La disparition de Maxime Rodinson http://www.babelmed.net/index.php?menu=6&cont=828&lingua=fr | |
Antonia Naim | |
L’historien, linguiste, sociologue, spécialiste du monde arabe et musulman, Maxime
Rodinson est mort à Marseille le 23 mai, à l'âge de 89 ans. L’hommage de la presse est quasi unanime: cet intellectuel prodigieux, fils d’ouvriers communistes, immigrés juifs originaires de Russie et de Pologne qui mourront à Auschwitz, autodidacte, réussit le concours d’entrée à Langues-O, entra ensuite au CNRS et devint un auteur prolifique et un érudit hors pair, il parlait une trentaine de langues dont le guèze (l’éthiopien ancien), l’arabe, le turc, l’hébreu. Maxime Rodinson fut aussi un intellectuel engagé: juif laïque et anti-sioniste, il s’était opposé à tout communautarisme qu’il définissait comme «peste communautaire». Militant du Parti communiste français – il sera exclu du parti en 1958 –, il s’était battu dès 1968 en faveur de la cause palestinienne en créant avec un autre grand orientaliste, Jacques Berque, le Groupe de recherches et d'actions pour la Palestine, ce qui lui valut menaces et ostracisme. Marxiste convaincu et créatif, sa lecture de l’Islam était devenue rapidement une référence pour les intellectuels occidentaux mais aussi arabes. Sa biographie de Mahomet, qui situe la vie du prophète dans son contexte social et politique, fut longtemps interdite dans le monde arabe. Mahomet, Islam et capitalisme, La Fascination de l’Islam, L’Islam: politique et croyance sont parmi ses œuvres les plus significatives qui ont permis à plusieurs générations de lecteurs, étudiants, militants de connaître et de comprendre les sociétés arabes, non pas à partir de la religion mais dans les rapports qu’elles entretiennent avec la religion, en forme de causalité dialectique. Maxime Rodinson publia aussi de nombreux livres sur l’actualité du monde arabe, l’intégrisme et naturellement le conflit israélo-palestinien, il n’a jamais cessé de prôner le dialogue des cultures et le rapprochement des deux rives de la Méditerranée. Dans le numéro spécial devenu célèbre de la revue Temps modernes, en 1967, à la veille de la guerre des Six jours, il avait publié un article intitulé «Israël, fait colonial?» où il répondait positivement à la question tout en affirmant que si la création de l’Etat d’Israël avait été une injustice pour les Palestiniens, il était là et avait le droit d’exister mais qu’il fallait aussi un Etat pour les Palestiniens. En 1998, dans un entretien accordé à la revue Confluences Méditerranée (n°26, 1998), il confirmait cette vision et avait rappelé encore une fois qu’Israël n’est pas un Etat comme les autres: «Il est clair que ce n’est pas un Etat comme les autres, parce que il y a à la base un “mythe fondateur”. (…) Les Israéliens se considèrent comme les héritiers légitimes de la vieille nation israélite établie depuis le temps de Moise, pour le moins, 14, 15 siècles avant J.-C. S’ajoute ou se juxtapose à cela la version religieuse, c'est-à-dire: “Nous sommes sur cette terre parce que c’est la volonté de Dieu”. (…) Mais il y a un minimum si l’on veut établir les notions de droit à un territoire ; il faut quand même avoir un vague critère de base, sinon pourquoi les Allemands n’auraient-ils pas droit à la France par exemple ? Il y a un minimum à ce minimum, c’est qu’un peuple qui occupe un territoire depuis des années ou des siècles, qui a cultivé les terres, qui a construit des maisons et des ateliers, est occupant légitime de ce territoire, au moins pour une longue période historique. C’est cela que les Juifs sionistes n’ont pas appliqué en Israël vis-à-vis des Arabes de la terre palestinienne». Une vision utile à rappeler aujourd’hui pour réintroduire les notions de droit dans la question de la Palestine. Maxime Rodinson manquera beaucoup. |
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Antonia Naim | |
____________________________________________________________________________________________ Bibliographie: Mahomet, Club français du livre, 1961, réédité par Le Seuil en 1994. Islam et capitalisme, Seuil, 1966. Israël et le refus arabe, 75 ans d'histoire, Seuil, 1968. |