissaient déjà quand l’événement de juin 1967 a provoqué l’accélération et la
cristallisation de ces orientations. La poursuite des hostilités par la résistance, en même temps que la diffusion de ses textes idéologiques, entre l’été 1967 et l’automne 1970, ont exercé une
influence considérable dans le monde arabe. Or chaque citoyen de chaque Etat arabe vaincu aurait fort bien pu se serrer autour de son gouvernement, de son Etat, en laissant les autres, et
notamment les Palestiniens, s’en sortir tout seuls. L’activité et l’idée de résistance palestinienne auraient alors dû ne rencontrer qu’un faible écho dans les peuples syrien, libanais,
jordanien, égyptien, etc. Tel ne fut pas le cas, bien au contraire, et les chefs d’Etat ont dû tenir compte du prestige de la Résistance au point de sacrifier parfois, pour un temps, l’intérêt de
leurs Etats. Pourquoi ? C’est que, d’une part, la Résistance concurrence directement tout Etat arabe qui a interrompu les hostilités pour sauver, bien mal d’ailleurs, son territoire et son
gouvernement. Et d’autre part - ce qui est la même chose, lue plus en profondeur - elle exprime à la fois une loyauté provinciale restreinte, et une ample et profonde loyauté nationale arabe.
Voyons d’abord d’un coup d’oeil rapide les textes fondamentaux du Front populaire de libération palestinienne (FPLP) et du Front démocratique et populaire (FDPLP), qui représentent la pensée la
plus révolutionnaire de la résistance, celle aussi qui, graduellement, a inspiré de plus en plus les congrès du Conseil national palestinien. Puis nous nous pencherons sur des écrits plus
modérés émanant des milieux, fort divers, du Fath et de l’Organisation de la libération palestinienne (OLP). Enfin, nous aurons intérêt à signaler les réactions des formations établies à cette
intrusion idéologique palestinienne.
Résistance et révolution selon le FPLP et le FDPLP
La doctrine du FPLP 4 comporte premièrement une théorie de la révolution anti-impérialiste en Palestine, dans une optique mondiale.
Cette révolution, c’est actuellement la guerre populaire animée par l’idéologie marxiste-léniniste et organisée par le parti révolutionnaire, en l’occurrence le FPLP. Deuxièmement, le FPLP a une
théorie de la lutte des classes. Cette lutte germe dans la misère extrême du peuple palestinien. Elle se fortifie et s’affirme dans l’expérience de résistance, car la Résistance est d’abord une
éducation sociale et culturelle du peuple en armes. La Résistance lutte donc contre plusieurs ennemis à la fois : Israël, l’impérialisme, le sionisme, les capitalistes et les classes
exploitantes arabes. Impérialisme et Etat israélien sont liés de très près, et le sionisme mondial soutient Israël et l’aide, depuis longtemps déjà, à expulser et à opprimer le peuple
palestinien. Certes, affirme le FPLP, il y a une très forte cohésion des patriotes israéliens qui, tous, défendent à mort leur survie nationale. Cependant, au sein d’Israël, une classe exploitée
importante est susceptible de faire la révolution, de menacer l’unité de l’Etat israélien, de contrecarrer le mouvement sioniste et de soutenir l’idée d’une Palestine nouvelle. D’autre part,
parmi les classes exploitantes arabes, la petite bourgeoisie arabe ou palestinienne est utilisable dans la phase de lutte patriotique 5, pourvu qu’on l’empêche de prendre les commandes de
la Résistance. L’objectif de cette dernière, en effet, est l’accession au pouvoir des ouvriers et des paysans, eux seuls, en Palestine comme dans le monde entier. Le FPLP annonce enfin, au sein
du mouvement révolutionnaire mondial, une Palestine égalitaire pour Juifs et Arabes, et intégrée dans la nation arabe. En effet le nationalisme arabe représente, pour le FPLP, une inspiration et
une fin fondamentales, qu’il tâche d’accorder à la théorie marxiste-léniniste. Si Mao Tsé-toung et le général Giap sont les ’autorités le plus fréquemment citées, l’inspiration baathiste est au
moins aussi importante.
Nâyîf Hawâtméh, chef du FDPLP 6, en organisant autrement les mêmes principes, et en privilégiant le thème de la démocratie, entend dépasser le nationalisme arabe lui-même. Le peuple
palestinien, dit-il, a droit à l’indépendance dans tout son propre pays. Il faut donc une lutte patriotique palestinienne, qui sera soutenue par la petite bourgeoisie nationale. Toutefois
Hawâtméh se concentre sur l’analyse des contradictions de classe. Les masses exploitées sont éveillées par l’idéologie critique. Grâce à un programme correct, elles se livrent et se livreront à
la révolution, qui débute par la guerre populaire. Celle-ci constitue l’ouvrage propre du peuple et, sur un horizon de révolution mondiale, elle est une fin en soi. Si la petite bourgeoisie lui
est utile, radicalement toutefois elle refusera une guerre populaire de longue durée. Ainsi, pour Hawâtméh comme pour le FPLP, la lutte patriotique n’est qu’un échelon de la lutte des classes
exploitées. La révolution, sur laquelle débouchera cette lutte, est le pendant exact de l’impérialisme, localement incarné dans l’agression sioniste.
Mais, ajoute Hawâtméh, dans la phase actuelle de la révolution, qui est la guérilla des commandos et des milices, le plus important c’est la démocratie. C’est elle qui doit régler les différends
idéologiques au sein de la Résistance et assurer le régime quotidien de la guérilla palestinienne. C’est grâce à elle que l’on devra liquider et remplacer le commandement petit-bourgeois exercé
par le Fath et par l’OLP. La guérilla palestinienne est une école quotidienne de démocratie. Quant à l’avenir, c’est la démocratie qui exige la mutation de l’Etat israélien en un Etat palestinien
démocratique, sans chauvinisme et sans confessiona-lisme politique - ce qui est tout autre chose que la perspective multi-confessionnelle des déclarations du Fath. Par conséquent, il n’y aura
plus besoin d’une partition territoriale. Cet Etat démocratique abolira à la fois le sionisme - mais non la culture juive, précise Hawâtméh - et l’arabisme réactionnaire - mais non pas, bien sûr,
la culture arabe. Cette idéale Palestine ne sera plus dominée par une classe privilégiée. Ce sera « un Etat palestinien de démocratie populaire » 7, paré des beautés de la
révolution en marche. Il servira de base, non plus à l’impérialisme mondial, mais à la révolution mondiale, par le relais d’une nation arabe unifiée entièrement anti-impérialiste et non
bourgeoise. A la réalisation de ce projet sont conviés les révolutionnaires du monde entier, et singulièrement les groupes israéliens non sionistes et anti-impérialistes (Hawâtméh pense au
groupe « Matzpen », notamment.)
Cependant, dira-t-on, comment donner pleine valeur aux droits politiques et culturels de l’ethnie juive dans une Palestine intégrée à la nation arabe ? Hawâtméh entend dépasser à la fois le
chauvinisme juif et le chauvinisme arabe. Il propose, il annonce, un Etat épuré de tout nationalisme exclusif, un Etat pour ainsi dire dénationalisé. Et la nation arabe elle-même, Hawâtméh la
voit sous la forme d’un Etat, fédéré ou confédéré, démocratique, populaire, révolutionnaire, mais sans caractère nationaliste. Point d’Etats nationaux, dirons-nous, mais un Etat palestinien
démocratique et populaire intégré à un Etat arabe unifié démocratique et populaire. Plus de nationalités (qawmiyyât) en Palestine, mais une citoyenneté (wataniyyà) palestinienne unique. A la
différence du FPLP, Hawâtméh n’utilise pas en bonne part le ternie : nationalisme (qawmiyyà), mais il l’associe au concept péjoratif de : chauvinisme 8.
Ainsi les théories palestiniennes de pointe font appel aux deux loyautés dont nous parlions. Les solidarités locales restreintes, tout comme la large solidarité arabe, voire proche-orientale,
sont comme vivifiées par le formidable mythe de la révolution mondiale qui, au Proche-Orient, sera et palestinienne et arabe. Cette mondialité là, qui n’a plus pour prémisse l’Etat national,
redonne vigueur, sans contradiction, aussi bien au sentiment national - arabe qu’à la solidarité locale - en l’occurrence palestinienne. Concédons que l’invitation de Hawâtméh à une sorte de
« dénationalisme » bouleverse le sens de cette double loyauté, mais c’est bien sur elle qu’il s’appuie encore. Quant aux Etats du monde arabe actuel, il n’en est question que de manière
négative, car ils sont censés avoir contribué à disperser les Palestiniens et, en même temps, à diviser la nation arabe.
Patriotisme, nationalisme et socialisme, dans les cercles palestiniens modérés
A l’OLP et au Fath, ou dans les cercles indépendants, on s’effarouche souvent des théories de la lutte des classes et de la révolution mondiale contre la bourgeoisie. On parlera d’une Palestine
laïque plutôt que populaire, dans un langage qui s’inspire de la tradition démocratique occidentale. Ainsi, dit Nabil Sha’âth 9, « la population de cette nouvelle Palestine inclura
tous les Juifs résidents et tous les Palestiniens, qu’ils soient exilés ou soumis à l’occupation, qui choisiront de vivre en Palestine en acceptant un statut égal pour tous, sans droits spéciaux
ni privilèges ». Cette Palestine fera partie intégrante d’un « futur territoire arabe fédéral ». Dans cette fédération arabe unie, les Palestiniens juifs jouiront de « pleins
droits politiques, culturels, religieux ». Le conférencier précise ensuite que « le triste article 6 de la Charte nationale palestinienne » devra être amendé en conséquence
10. La solution démocratique est possible aujourd’hui puisque la population juive de Palestine et la population palestinienne dispersée ou résidente sont à peu près égales. Quant au régime
politique, et au système économique ; « une véritable application de la démocratie d’un Etat requiert l’entière participation démocratique des résidents juifs pour décider de la forme
de gouvernement de la nouvelle Palestine ». Le conférencier estime que tous les mouvements de résistance palestinienne, y compris le Fath, sont d’accord avec de telles vues.
Dans la Cisjordanie occupée elle-même, la voix de Abu Shalbâya et de ses amis, bien qu’exprimant des vues différentes, est de la même veine, puisque, dans le premier ouvrage politique publié
depuis 1967 dans la Jérusalem arabe, il milite pour un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza qui coexisterait avec Israël et serait ultérieurement intégré dans une « Union des
Républiques arabes qui inclura ledit Etat palestinien, l’ensemble des Etats arabes actuels, et aussi des Etats de minorités nationales tels que les Juifs en Palestine », etc. 11.
Comme N. Sha’âth, il cherche une coexistence. Moins ambitieux, il ne croit pas à la possibilité d’un Etat judéo-palestinien unitaire, mais à celle d’une confédération.
Quant à ceux des Palestiniens qui, plus ou moins marxistes, se sentent concernés par le Fath et l’OLP, voici à peu près leurs idées 12. La guerre des partisans palestiniens s’enracine dans
un sentiment patriotique profond. C’est ce qui importe, car l’essentiel d’une guérilla réside dans l’homme et dans ses énergies intérieures. Peu importe que, géogra-phiquement et
démographiquement, la Palestine ne soit ni le Viet-Nam ni l’Algérie. La résistance palestinienne n’est pas encore une lutte de classe. Ultérieurement un parti prolétarien pourra se constituer et
« transformer le mouvement de libération patriotique en une révolution démocratique à orientation socialiste »13. Mais cela n’est pas certain, car dans les pays arabes la classe
prolétaire consciente est très faible. D’autre part, le prolétariat israélien, quant à lui, n’est pas automatiquement anti-impérialiste et anti-sioniste. Une telle analyse critique assez
clairement le gauchisme d’un Hawâtméh.
L’une des grandes questions débattues en 1969-1970 dans les publications arabes, c’était celle du rapport entre le patriotisme local (palestinien en l’occurrence) et le nationalisme arabe. Allûsh
affirme que c’est le peuple arabe tout entier qui lutte en Palestine, et que les bases militaires de la guérilla en pays arabe ne sont pas des bases extérieures. Toute la nation arabe est
mobilisée, et les armées arabes régulières doivent se préparer à une guerre complète dont le terrorisme palestinien n’est que l’un des aspects. Il faut même préparer toute la population arabe à
une guerre populaire généralisée. Voilà comment la lutte palestinienne, locale certes, aura « une existence nationale-arabe », et « la Palestine sera le chemin de l’unité
arabe » 14. En conséquence, il faut mettre fin à la politique traditionnelle des Etats arabes, qui s’exerça toujours au détriment des Palestiniens. C’est la révolution palestinienne
qui remplacera le nassérisme, en détruisant toutes les « théorisations étatiques »15. Il faut en même temps se méfier ajoute Allûsh, des purs nationalistes-arabes, selon lesquels
la province restreinte n’aurait aucune consistance propre, de sorte qu’il ne faudrait rien entreprendre avant l’unification étatique totale de la nation arabe. En réalité, conclut-il, la
révolution palestinienne est l’incarnation locale, concrète et non utopique du nationalisme arabe en marche.
Ainsi Allûsh, à propos de l’expérience palestinienne, décrit les deux traits que nous estimons caractéristiques des sensibilités politiques proche-orientales. La révolution palestinienne est vue
expressément comme provinciale et nationale-arabe à la fois, mais non étatique. Aurait-elle, en conséquence, une force mobilisatrice plus adéquate à la réalité arabe que les idéologies établies
qui, selon Allûsh, sont trop étatiques et d’un nationalisme arabe trop abstrait ?
Les réactions de la gauche arabe aux idées palestiniennes de résistance et de révolution
Les théoriciens du nationalisme arabe sont particulièrement réceptifs aux idées palestiniennes. « La question palestinienne ne diffère pas de la question nationale-arabe ... Elle en est
toutefois le point le plus important », écrit Michel Aflâq, le fondateur et secrétaire général du Ba’ath 16. La défaite de juin 1967, selon lui, est due essentiellement à l’immense
retard de la société arabe : il faut s’attaquer à ce retard et prendre le temps qu’il faudra 17. Toutefois c’est le massacre d’Amman en septembre 1970 qui, estime Aflâq, est beaucoup
plus grave, pour la nation arabe dans sa marche vers l’unité et le socialisme, que le désastre de juin 1967, parce que, à Amman, l’impérialisme intervient, contre toute la nation arabe, du sein
même des Etats arabes. Aussi « le chemin de la victoire passe-t-il par Amman » 18, à l’aide de cette « lutte populaire armée » que le Ba’ath préconisait déjà il y a 25
ans, assure Aflâq 19. Davantage même, écrit un autre ba’athiste, le combat palestinien est la seule chance qui reste à la nation arabe pour forger son unité nationale ; celle-ci en
effet a absolument besoin d’un combat, dur, long, commun 20. C’est alors seulement que l’unité nationale, accrue et devenue consciente, pourra aboutir à une unité politique réelle et
permanente, car il ne s’agira plus d’une hégémonie étatique quelconque, comme ce fut le cas jusqu’à présent. Evidemment les penseurs du Ba’ath demandent aux Palestiniens de se garder d’une
solution séparatiste 21, puisqu’aussi bien la reconquête de la Palestine est impossible sans la mobilisation de toutes les capacités arabes 22. Cette méfiance à l’égard de tout
provincialisme (qutriyyà) caractérise l’idéologie du Ba’ath, comme l’on sait, et sur ce point l’expérience palestinienne la bouscule quelque peu.
Les communistes arabes montrent un malaise beaucoup plus prononcé devant les théories palestiniennes qui, à leurs yeux, ne respectent pas les étapes de la révolution socialiste et communiste. Il
est erroné, disent-ils, de prétendre édifier le socialisme au cours même de la lutte de libération patriotique 23. La Résistance, « c’est des paroles sans contenu, des contenus sans
définition » 24, c’est « de l’idéologie pure et simple », c’est « du gauchisme » ; « elle n’a aucun rapport avec le marxisme ». La « guerre
populaire de libération » n’est qu’une « invitation au sinistre rite qu’elle charrie : la sépulture ». De toute façon, la cause palestinienne est déjà sacrifiée, pour la
simple raison que « l’Egypte de la révolution a atteint l’âge de raison » constate encore E. Morqos. Les communistes arabes, même si tous n’ont ni l’autorité intellectuelle ni la
sinistre lucidité d’un Morqos, tâchent de présenter de manière pas trop inacceptable pour l’opinion arabe, une vue étatique plutôt que nationale-arabe, des relations -avec Israël.
L’Etat israélien est une réalité, disent-ils. C’est un Etat national. « Une nation israélienne existe ... et elle a le droit, à l’instar du peuple arabe, de déterminer son propre
destin » 25. Le parti communiste israélien - en majorité arabe - nommé Rakâh, exprime à peu près les mêmes idées 26. Donc un Etat, si possible unitaire, réellement
démocratique, en Palestine, est la solution d’avenir, concèdent les communistes arabes à la résistance palestinienne 27. Mais il faudra au préalable que l’on parvienne en Israël à définir
une nationalité israélienne, plutôt que juive comme telle 28. Pour l’instant du moins, ajoute Sabrî Abdallah, rien n’empêche une coexistence permanente entre l’Etat israélien et les Etats
arabes, même sans reconnaissance mutuelle en bonne et due forme : l’expérience internationale en offre quelques exemples.
Le désaveu de « la révolution palestinienne » est la conséquence inévitable de ces vues communistes dans leur ensemble, même s’il ne s’exprime pas avec autant de brutalité que sous la
plume de E. Morqos. Cette logique des Etats, caractéristique des communistes arabes, est peut-être la raison profonde de la présence, depuis peu, de ministres communistes dans les gouvernements
égyptien, syrien et irakien.
En tout cas, nous voyons qu’aussi bien la ferveur pro-palestinienne des ba’athistes et autres nationalistes arabes, que la réserve ou l’hostilité des communistes et de plusieurs marxistes,
s’accordent sur la nécessité d’une rencontre avec Israël d’une manière ou d’une autre. L’action et l’idéologie palestiniennes ont réussi à acclimater dans l’opinion arabe cette idée, qui nous
semble neuve en tant qu’elle est publique et non plus seulement diplomatique ou réservée aux cercles communistes arabes depuis 1947. Le fougueux damascène SJ. ’Azm ne se contente pas, dans deux
ouvrages fameux 29, de faire le procès de tous les régimes arabes et de l’ensemble des partis communistes, ba’athistes, nassériens, il s’efforce encore de traiter de la question,
essentielle selon lui, du nationalisme juif israélien ; celui-ci, estime-t-il, a des caractéristiques originales, et un dynamisme dont le sort funeste des Arabes témoigne amplement. Il y a
en Palestine, écrit-il, depuis des années déjà, « une société israélienne intégrée, ayant des classes sociales définies et un Etat national moderne muni de toutes les institutions et de tous
les instruments d’action requis » 30. L’on s’efforce aussi, tentative neuve en terre arabe, d’analyser la psychologie collective juive israélienne, et l’on va jusqu’à reconnaître un
sentiment national juif au sein de l’expérience séculaire d’antisémitisme 31. Il faut donc, conclut-on, reconnaître dans Israël un Etat national de modèle européen, une nation en
formation s’étant enfin incarnée dans un Etat, lequel à son tour fortifie le nationalisme. Ainsi l’idée tabou d’une nation juive et d’un nationalisme juif est abordée et publiquement présentée,
alors que les communistes arabes - les moins anti-israéliens pourtant parmi les formations arabes, dès 1947 - se contentent encore de reconnaître une nationalité israélienne, non pas juive
proprement dite, en formation, l’Etat israélien n’étant pas, à l’origine, le résultat d’une poussée nationale, mais d’une pure entreprise colonialiste européenne 32.
Pour conclure, constatons d’un côté que l’idéologie palestinienne de résistance et de révolution, dans son succès relatif comme dans son contenu, correspond aux sensibilités politiques qui
seraient spécifiquement proche-orientales : loyautés locales restreintes et, en même temps, loyauté envers la vaste nation arabe. Mais, d’un autre côté, plusieurs réactions arabes, notamment
dans les milieux communistes, tâchent d’infléchir cette idéologie vers une logique fondée sur le concept de l’Etat national,
dont Israël est l’exemple à la fois prestigieux et hostile 33. Fécondée à nouveau par les idées palestiniennes, la pensée politique de la gauche arabe oscillera peut-être, désormais,
entre, d’un côté, une sensibilité politique nettement occidentalisée, que les communistes encouragent autant que les libéraux formés en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, et, d’un autre côté, une
sensibilité politique proche-orientale réveillée par la résistance palestinienne non étatique. Du coup, les théories gauchistes et maoïstes, véhiculées par certaines organisations palestiniennes,
semblent s’acclimater aux sensibilités politiques proche-orientales 34. Ne serait-ce pas que, précisément le concept européen d’Etat national n’est plus la prémisse de ces théories
révolutionnaires ?
Dans ce débat entre d’une part l’idéologie palestinienne et d’autre part le Ba’ath, les communistes arabes, les groupes gauchistes et maoïstes, est-ce que le nassérisme est exclu ? Disons
plutôt que le nassérisme, dès la défaite de Nasser en juin 1967, puis après la mort du maître en septembre 1970, se cherche, non pas dans la direction ba’athiste ni communiste, mais dans celle
d’un socialisme d’inspiration islamique hérité des Frères musulmans. Examinons cette orientation qui nous a paru constituer le second trait marquant de la pensée politique arabe récente.
II. UN SOCIALISME ARABE EN QUÊTE D’ISLAMISATION
Le nassérisme voulant être une fidélité à un grand homme, il tolère les deux orientations principales actuelles, l’une qui se réclame d’un socialisme arabe, et l’autre qui s’efforce de récupérer
l’essentiel d’un socialisme islamique que les Frères musulmans ont naguère élaboré. Or il semble bien que ce soit la branche islamique qui accapare l’héritage du nassérisme. Non point qu’il y
ait un retour de l’intégrisme islamique des Frères, mais il s’agit plutôt de l’influence d’idées socio-politiques islamiques élaborées dans les milieux des Frères, sur le socialisme arabe hérité
de Nasser. Du côté musulman, on est heureux d’avoir à nouveau voix au chapitre, et de l’autre côté on éprouve le besoin de racines doctrinales et historiques auxquelles suppléait souvent la
personnalité de Nasser, homme d’action plutôt que de doctrine.
Le socialisme arabe hérité du nassérisme
II y eut quelques années de controverse assez libre en Egypte, juste avant juin 1967, entre les communistes égyptiens ralliés au quasi-parti unique nassérien (l’Union socialiste arabe), et
d’autres penseurs formés au socialisme par l’expérience égyptienne postérieure aux nationalisations de juillet 1961. Qu’est-ce que le socialisme, le socialisme scientifique, le socialisme
spécifique ou « authentique » (entendre : fidèle à la société historique qui le secrète et l’adopte), le socialisme arabe ? Qu’entendre, en terre musulmane, par propriété
privée, nationalisation, propriété collective, coopération, planification économique ? Comment adapter le principe de la lutte de classe, comment définir le prolétariat en terre arabe ?
Qu’est-ce que la lutte patriotique et nationale dans une optique socialiste ? Que deviendra la religion et singulièrement l’islam, qui est lié de si près à la culture et à l’histoire
arabes ? Quel est l’apport du « socialisme islamique » dont les Frères musulmans ont élaboré une doctrine fervente ? Toutes ces questions furent débattues à la suite des
premières études critiques de la Charte d’action nationale de 1962, document souvent considéré dans le Proche-Orient comme le credo du « socialisme arabe » 35. Cette
controverse permit à beaucoup d’intellectuels égyptiens de tendance laïque de justifier et de définir avec assez de précision leur « socialisme arabe ». Voici comment 36 :
Comme la nationalité arabe est, dit-on, essentielle à l’homme arabe, le socialisme du Proche-Orient arabe est arabe dans son essence. En outre, comme la nation arabe se veut une, il ne peut y
avoir qu’un socialisme arabe, et non point une série d’expériences socialistes locales. En conséquence, le socialisme de Bourguiba est, en fait, un faux socialisme, tout comme le socialisme
israélien ou un éventuel socialisme palestinien 37. Pareillement, déclare-t-on, le marxisme est inadéquat, parce qu’il conteste radicalement les nationalismes, qui sont le propre de
l’homme. C’est que le matérialisme dialectique ignore la primauté de l’homme. Le socialisme arabe ne saurait donc être la simple application arabe du socialisme marxiste, dit scientifique. En
effet, on n’est vraiment scientifique, dit-on, que si l’on se fonde sur « le facteur fondamental des phénomènes sociaux ». Or, ce facteur est l’homme et la dialectique de l’homme, non
pas la matière et la dialectique de la matière. C’est donc, conclut-on, le « socialisme humain » qui seul sera scientifique, grâce à la connaissance critique des sociétés humaines. La
dimension nationale étant essentielle aux sociétés, le socialisme humain, selon les tenants du « socialisme arabe », ne sera pas uniforme, mais polymorphe, conformément à la vérité des
nations. Voilà pourquoi le socialisme scientifique, c’est, dans la nation arabe, le socialisme arabe. C’est lui seul qui, pour l’homme arabe, découvre et suit « les lois globales et
nécessaires des influences mutuelles, des mouvements et des évolutions qui déterminent la Nature-en-tant-que-l’Homme-y-est » 38.
Qu’est-ce donc que le socialisme arabe ? « II est la maîtrise du peuple (arabe) sur les moyens de production, grâce à la planification économique confiée à un Etat démocratique, en vue
de réaliser le bien-être ». Le problème premier, c’est le développement économique de pays retardés. Toutes les richesses locales doivent être socialisées pour l’ensemble des Arabes.
L’impressionnante force démographique égyptienne aussi bien que les ressources pétrolières considérables des émirats et royaumes, sont propriété arabe. D’autre part, le socialisme arabe sera
étatique, sa grande tâche étant la planification autoritaire. Celle-ci réalise la maîtrise du peuple sur les moyens de production. Dans le socialisme arabe, dit-on encore, producteurs et ouvriers
participent effectivement à la direction de la production, grâce à l’Etat, aucune classe n’ayant de rôle privilégié, pas même les ouvriers. Nous percevons nettement ici l’éloge du système de
Nasser, qui comportait une assemblée nationale composée pour moitié d’ouvriers et de paysans.
Ce socialisme de la nation arabe a en effet pour modèle étatique l’Egypte nassérienne, et il débouchera, disent les nassériens, sur une Union des Républiques arabes socialistes, avec un
gouvernement central assez fort pour appliquer une planification économique globale et pour « socialiser » - les auteurs entendent en fait « nationaliser » - tous les moyens
de production de l’ensemble de la région. Tous les particularismes locaux, disent-ils, sont à exclure. Le seul ferment affectif sera le sentiment national-arabe, et l’objectif prioritaire un
développement économique rapide et prestigieux en harmonie avec les valeurs propres de l’homme arabe. Quelles sont ces valeurs, et quel rôle peut y jouer l’islam, les tenants du socialisme
arabe ne le disent guère. En quelques mots ils assurent que les valeurs islamiques favorisent à la fois le nationalisme arabe et l’humanisme socialiste. Ils utilisent à cette fin des concordismes
assez grossiers, fréquents dans la production littéraire arabe progressiste. Pareillement, diront-ils, la tradition musulmane s’accorde bien avec la limitation de la propriété privée afin que,
publique ou privée, toute propriété soit en définitive « propriété sociale », grâce à un système coopératif, c’est-à-dire de gestion collective en suivant la ligne du plan économique.
Or l’islam n’est-il pas éminemment coopératif et social ? Davantage même, le vrai penseur musulman n’a-t-il pas le privilège de pouvoir être à la fois matérialiste et croyant ?
39. De telles justifications, en général hâtives et mal informées, indiquent du moins le désir qu’éprouvé ce socialisme arabe de s’enraciner dans des garanties islamiques qu’il aimerait
connaître mieux et exploiter davantage.
L’héritage du socialisme islamique
Le champ s’ouvrait donc à l’héritage des Frères musulmans. Certaines de leurs idées réapparaissent au cours de l’élaboration de la nouvelle Constitution égyptienne en 1971, et Kadhafi se présente
comme l’authentique interprète du nassérisme en identifiant socialisme arabe et socialisme islamique, interprétation pour le moins tendancieuse si l’on se souvient que l’expression
« socialisme arabe » visait très précisément, dans la bouche de Nasser, à se démarquer à la fois du socialisme islamique et du socialisme marxiste. Quelles sont aujourd’hui les
principales idées issues des Frères musulmans ?
Ce sont, bien entendu, des thèmes que nous connaissons bien, en Occident, par les études, déjà anciennes, d’éminents orientalistes 40. Ce que nous allons présenter ici, c’est un réseau de
concepts socio-politiques musulmans exploités souvent de manière tendancieuse, dans une perspective apologétique et avec force concordismes. Ce réseau simple constitue un discours type,
utilisable à volonté, et utilisé de plus en plus, tant par les auteurs musulmans cultivés, que par les penseurs arabes socialistes ou communistes 41. Il se résume dans cet énoncé :
socialisme et islam authentiques s’accordent parfaitement. Par rapport à la doctrine traditionnelle de la Cité musulmane, l’ensemble d’idées dont nous allons parler a d’une part un accent
économiste, marqué par le socialisme étatique de Nasser, et d’autre part un accent nationaliste-arabe qui n’est plus contesté par l’universalisme musulman. Nous pouvons grouper ces idées autour
de la question nationale, de la question sociale, et de la question politique.
Nationalisme et islam
La première critique touche le sécularisme hérité de la société européenne contemporaine. Quant aux nationalismes européens, « ils remplacent Dieu comme facteur de cohésion des individus
dans leur société... et la patrie prend la place de Dieu » 42. L’Etat, en Occident, qu’il soit libéral et capitaliste ou totalitaire et socialiste, tient lieu d’Eglise. Enfin le
marxisme se présente et s’impose comme « une religion de l’humanité, le genre humain total remplaçant et Dieu et l’Eglise », au nom de la Science 43. Cette théorie s’est, dit-on,
transmise au monde musulman, et la communauté musulmane (ummd) se voit divisée en nationalismes multiples, tout comme la nation arabe doit affronter plusieurs Etats arabes. Pourquoi cela est-il
advenu ? A cause d’un affaiblissement de la pensée islamique dès avant « l’invasion européenne », assure-t-on. Le remède est clair : au lieu d’une « pensée islamique
malade... il faut restaurer l’islam comme troisième force mondiale » 44, face aux nationalismes capitalistes et au marxisme. En effet le monde musulman n’a aucun motif intérieur pour
singer l’Occident. La philosophie hégélienne de l’Etat et la divinisation marxiste du prolétariat sont une évolution « entièrement étrangère à l’Orient, à sa mentalité, à ses conditions
d’existence et à sa vie propre » 45. Autrement dit, l’authenticité ne réside pas dans le nationalisme mais dans « les valeurs islamiques » 46 et dans « la
personnalité musulmane » 47. Celle-ci se caractérise, affirme notre théologien philosophe, par l’absence de toute médiation religieuse ou politique entre la personne et Dieu, de
sorte que le profond « sentiment de fraternité » musulmane n’est voilé, normalement, par aucun sentiment de classe ou de clan. Pourtant, précise-t-il, cette fraternité islamique ne se
dilue pas dans un internationalisme sans racines locales et biologiques. Nous retrouvons ici une belle expression de la double fraternité, provinciale et restreinte d’une part, nationale et,
virtuellement, mondiale, d’autre part. La fraternité « nationale » est ici musulmane et non pas arabe, mais les docteurs musulmans ralliés à Nasser identifient volontiers les deux, ou
du moins ne les opposent plus 48.
Un socialisme d’inspiration islamique
L’expression : « socialisme islamique » a été fabriquée par certains Frères musulmans 49, dont les écrits sont réimprimés aujourd’hui. Nous en dirons les traits essentiels.
Au préalable, bien entendu, cette doctrine sociale critique vivement le communisme 50. Certes, il existe plusieurs points d’accord, en matière économique et sociale, entre l’islam et le
communisme 51. Mais ce dernier, par une erreur de principe, néglige toute religion, comme tout enracinement patriotique et national. Aussi ne tient-il pas compte de la religion sociale par
excellence, l’islam 52. Le système social de l’islam est en fait le seul et unique concurrent sérieux du marxisme. Il n’y a que deux types possibles de société : une société
islamique, une société communiste 53, et « c’est l’islam et les musulmans qui remporteront la victoire » 54. Quels sont, du moins, les principes de cette société islamique
idéale ?
Le principe de base, c’est que les biens sont confiés aux hommes en lieutenance (khilâfà). Aussi nul n’est-il totalement propriétaire d’aucun bien 55, « l’homme ne possédant en
définitive que le droit d’usage des biens » 56. De là découle que la propriété privée a une nature sociale, et, par conséquent, une fonction sociale. C’est en ce sens seulement que
l’islam reconnaît et exige le droit de propriété individuelle. Voilà pourquoi la Loi islamique (sharî’a) confère « aux pauvres des droits sur les biens des riches » 57, par
l’aumône canonique (zakàt) qui, selon ces auteurs, s’apparente à un impôt sur les revenus et sur les capitaux. Cette obligation de la zakàt est vue comme le pivot de la doctrine sociale
islamique, comme la clef à la fois religieuse, morale, et juridique, de la solidarité sociale. C’est un principe vraiment révolutionnaire 58. Les Frères musulmans et leurs héritiers
estiment qu’à la zakàt le Coran ajoute d’autres prescriptions du même ordre, qui autorisent un système fiscal étendu, nécessaire à un régime socialiste étatique. Ce sont les « dépenses pour
Dieu ».
Un autre principe juridique dont ils font grand usage aussi, c’est l’intérêt commun (maslahd) qui, devant toujours l’emporter sur l’intérêt des individus, peut conduire à des confiscations ou
expropriations provisoires 59, ou même définitives si les droits des pauvres l’exigent et si l’intérêt commun requiert une refonte complète des structures sociales 60. Enfin,
dernier principe central, tout profit usuraire (ribâ) est sévèrement prohibé par l’islam. Certains limitent cette prohibition à des taux d’intérêt vraiment usuraires 61. D’autres
reconnaissent le ribâ dans tout prêt à intérêt, car cette opération assure, disent-ils, un profit sans travail et sans risque. Le système capitaliste est alors condamné en bloc comme
« système de ribâ ». En revanche, l’on prétendra qu’il existe un système de placements libres et d’investissements utiles sans nulle trace d’intérêt automatique 62. Ce système
serait un système bancaire typiquement islamique.
De ces principes sociaux, les Frères musulmans et leurs héritiers tirent, d’une manière beaucoup plus poussée que les docteurs réformistes, une conséquence politique assez neuve, croyons-nous, en
tradition musulmane classique 63. Ils confient en effet au chef politique des pouvoirs économiques et sociaux très étendus. L’Etat ne se contentera plus de lever l’impôt et de conduire
l’armée, mais l’Etat islamique moderne sera arbitre, gestionnaire, provident. Il redistribuera la zakàt. Il contraindra, fût-ce par la force armée, les récalcitrants à payer cette aumône
obligatoire. A lui aussi de saisir les marchandises accaparées et monopolisées dans des buts spéculatifs. A lui d’instaurer et de contrôler un système bancaire sans ribâ. A lui de fixer les prix
des biens et services, dans certaines circonstances. A lui d’évaluer où est l’intérêt commun, et en conséquence, d’exproprier et de nationaliser certains biens, ou de lever de nouveaux impôts.
Bref le chef est le lieutenant (khalijd) politique de Dieu, chargé d’appliquer autoritairement tout ce qu’exigé la lieutenance (khilâfà) économique que les hommes exercent sur la terre. Le
politique est au service de l’économique, lequel est au service de Dieu - c’est-à-dire, pour nos auteurs, au service de la communauté 64.
Ce bref aperçu de ce que l’on appelle parfois le socialisme islamique permet de comprendre qu’il n’est pas étranger, dans ses orientations et ses conséquences, au « socialisme arabe ».
Certains juristes musulmans, libérés aujourd’hui du fanatisme et de l’intégrisme des Frères, s’adresseront aux tenants du « socialisme arabe » à peu près en ces termes : Certes le
socialisme est un système économique moderne, dont l’islam, bien sûr, n’a point parlé, mais reconnaissez que le droit islamique est loin de le contrecarrer, au contraire 65 ; et ce
que nous recommandons ne se réduit pas à une simple bienfaisance individuelle, puisque nous donnons de larges pouvoirs économiques et sociaux à l’Etat. Tout comme le socialisme arabe, le
socialisme islamique se veut étatique et autoritaire. Il ajoute la force mobilisatrice de la foi musulmane.
Un régime politique islamique moderne
L’intégrisme des Frères tenait surtout à leur revendication politique. L’Etat islamique est, disaient-ils, sui generis, car on ne peut l’inclure dans aucune des espèces connues de régime
politique 66. En même temps, par une tendance apologétique qui abonde dans les écrits musulmans modernes, ils assuraient que le régime politique islamique serait éminemment conforme aux
exigences modernes de démocratie, d’égalité et de liberté. Cette tendance apologétique et concordiste a infléchi l’intégrisme des Frères les plus doctrinaires. Les milieux musulmans reconnaissent
aujourd’hui que la doctrine politique islamique ne s’appuie pas, comme le fait la doctrine sociale, sur des textes coraniques clairs et précis. Elle relève d’une tradition historique et juridique
qui débute avec l’âge d’or des quatre premiers califes (632-661). Par conséquent les interprétations modernes de la politique islamique peuvent varier et suggérer des solutions assez souples
67. L’héritage des Frères en cette matière semble abandonner la tentative de déduire toute une théorie politique moderne de la seule prescription coranique explicite en la matière, celle
de la consultation ou conseil (Shûrà). Cette tentative permettait de proclamer : Notre Constitution c’est le Coran ! La tendance actuelle, plus cultivée et plus modérée, s’en remet,
comme il est de tradition, à l’ensemble des autorités juridiques musulmanes post-coraniques qui forment la Loi islamique (sharî’d). Celle-ci contient plusieurs principes de gouvernement qu’il
faut considérer comme « l’une des sources principales du Droit », mais non l’unique 68. Nous voici loin de l’intégrisme des grandes années des Frères, quand ils estimaient que ne
point appliquer la totalité de la sharî’a, c’était pour le chef être impie et apostat, passible de la peine de mort, l’Ordre islamique formant un tout intégral. Bien sûr, pour les Frères, Nasser
était cet impie, malgré son hypocrite bonne volonté. Aujourd’hui, au contraire, reprenant l’idée des réformistes de la fin du xixe siècle, la pensée musulmane égyptienne insiste sur la chance
actuelle et le devoir d’un nouvel « effort d’interprétation » (ijtihâd) 69, afin d’édifier une synthèse de droit public et civil à la fois authentiquement islamique et moderne.
"L’ijtihâd prend ainsi le sens d’un effort de rénovation idéologique, et non plus d’un retour étroit à la tradition primitive (fondamentalisme des Frères, à la suite de R. Rida).
Voici les traits principaux que l’authenticité islamique apporterait à cette synthèse 70. Premièrement, la source du pouvoir est la communauté, le peuple, qui doit s’exprimer par des
élections. Rien n’empêche que de nos jours le vote se fasse au suffrage universel, même si, en doctrine traditionnelle, c’est un groupe de spécialistes et de notables qui est habilité à désigner
le Chef. Deuxièmement, le Chef est normalement élu à vie. Les électeurs font envers lui un acte d’allégeance que l’on ne reprend que si son activité va clairement et gravement à rencontre de
Dieu. Ce régime, assure-t-on dans ce milieu de pensée, n’est point théocratique, car le pouvoir ne vient pas de Dieu directement, mais du peuple 71. Il s’agit d’une démocratie originale,
conclut-on, car ce régime n’est point monarchique puisque le pouvoir, de soi, n’est point héréditaire en islam. Remarquons, pour notre part, qu’il s’agit quand même d’un régime absolutiste,
puisque l’allégeance est à sens unique, de bas en haut : il n’y a point de contrat proprement dit. Et d’autre part, reconnaissons que le pouvoir est personnel, car le Conseil (Shûra) qui
doit aider le souverain, ne signifie pas, dans la tradition, une sorte de Parlement élu, mais plutôt un Conseil restreint de personnalités religieuses et politiques dévouées à la fois à la
Shari’a et au souverain. Certains jugent toutefois qu’aujourd’hui la shûrâ devra prendre la forme d’une Chambre de députés élus, tout comme le sera le souverain, au suffrage universel. Ils seront
chargés de conseiller, mais aussi de contrôler le gouvernement du souverain, du président.
Quant aux tâches de l’Etat, nous avons déjà rapporté l’opinion la plus marquante dans la pensée politique et sociale héritière des Frères : ce sont des tâches économiques et sociales, dans
le sens d’un socialisme d’Etat. La tradition de la politique islamique s’harmonise bien, selon cette opinion, avec l’absolutisme, tempéré d’un certain contrôle démocratique, qu’exigé le
socialisme autoritaire en vue du développement économique. Voilà donc ouverte la voie à « l’exercice du pouvoir par l’islam » 72, car cet exercice, assure-t-on, est congénital à
l’islam et, en même temps, il est indispensable au succès du socialisme en terre arabe. C’est que, à la différence du christianisme, l’islam « est une foi qui prend forme dans une Loi
(Shari’a, et une Loi qui n’est autre que l’interprétation et l’application de la foi » 73.
La postérité de la pensée sociale et politique des Frères musulmans semble bien devoir contribuer, dans les années qui viennent, à un système qui pourrait s’appeler : socialisme arabe
d’inspiration islamique. Cette idéologie, qui, des deux côtés de son inspiration, a en priorité un projet économique dont l’urgence est évidente, parviendra-t-elle à mobiliser les populations, à
leur communiquer cette ferveur de produire et de grandir, que jusqu’à présent aucun régime arabe - faute d’idéologie mobilisatrice sans doute - n’a réussi à susciter 74 ?
En tout cas le mouvement de retour aux inspirations sociales et politiques islamiques ne nous semble pas obligatoirement intégriste et fanatique. Tout comme la révolution palestinienne a pu
représenter une reprise de l’authenticité proche orientale, de même, mais tout autrement, le courant islamique postérieur aux Frères musulmans représente, depuis 1967, une remontée de
l’authenticité islamique. Nouveaux avatars d’un double mouvement déjà nettement perceptible dans les années 50, et dont le mystérieux incendie du Caire le 26 janvier 1952 fut un symbole
75. Le premier courant tire aujourd’hui parti des théories révolutionnaires mondiales héritées de Marx et de Mao, le second courant sollicite la théorie du socialisme arabe qui, lui-même,
cherche des racines historiques, traditionnelles. Dans les deux cas la pensée politique héritée de l’Occident est contestée, non seulement en fait mais de manière consciente et explicite. Le
courant islamique actuel, en effet, offre à chaque citoyen arabe musulman de s’identifier à la vaste communauté musulmane ou du moins à la communauté arabe comme communauté musulmane
privilégiée. Après quoi, la doctrine sociale et politique de cette umma (communauté, nation) est appelée à être interprétée et appliquée avec ardeur dans les diverses provinces grâce à des Etats
modernes d’inspiration islamique dont la tâche prioritaire est économique et sociale. La mission de chacun de ces Etats est nationale-islamique, mais aucun d’eux, bien entendu, n’est perçu comme
un Etat qui coïnciderait avec la « nation musulmane ».
Cette double remontée aux sources, proche-orientales d’un côté et islamiques de l’autre, nous rend-elle l’Orient arabe plus étranger qu’il n’était ? Il n’est pas impossible que d’autres
courants de la pensée arabe, moins marquants depuis 1967 mais solidement établis, l’emportent et retrouvent un nouveau souffle. La logique des Etats nationaux peut fort bien s’imposer, à l’aide
des communistes arabes et des hommes de gouvernement. Mais pour combien de temps, si les racines culturelles du Proche-Orient arabe et musulman ne sont que peu touchées et mobilisées ? Aussi
nous faut-il revenir à la formulation de notre hypothèse, et chercher comment des penseurs arabes l’ont exprimée et expliquée récemment.
III. MÉDITATION ARABE SUR LE PROCHE-ORIENT ARABE
Un souffle d’autocritique a saisi les esprits arabes à la suite de juin 1967, pour donner forme à des méditations déjà anciennes, souvent non publiables en langue arabe. L’essentiel de telles
méditations concerne, bien sûr, l’identité arabe, et particulièrement l’identité de l’être politique arabe. Sans doute nous aideront-elles à mieux connaître, à comprendre peut-être, ce que, par
hypothèse, nous appelions une sensibilité politique proche-orientale spécifique.
Un premier cri de révolte contre soi-même annonce que l’islam, « forme inséparable de nos conduites et de nos coutumes », est inconciliable avec la science moderne 76. Il faut
s’attaquer directement et sans partage à cette mentalité religieuse, sans attendre d’effet magique ni de l’évolution économique ni du nationalisme arabe nassérien ou ba’athiste. La catastrophe de
juin 1967 est due en tout et pour tout à la dualité, dans la conscience arabe, entre la science et la mentalité religieuse. Ce n’est pas à la matière ni d’abord à l’économique qu’il faut s’en
prendre, mais à l’esprit, à la raison, à la culture, aux valeurs 77. Une autre nuance du même cri consiste à prêcher l’urgence d’un renouvellement profond des conceptions islamiques
78 : que l’on découvre que le Coran, Parole créatrice de Dieu, somme l’homme de répercuter politiquement et socialement la formidable créativité divine ! Que l’on perçoive la Loi
révélée (Sharî’d) comme ce qu’elle est, « un principe permanent de dynamisme et de renouvellement » 79.
Or, les sociétés arabes ont un besoin pressant de renouvellement, à commencer par celui de la raison et des méthodes de pensée. En effet, « la raison arabe est encore pré-scientifique,
pré-expérimentale » 80. Telle est la clef du sous-développement de la région. Le sursaut politique arabe des cinquante dernières années ne s’est pas accompagné d’un sursaut
scientifique. La recherche scientifique dans les pays arabes est très faible. Plus radicalement, on en reste à des formes de pensée abstraites et médiévales au lieu d’une culture scientifique
expérimentale. Il faut donc une mutation des modes de pensée, « une révolution culturelle, afin d’accéder au progrès technologique » 81. Il faut insuffler dès l’enfance
« une conscience du développement économique ... une éducation à la planification » 82, grâce à l’école et grâce à un Etat fort. Pour ce faire, on a le droit de recourir à la
violence, mais le risque d’anarchie serait grave.
Après cette double interpellation, soit anti-religieuse, soit réformiste et mystique, tâchons, grâce à trois études remarquables, d’analyser plus profondément les structures profondes des
sociétés arabes actuelles.
1. Communautarisme et pensée poétique
Les deux premières recherches sont sociologiques et s’inspirent d’Ibn Khaldûn, tant il est vrai que les sociétés arabes ne peuvent être aujourd’hui comprises sans une connaissance préalable du
grand sociologue, historien et jurisconsulte musulman. Nâsif Nassâr, comme Alî al-Wardi, avaient en effet déjà produit, en arabe ou en français, des études approfondies sur Ibn Khaldûn.
Le premier entreprend maintenant une étude critique de « la société communautariste » 83. Il n’y est pas question seulement de ce que l’on est convenu d’appeler le
confessionnalisme, mais d’une structure socioculturelle communautariste (tâ’ifiyyà) à laquelle le confessionnalisme sert de base. Au préalable, dit l’auteur, admettons que les deux constituants
essentiels d’une société sont, d’une part, la civilisation matérielle, et d’autre part, la culture comme esprit d’une société. Par exemple, la société industrielle est d’abord un esprit, une
culture, industrielle. Or le communautarisme n’est pas un élément phénoménal ou partiel des sociétés arabes, mais un « fait social global » 84, qui affleure dans tous les
domaines de la vie sociale. Il est faux de croire à la disparition progressive automatique de cette structure socio-culturelle par l’effet de l’évolution économique.
Le communautarisme se nourrit d’un attachement quasi instinctif et d’un esprit de corps (’asabiyya, concept de Ibn Khaldûn), dont l’origine est la naissance et la tradition familiale. C’est le
même esprit que l’esprit tribal, lequel s’est perpétué dans les communautés confessionnelles et locales lors de la disparition des tribus au cours du Moyen-Age. Le communautarisme est le
phénomène central de l’histoire du monde arabe, ancienne et moderne. « Par l’appartenance communautaire, on est plus proche de son frère de communauté que de son concitoyen non frère »
85. Et si la politique a toujours tenu une grande place dans la sensibilité arabe, c’est toujours par la médiation des « communautés », et non par un sens civique direct. Le
système politique et administratif libanais actuel correspond au degré maximal du communautarisme.
Face au communautarisme, les classes sociales au sens propre s’ébauchent à peine. Parlons plutôt de « formations de classe ». Et « le sentiment de classe, s’il existe, reste
toujours plus faible que l’esprit de corps communautariste » 86. Le concept de lutte des classes est inadéquat, dans le monde arabe actuel, pour aider la société à briser le carcan
communautariste.
A l’inverse, le parti politique peut jouer un rôle moteur, révolutionnaire. En effet, il possède tous les éléments constitutifs de la communauté : foi, attachement irrationnel,
organisation solidaire, et, en outre, une cohésion interne plus forte que dans la communauté, puisque l’adhésion est personnelle, par libre décision et non par acte de naissance. L’obstacle,
c’est que les partis, en général, émanent directement des communautés - tel est le cas de la plupart des partis libanais. Un parti non confessionnel ni « communautariste », mais
nationaliste, serait exactement ce qu’il faut pour surmonter le communautarisme sur son propre terrain, avec un esprit de corps semblable au sien.
Il faudra encore combattre la culture communautariste, et la remplacer par une culture laïque et scientifique. La culture communautariste est à la fois théologique et « sensualiste ».
Elle adopte en effet, et en même temps elle apprécie toutes choses, non pas d’après une mesure universelle, mais d’après les sensibilités immédiates de la communauté. Il reste donc un long
travail à accomplir. Le communautarisme politico-administratif finira par céder, mais le communautarisme lui-même ne cédera pas de si tôt. La seule voie efficace, c’est l’industrialisation, qui
apprendra à produire les objets et pas seulement à les consommer. La planification économique doit faire partie d’une vaste révolution politique et culturelle sous peine de tomber dans les
schèmes communautaristes. Se contenter, comme l’a fait naguère l’IRFED au Liban, de prêcher la justice sociale, c’est répéter à qui veut l’entendre qu’il y a des disparités géographiques,
autrement dit des rivalités entre régions, entre communautés. Or, les vertus sociales, chacun désire les pratiquer, mais dans le cercle bien précis de sa communauté propre.
C’est le même type d’analyse sociologique que mène Alî Wardî, à partir, cette fois, de l’histoire irakienne, ou plus généralement de l’histoire moderne du monde arabe 87. Il constate
d’abord les fonctions et les évolutions de l’esprit de corps (’asabiyyà), si bien analysées par Ibn Khaldûn. L’esprit de corps tribal se transforme en « esprit de corps du quartier, lequel
se transforme éventuellement en un esprit de corps plus large, que nous nommons l’esprit de corps communal » 88. A ces deux niveaux, s’ajoute « le confessionnalisme qui n’est
rien d’autre qu’un modèle déterminé d’esprit de corps... En effet, il repose sur l’appartenance sociale plutôt que sur le principe religieux ou sur le désir de préserver les enseignements de la
religion... Chaque faction confessionnelle se représente elle-même comme une tribu » 89. Le tribalisme, ou la « bédouinité » - expression précise et précieuse d’Ibn
Khaldûn -, n’est certes pas confiné à la vie nomade ou rurale ; il qualifie toute la vie sociale, même les activités urbaines les plus variées : commerce, artisanat, travail
industriel, criminalité, politique, religion, logique. Arrêtons-nous à ces trois dernières fonctions.
Dans la vie politique, le sens patriotique est inexistant à l’époque ottomane, et à peine sensible aujourd’hui. C’est que l’intercession religieuse et la médiation politique ou administrative
constituent l’attitude essentielle. « Le principe de l’intercession provient de la nature du pouvoir à laquelle les gens sont accoutumés depuis des siècles, et qui se reflète par une
croyance religieuse » 90. C’est que les habitudes sociales engendrent les pratiques religieuses des masses, qui, à leur tour, entraînent la caution inévitable des hommes de religion.
De la sorte, une éthique religieuse et politique, qui n’est nullement islamique, s’est imposée avec un succès durable indéniable. Dans la vie politique actuelle, chaque citoyen, gouverné ou
gouvernant, pratique avant toute chose la médiation, l’intervention, la recommandation. Politique et religion s’allient à une logique propre qui se ramène volontiers à la dialectique classique et
à la rhétorique. Le but est toujours apologétique, car la raison du groupe est a priori la raison véridique, conformément à l’adage bédouin fondamental : « Secours ton frère, qu’on lui
fasse ou qu’il fasse tort ».
Nous atteignons par là les racines de l’esprit de corps, de la bédouinité, du tribalisme, en tant que structure socio-culturelle. C’est ce que Wardî désigne comme « mode de penser
poétique » 91, ou comme « raison fervente ». Le poète, mais aussi le penseur et le discoureur, depuis la société arabe anté-islamique jusqu’à nos jours, exercent la fonction
sociale de « soutien de la tribu » 92. « Ils ont élargi le cadre de la tribu en en faisant le peuple, la patrie, la nation... Seule la forme de l’esprit de corps a changé,
tandis que son contenu reste inchangé. Les poètes considèrent toujours leur peuple, leur patrie, leur nation, à la manière dont le poète bédouin regardait sa tribu » 93. Cette manière
de raisonner est aux antipodes de la raison politique moderne. La guerre n’est plus une affaire de ferveur ou de poésie. L’économie moderne de développement s’oppose 94. En exprimant
autrement la même chose, la politique, l’administration, l’économie, bref la civilisation moderne, exigent le principe individualiste : « II faut considérer l’individu sans plus tenir
compte de l’esprit de corps, des liens de parenté et de voisinage, de l’amitié ou de la préférence personnelle... » 95.
Ce serait une grave erreur, ajoute Wardî, que de croire à la conciliation des deux systèmes de valeurs. « II y a une contradiction entre la civilisation moderne et nos valeurs anciennes,
car celles-ci se sont formées dans une société bédouine ; si elles dominaient une société moderne, elles mèneraient à la décadence et à la destruction de cette société ». Voilà
pourquoi, dit Wardî, le trait principal de la culture arabe actuelle, c’est l’ambivalence. « Tout homme arabe tant soit peu cultivé a une personnalité ambivalente - sinon psychologiquement
dédoublée. Il contredit quotidiennement, dans sa vie, les principes et les valeurs de la modernité, qu’il défend mordicus dans ses paroles et ses écrits. Cela n’est d’ailleurs qu’une nouvelle
forme d’ambivalence qui succède à l’antinomie traditionnelle des sociétés musulmanes comme de toute société idéologique » 96. L’auteur a déjà parlé précédemment de l’antinomie entre
l’islam et les coutumes tribales et religieuses non islamiques 97.
Comment envisager l’avenir des sociétés arabes ? Non pas en prêchant « la cité vertueuse » utopiste, dans la tradition des philosophes arabes classiques, ni en aménageant
l’ambivalence à l’aide d’un clergé musulman habile à la casuistique. Cela ne sert de rien, écrit Wardî. Il n’y a pas de mutation de la nature humaine, et le même esprit de rivalité bédouine et
tribale fera toujours partie de cette nature, tout particulièrement dans le monde arabe, dont la géographie et l’histoire ont accentué ce trait. Si la religion décline, « elle est remplacée
par le nationalisme, de manière inconsciente », ou par « l’idéologie communiste antinationaliste ». « II serait temps, dit A. Wardî, de se concentrer sur les sociétés locales
réelles - irakienne, syrienne, etc. - et non plus seulement sur la société nationale-arabe qui fait l’objet de sermons plutôt que de présentations en termes objectifs » 98. Là réside
en grande partie la cause de la catastrophe de juin 1967 : la défense de la nation arabe était un but trop abstrait.
Le ton de A. Wardî n’est guère optimiste. Mais l’important, de notre point de vue, c’est que, par une analyse différente, il retrouve ces sensibilités politiques arabes que N. ’Allûsh avait
soulignées grâce à l’étude de l’expérience palestinienne actuelle. D’autre part, comme N. Nassâr, le sociologue irakien invite à une nécessaire et douloureuse mutation socio-culturelle, mais l’un
et l’autre entendent partir des structures mentales et sociales existantes. H. Saab cherche même à puiser dans le dynamisme propre de l’islam, vécu à nouveau et en profondeur.
2. Parole et nation
La troisième étude dont nous parlions est une recherche de philosophie politique du philosophe syrien Antûn Makdissi, à propos de réflexions sur le marxisme 99. D’où vient
« l’incompréhension entre nous, Arabes, et les Occidentaux quand ils contestent notre arabisme et notre concept de nationalisme arabe » 100 ? C’est que l’Europe, certaine,
depuis fort longtemps, de détenir la vraie civilisation et l’humanisme vrai, a une certaine idée de la nationalité sous sa forme juridique, étatique, « tandis que, pour nous, le concept de
nation (ummd) signifie bien davantage » 101. Le malaise s’accentue encore du fait que les penseurs arabes aujourd’hui s’alignent sur la conceptualisation occidentale. Ainsi la devise
du Ba’ath : « Une nation arabe une, détentrice d’une mission éternelle », selon Makdissi, provient de l’ambiance romantique nationaliste de l’Europe du xixe siècle, précisément
pour répondre au défi européen. Le défi lui-même imposait à la riposte son langage à lui. De là vient ce tragique dédoublement de la personnalité arabe aujourd’hui : deux langues, deux
cultures, deux êtres pour ainsi dire 102. Comment redire avec exactitude le caractère propre de la culture arabe, sémitique, proche-orientale, se demande Makdissi ?
La caractéristique de cette culture, c’est, dit-il, la parole, la manifestation claire, le « kérygme » - mot qui lui semble bien rendre le bayân de l’arabe. L’Occident, par son
héritage grec, se concentre sur le concept et sur la praxis, encore que, par son héritage sémitique qu’il doit au christianisme, il se voit aussi ouvert à la contingence, à la liberté et au
langage comme signe personnel. Cet héritage chrétien dessine en Occident un courant de pensée et de sensibilité où le dialogue et la compréhension avec les Arabes sont possibles. C’est même
peut-être le sens sémitique de la contingence des êtres, et donc de leurs liaisons réciproques à la manière de signes et de signifiés, qui a permis à l’Occident de bouleverser la logique
conceptuelle des Grecs et, par suite, d’entrer dans la voie des grandes recherches scientifiques modernes. Ainsi l’Occident n’est pas étranger à l’Orient sémitique, il s’en faut. Seulement il a
réussi une synthèse du sémitique et de l’hellénique, que la culture arabo-islamique n’a nullement réussie 103. En bref, dit Makdissi, la raison arabe s’attache à l’individuel et au
singulier plutôt qu’au groupe et au concept, à la liberté plutôt qu’à la raison, à la connaissance auditive plutôt qu’à la vision, au dévoilement d’une volonté plutôt qu’à la déduction
rationnelle, à la contingence continuelle plutôt qu’à la nature et à l’organisation stable des choses, à une mission confiée d’en haut au jour le jour plutôt qu’à une Nécessité ravie aux dieux
une fois pour toutes 104.
La philosophie politique arabe découle de cette mentalité 105. La révolution islamique du VIIe siècle s’y enracine profondément puisqu’elle réussit à soumettre les libertés individuelles
(des personnes et des groupes familiaux) à la liberté supérieure de Vumma (communauté de la foi), dit Makdissi. L’organisation tribale et aussi bien celle de l’islam classique, sont
essentiellement individualistes ; Vumma islamique élargit seulement la solidarité, sous un chef prophète. S’il y a révolution, elle est homogène au milieu. Là est l’origine propre de la
nation dans le monde sémitique, et singulièrement de la nation arabe dont le grand moment fut la révolution islamique. Comme A. Wardî, A. Makdissi donne raison à Ibn Khaldûn, selon lequel le nerf
de l’Etat arabe c’est l’esprit de corps (’asabiyyà), tandis que chez Aristote c’est la Constitution ou la Loi - la raison et non l’affectivité.
Rien d’étonnant à ce que, dans l’expérience arabo-musulmane, l’appartenance soit toujours personnelle. Chaque citoyen appartient de plus ou moins près au prince, au calife, et c’est le degré
d’appartenance politique qui détermine les classes sociales. Rien d’étonnant non plus à ce que Makdissi voie dans l’Etat une volonté de puissance et pas seulement une rationalité. « L’Etat
est aussi, dit-il, l’institution qui détient en propre le droit légitime d’exercer la violence, en tant que c’est lui qui décrète et dit le sens » 106, idée chère à Ibn Khaldûn encore
une fois, et qu’on trouvera aussi en Occident mais sur un mode mineur (cf. Nietzche et M. Weber). Ainsi, dans la philosophie politique arabe, à la différence de la grecque et de
l’européenne, la citoyenneté n’est pas l’appartenance première, et l’Etat n’est pas d’abord et surtout une Loi mais l’un des cercles d’appartenance et de loyauté, ou encore l’Etat n’est que l’une
des expressions de l’appartenance nationale. Makdissi récuse donc les théories occidentales de la nation, qui correspondent à une expérience historique et à une culture particulières. Marx
lui-même, dans son projet internationaliste et, finalement, anti-étatique, reste foncièrement national selon Makdissi, en tant que toute son analyse et son champ d’expérience sont exclusivement
occidentaux. Certes la nation arabe n’échappe pas aux définitions et descriptions occidentales classiques, mais elle y est à l’étroit. Pour connaître le nationalisme arabe, il faudra commencer
par créer de nouvelles méthodes d’analyse socio-politique. Makdissi s’y essaye.
La nation, dit-il, premièrement « c’est une unité sociale », c’est-à-dire essentielle à la sociabilité en tous temps et tous lieux, même avant l’organisation d’Etats au sens occidental
complet. « La nation arabe, par conséquent, s’est formée avant l’établissement d’une entité politique unifiée et s’est perpétuée après l’éclatement de cette unité politique »
107. La nation, c’est en effet, deuxièmement, un donné historique, et le palier des aspirations est décisif, car c’est elles qui élaborent, à chaque âge, de nouvelles significations.
« Le passé s’ouvre ainsi de l’intérieur afin de se mettre au service de l’avenir arabe » 108. La nation c’est donc surtout une surrection (Ba’th) à l’intérieur d’une tradition,
d’une continuité. Troisièmement enfin, la nation est expression, par des institutions et un Etat, par des œuvres de culture et une langue. En bref, la nation telle que l’entend un Arabe,
« c’est un donné social et historique à divers paliers intégrés, chaque palier ayant sa spécificité et aussi son évolution propre, sans que l’on doive pourtant l’isoler des autres »
109. Trahirons-nous Makdissi en disant que, pour lui, la nation c’est la culture (par opposition à : nature) en tant qu’elle porte un destin et un projet politiques, au sens large de
ce terme ? Cette manière d’aborder la question nationale et le problème du politique nous paraît prometteuse pour quiconque, Arabe ou non, sémite ou grec, désire mieux connaître, et
comprendre peut-être, la politique arabe et le nationalisme arabe.
Conclusion
En compagnie de certains des jeunes penseurs arabes, sociologues ou philosophes, nous cherchions à ausculter la vie politique arabe en nous départissant quelque peu de la logique européenne en
science politique. Le courant de pensée récent qu’animé l’idée palestinienne de résistance et de révolution, accentue, nous semble-t-il, la distance que prend l’Orient arabe vis-à-vis du principe
de l’Etat national et de la logique qui en découle. Pareillement, la remontée au grand jour de la doctrine sociale et politique islamique moderne, héritière des Frères musulmans et, au-delà
d’eux, du mouvement réformiste de la fin du xix6 siècle, redonne vigueur à la méfiance instinctive à l’égard de la philosophie occidentale de l’Etat, de la nation, ou même de l’internationalisme
européen d’un Marx. Notre hypothèse de recherche aide-t-elle à comprendre moins mal le succès relatif et le contenu de ces deux courants d’idées les plus marquants de l’après-guerre éclair ?
Elle est en tout cas exprimée en profondeur par les études critiques que nous avons analysées dans les dernières pages. Ces études nous montrent d’une part les racines des sensibilités politiques
proche-orientales : ce sont les traits propres d’une raison sémitique, proche-orientale, arabe. Mais d’autre part elles insistent sur le désir d’une mutation très grande de l’Orient arabe, à
commencer par sa raison, sa mentalité, alors que les orientalistes ont souvent tendance à figer l’Orient dans des invariants, des structures socioculturelles propres définitives. Les deux points
principaux de la difficile et urgente mutation culturelle concernent, selon ces études critiques, la science et l’Etat. Il faudra faire craquer de l’intérieur les structures tribales,
communautaristes, qu’a prises le sentiment de loyauté locale, familiale, interpersonnelle. L’Etat national à la mode occidentale représente alors un modèle possible, qui se trouve d’ailleurs
réalisé à peu près en Israël. Mais le patriotique, le local, le provincial, n’a pas de sens complet en dehors du national-arabe ou islamique, même pour l’Etat égyptien qui, à première vue,
vérifie le modèle occidental. Pour l’appartenance à la vaste communauté, l’Occident n’offre pas de modèle satisfaisant. Sa théorie de la nation dans ce cas est étriquée et juridique. Le malaise
intellectuel profond des Arabes en quête de construction nationale, c’est, sans doute, qu’il leur faut eux-mêmes, du sein de leur expérience et de leurs structures sociales actuelles en mutation,
élaborer une théorie politique et une sociologie proprement arabes, car la réalité sociale et nationale du Proche-Orient arabe échappe en grande partie à la sociologie et à la science politique
apprises en Occident 110.
Ce malaise intellectuel a des répercussions politiques tangibles, notamment à propos du type de relation avec l’Etat national israélien de marque européenne plus que de caractère sémitique, à
propos aussi du genre d’union politique à laquelle la nation arabe voudrait accéder, étant entendu que le modèle hégémonique nassérien, malgré l’enthousiasme de son disciple Kadhâfî, est
ressenti comme erroné, à propos enfin de la poussée « patriotique » palestinienne. Si un jour les Arabes atteignent ce qu’ils cherchent ainsi, alors, comme certains de leurs penseurs le
croient, leurs découvertes réveilleront peut-être en notre Occident cette veine sémitique qui fait aussi partie de notre culture.
Olivier Carré
Revue française de science politique, Année 1973, Volume , Numéro 5
Notes
1. Ainsi dans l’anthologie, en langue arabe, de l’Israélien Josofât harkabi, Tayyàràt fi al-siyàsa wa-al-ijtimà’al-’arabî ba’ad hazîràn 1967. Tel-Aviv, Dàr al-nashr-al-’arabî, 1971 (Trad. du
titre : Les courants de la politique et de la société arabes depuis juin 1967). De même dans les chroniques de Nissim rejwan, en Israël, dans New Outlook, notamment au vol. XV, n° 8,
octobre 1972 : 27-34. Dans les deux cas, on est à l’affût de l’occidentalisation des Arabes et, espère-t-on, de leur réaliste volonté de coopérer avec Israël.
2. Peut-être Anouar abdelmalek, dans Idéologie et renaissance nationale, Paris, Anthropos 1969, comme dans La pensée politique arabe contemporaine, Paris, Seuil, 1970, minimise-t-il le thème
national-arabe, au profit de celui de l’édification nationale égyptienne socialiste, ou bien au profit de la doctrine « tiers-mondiste » du « nationalitarisme ». Cf. rodinson
(M.), Marxisme et monde musulman. Paris, Seuil, 1972, pp. 142-143.
3. Nous en trouvons une expression rénovée dans : chevallier (Dominique), La Société du Mont Liban à l’époque de la révolution industrielle en Europe. Paris, Geuthner 1971, Préface et p. 26,
etc. ; khadduri (Majid), Political trends in thé Arab world. The rôle of ideas and ideals in politics. Baltimore and London, J. Hopkins, 1970, pp. 26-27. Précisons que, dans cet article,
nous n’entendons nullement faire le point des études orientalistes actuelles, mais faire connaître quelques ouvrages arabes récents, qui, la plupart, sont venus enrichir la bibliothèque de la
Fondation nationale des sciences politiques.
4. Al-Istràtîjiyya al-siyâsiyya wa-al-tanzîmiyya (La stratégie politique et organisation-nelle), Beyrouth, 1969. Pour une « analyse conceptuelle » systématique des textes de base, et
sur l’évolution de la résistance palestinienne entre 1936 et 1970, cf. carré (Olivier), L’idéologie palestinienne de résistance, Analyse de textes (1964-1970), Paris, Armand Colin, 1972.
5. Dans la suite de cet article, nous distinguons, dans la traduction, entre l’appartenance nationale (wataniyya) syrienne, égyptienne, etc. et le nationalisme de la nation arabe (qawmiyya).
Nous rendrons donc la première par : patriotisme, et le second par : nationalisme, ou nationalisme arabe, et national-arabe. Nous évitons le néologisme : nationalitaire,
nationalitarisme ; cf. note 2.
6. hawatmeh (Nây’îf), Harakat al-muqàwama al-filastîniyya fî wâqi’ihâ al-râhin : diràsa naqdiyya (Le mouvement de la résistance palestinienne dans la situation actuelle. Etude critique),
Beyrouth, 1969. Cette plaquette rassemble les rapports adressés par Hawâtméh au sixième congrès du Conseil national palestinien, de septembre 1969.
7. Op. cit., p. 167.
8. Sur les 167 pages de Y op. cit., Hawâtméh n’utilise jamais en bonne part le terme : nationalisme (qawmiyyà).
9. sha’ath (Nabîl), « La Palestine future ». Colloque de l’Association générale des universitaires palestiniens (G.U.P.S.), Kuweit, 13-17 février 1971. Reproduit en langue anglaise dans
Al Fateh 3 (1), mars 1971 : 8-9 et 15.
10. Voici l’article 6 de la Charte nationale palestinienne du 17 juillet 1968 : « Les Juifs qui résidaient normalement en Palestine jusqu’au début de l’invasion sioniste seront
considérés comme palestiniens. »
11. abu shalbaya (Muhammad), Là salâm bi-ghayr dawla falistiniyya (Pas de paix autrement que par un Etat palestinien), Jérusalem, 1971, p. 86. Thèse reprise récemment, l’auteur faisant état du
refus par les autorités israéliennes d’occupation de la création d’un Parti palestinien de Cisjordanie, dans : Al-tariq ilâ al-khalâs wa-al-hurriyya wa-al-salâm (La voie vers le salut, la
liberté et la paix), Jérusalem, 1972.
12. Cf. ’allush (Nâjî), Al-Thawra al-falistîniyya. Ab’àduhâ wa-qadâyâhâ (La révolution palestinienne. Dimensions et problèmes), Beyrouth, 1970.
13. Op. cit., p. 29.
14. Op. cit., p. 49.
15. Op. cit., p. 60.
16. aflaq (Michel), Nuqtat al-bidâya. Ahâdîth ba’d al khâmis min hazîrân (Le point initial. Entretiens après le cinq juin), Beyrouth, 1971 (2e édition corrigée et augmentée), p. 65.
17. Op. cit., pp. 60-61. Même idée chez le vieux théoricien du nationalisme arabe, qui n’est pas ba’athiste, zurayq (Constantin), Ma’nâ al-nakba mujaddida. (La signification du désastre, une
fois encore), Beyrouth, 1968.
18. aflaq (M.), op. cit., p. 174.
19. Op. cit., p. 178 et p. 65.
20. Cf. razzaz (Munîf), Al-wahda al-’arabiyya haï lahà min sabîl (Y a-t-il une voie vers l’unité arabe ?), Beyrouth, 1971, pp. 49-52 ; puis pp. 28, 38-39.
21. Op. cit., p. 47. Cf. aflaq (M.), op. cit., p. 65.
22. Cf. zurayq, op. cit., pp. 90 sq. ; razzaz, op. cit., p. 44.
23. Cf. shafiq (Munir), Hawla al-tanàqud wa-al-mumàrasa fi al-thawra al-falistîniyya (Contradiction et praxis dans la révolution palestinienne), Beyrouth, 1971.
24. murqus (Iliyâs) [Morqos, Elias], Al-muqâwama al-falistîniyya wa-al-mawqif alrâhin (La résistance palestinienne et la situation actuelle). Beyrouth, 1971 : pp. 3, 57 ; etc.
25. dimitri (Adîb), Al-marksiyya wa-al-dawla al-suhyûniyya (Le marxisme et l’Etat sioniste), Beyrouth, 1971. L’auteur est un marxiste égyptien.
26. Cf. tuma (Emile), « A propos de l’idée d’un Etat palestinien » (en hébreu), Zo Haderek, 11 mars 1970, sur le caractère définitivement binational de la Palestine et le droit à
l’existence en Palestine du peuple juif résident. Traduction dans le Bulletin n° 8 du Groupe de recherche et d’action pour le règlement du problème palestinien (GRAPP) (M. Rodinson).
27. dimitri, op. cit., p. 165.
28. sabri ’abdallah (Ismâ’îl), Fî muwâjahat Isrà-il (Confrontation avec Israël), Le Caire, 1969. L’auteur, devenu depuis ministre de la Planification, est l’unique militant de l’ex-Parti
communiste égyptien présent dans le gouvernement égyptien actuel.
29. ’AzM (Sâdiq Jalâl), Al-naqd al-dhâtî (Autocritique) et Naqd aî-fikr al-dînî (Critique de la pensée religieuse), Beyrouth, 1969. 2° édition du second titre en 1970, avec les documents des
tribunaux, car l’auteur et l’éditeur passèrent en jugement après la première parution, avant d’être acquittés, en plein Beyrouth, capitale arabe de la libre expression !
30. ’AzM (Sâdiq Jalâl), dans Shu’ùn falistmiyya (Affaires palestiniennes), n° 12, août 1972, p. 203 [Beyrouth].
31. Cf. hafni (Qadrî), Tajsîd al-wahm. Diràsât sîkulûjiyya li-al-shakhsiyya alisrà’îliyya (L’incarnation d’une chimère. Etude psychologique de la personnalité israélienne). Le Caire, 1972.