Sommaire :
Mise en perspective historique
Les racines historiques de la Palestine
Le double front du mouvement national palestinien
Vers l’État d’Israël
Un double combat, contre l’occupant israélien, contre les visées hégémoniques des États arabes (1948-67)
L’autonomie du mouvement national palestinien (1968) et l’échec militaire
Vers le tournant stratégique
Les problèmes stratégiques du mouvement national palestinien
Les caractéristiques essentielles
Les principaux problèmes à résoudre
Quelle stratégie possible ?
Une construction progressive
1973-1974 : le grand tournant
Ce cahier est la réécriture d’un exposé présenté à l’« Université d’été » de l’AFPS organisée au cours de l’été 2004. L’objet est de faire mieux comprendre les problèmes spécifiques
auxquels a été confronté le peuple palestinien pour faire valoir ses droits. Une histoire terrible. Il s’agit en particulier de mieux comprendre pourquoi le plus légitime des mouvements de
libération, représentant un peuple privé de l’essentiel de son territoire pour réparer des fautes qui ne sont pas les siennes, et dont on a toujours tenté de miner la représentativité, a
conservé le plein appui de son peuple. Il n’y a jamais eu de Pétain dans les territoires occupés. Il s’agit enfin de voir comment le mouvement national a été amené à prendre en compte la
réalité de son ennemi usurpateur : Israël, vrai problème non réso- lu de la conscience européenne. Bien entendu, personne n’imagine pouvoir rouvrir la dispute sur l’existence de l’État
d’Israël... C’est une réalité historique dont les origines ont été marquées de trop d’effusions de sang pour pouvoir imaginer les remettre en discussion. Il faut trouver un modus vivendi qui
aille dans le sens d’une « coexis- tence égalitaire des ethnies » (Maxime Robinson). C’est ce qu’a proposé, avec quel éclat, le célèbre Conseil national palestinien d’Alger de
novembre 1988. Cet itinéraire, exceptionnel pour un mouvement de libération, mérite d’être connu et compris par toute l’opinion européenne dont la conscience devrait être davantage interpellée
par l’interminable souffrance palestinienne devrait secouer la conscience européenne.
Bibliographie de base
Bichara et Naïm Khader : Textes de la révolution palestinienne 1968-1974,
Paris, Sindbad, 1975.
Olivier Carré : L’idéologie palestinienne de résistance, Paris, Fondation
nationale des Sciences politiques, 1972.
Olivier Carré : Le Mouvement national palestinien, Paris,
Gallimard-Julliard, coll. Archives, 1977.
Alain Gresh : Histoire et stratégies. Vers l’État palestinien. Préface de
Maxime Rodinson, Paris, SPAG-Papyrus, 1983.
Uri Avnery : Mon frère l’ennemi. Un Israélien dialogue avec les
Palestiniens, Paris, Liana Levi, 1986.
Nadine Picaudou : Le Mouvement national palestinien. Préface de Maxime
Rodinson, Paris, L’Harmattan, 1989.
Les textes de référence cités dans l’exposé, mais aussi des cartes, peuvent être consultés sur le site de l’Association France Palestine Solidarité :
Mémorandum du premier
congrès des associations islamochrétiennes.
Le mandat britannique,
juillet 1922 .
Le Livre blanc, mai
1939.
Résolution 181 sur le
partage .
Charte nationale
palestinienne, 1964 .
Charte nationale
palestinienne, 1968.
Programme politique du
douzième Conseil national palestinien, juin 1974.
Sommet arabe de Rabat,
octobre 1974 .
Déclaration du Conseil
national palestinienne, 15 novembre 1988 :.
Quand on étudie avec un minimum de prospective historique la question qui a longtemps été appelée « conflit arabo-israélien » mais qui, avec le temps, a pris toujours plus les
contours d’une confrontation pour la terre de Palestine entre Arabes ou Palestiniens d’un côté, et Juifs ou sionistes ou Israéliens de l’autre, il est impressionnant de constater combien les
constantes sont bien plus nombreuses que les variables.
Une question qui dure depuis plus d’un siècle et qui, dans beaucoup de ses composantes, semble toujours arrêtée à la case zéro. Il en est ainsi pour les données matérielles sur le terrain - les
colonies, la démographie, la possession de la terre et de l’eau - et pour les aspects institutionnels de la souveraineté et du pouvoir.
Mais avec le temps, même la dimension plus spécifiquement idéologique - quel État, quelle nation, quels droits ? - reste encore incertaine et objet de passions presque intactes...
Enfin, y compris le problème de la légitimité qui semblait résolu par des actes officiels, comme les résolutions des organismes internationaux - d’abord la SDN et ensuite l’ONU - ou par des
accords directs ou par médiation entre les parties, est toujours lourdement présent dans les consciences, interférant sur le jeu de la diplomatie. D’où la nécessité d’une approche historique
permettant de mesurer l’évolution, en particulier en matière de stratégie, du principal intéressé, le mouvement national palestinien.
Ce mouvement s’est développé dans un contexte spécifique qu’il faut examiner pour comprendre sa singularité. Il est d’autant plus important de restituer l’histoire de cet acteur politique
qu’est le mouvement national palestinien que lui, comme son histoire, ont été longtemps niés. Son histoire a été déformée, combattue et calomniée, ce qui la rend d’autant moins accessible et
plus difficile à comprendre.
D’ailleurs, encore en 1988, au début de la première Intifada, Shimon Pérès, alors ministre des Affaires étrangères, déniait l’existence du mouvement national palestinien en déclarant que
« l’idée selon laquelle il y a un conflit entre Israël et le peuple palestinien est une invention récente et l’agitation actuelle n’est qu’une phase additionnelle de la lutte arabe contre
Israël. »
De plus et comme de tous temps, ce sont les vainqueurs qui ont écrit l’histoire de la région du Proche-Orient. Les Palestiniens eux- mêmes éprouvent des difficultés et rencontrent des obstacles
pour écrire leur propre histoire et la faire connaître.
Or la Palestine a bien des racines et une histoire propre qui ont donné naissance à un véritable sentiment national, caractéristique de tout peuple qui veut se constituer en nation. Et
l’émergence du sentiment national, cette reconnaissance d’une identité nationale, sont antérieures à la colonisation sioniste, même si l’affirmation de leur existence ne relève pas d’une totale
évidence. Dans l’histoire vue par les Arabes, le mouvement palestinien est expliqué d’une curieuse façon. Même les manuels d’histoire diffusés en Palestine ne sont pas au clair avec le sujet.
MISE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE
Les racines historiques de la Palestine
Au VIIe siècle, au moment de la conquête arabe, la Palestine, partie du pays de Syrie, est une division administrative de l’empire byzantin. Le pays de Filastine est une transcription de la
Palaestina romaine pour désigner une région de l’une des provinces de l’empire romain. Entité propre, elle recouvre le sud de l’ancienne Syrie auquel il convient d’ajouter la région située de
part et d’autre du Jourdain.
On peut même remonter beaucoup plus loin dans l’histoire pour caractériser l’existence de cette entité, avec la présence avérée des Philistins sur ces territoires il y a plus de trois mille
ans, sans aller jusqu’à se référer au mythe selon lequel les Philistins seraient eux- mêmes les descendants de Sem, lui même fils de Noé.
À partir de 1516, les Turcs constituent l’Empire ottoman qui va durer quatre siècles, jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale et soumettent la Palestine. Celle-ci fait alors partie de la
« province de Damas » elle-même divisée administrativement en trois vilayets (qui équivalaient à peu près à des départements dotés d’un préfet) et deux sandjaks (équivalent à une
sous-préfecture). À l’intérieur de la province de Damas, la Palestine recouvre la vilayet de Beyrouth et le sandjak de Jérusalem.
Les habitants de cette région sont reconnus comme des Palestiniens à dominante arabophone et musulmane. Il s’agit d’un peuplement ancien, probablement de sangs mêlés notamment avec les familles
juives, peu modifié dans sa composition et sa culture par les flux migratoires restés faibles durant la domination ottomane de ces quatre siècles.
Le sentiment palestinien s’exprime dans la continuité du mode de vivre et de la culture transmis entre générations et chanté et écrit par Mahmoud Darwish. Au-delà de ce sentiment, et qui le
distingue déjà de ses voisins, c’est l’attachement à « son pays » composé de la Galilée, de Jérusalem et du littoral, plus précisément :
son fort enracinement à sa terre, avec un sentiment profond d’appartenance à une région, à un
« pays » (au sens où nous l’entendons à l’intérieur de nos régions françaises à dominante rurale), porteurs d’une solidarité de proximité. À ne pas confondre avec l’appartenance à une
nation, concept européen exporté ultérieurement au Proche-Orient ;
une appartenance à une loyauté nationale à l’intérieur de la communauté musulmane incarnée par
Istanbul, siège du sultan (le nationalisme ottoman avec sa composante religieuse dominante) d’où une fraternité à dimension religieuse.
Au XIXe siècle, on observe une montée des nationalismes au sein de l’Empire ottoman, y compris du nationalisme turc, similaire à celle qui se produit en Europe (naissance de l’Allemagne et de
l’Italie...). Le nationalisme turc entraîne, par réaction, le développement de nationalismes locaux dans les provinces de l’Empire ottoman. Le concept d’État-nation, avec une identité
culturelle, un peuple-un et une langue, s’impose progressivement.
De la naissance du mouvement national palestinien à la diaspora palestinienne de 1948
Le double front du mouvement national palestinien
Contre la colonisation juive
Dans cette région de l’Empire ottoman, se développe une conscience nationale arabe avec comme centre stratégique la Syrie (le grenier à blé de la région) et la Palestine. Le congrès arabe de
juin 1913 à Paris marque la naissance officielle du « réveil arabe », nationalisme marqué par un attachement à sa terre et au désir profond de se sentir chez soi. Pour la Palestine,
se regrouper en tant que nation arabe prend une signification particulière : il ne s’agit pas seulement de se sentir chez soi mais aussi de ne pas laisser s’échapper cette terre face à la
pression croissante des immigrants juifs.
En effet, cette naissance politique du nationalisme arabe dans la région a été précédée de réactions des représentants de la population locale contre les afflux d’immigrants juifs et leur
comportement non respectueux de la population locale (accaparement des terres, éviction de leurs exploitants palestiniens...). Ainsi un groupe de notables de Jérusalem envoie-t-il un télégramme
dès 1891 pour alerter le sultan, le pouvoir central ottoman, sur le comportement des immigrants juifs russes. Le sultan cherche à limiter cette immigration. Il accepte de nouveaux migrants à la
double condition qu’ils deviennent citoyens de l’empire (qu’ils se fondent dans la population locale et renoncent à toute prétention à la création d’un État propre) et qu’ils paient leurs
impôts. Dès cette époque commence pour la population palestinienne un combat sur deux fronts :
lutte contre l’accaparement des terres par des colons juifs et pour freiner cet afflux susceptible de
bouleverser la démographie de la région ;
double front puisqu’il faut lutter à la fois contre le colonisateur sioniste et contre les
fonctionnaires corrompus du pouvoir central ottoman qui laissent faire cette situation.
Des modifications de la loi ottomane sur la propriété foncière, intervenues en 1867 et en 1869, facilitent l’appropriation de la terre par des étrangers et donc l’implantation des colons juifs
au détriment de la population locale, qu’elle soit propriétaire ou simplement ouvrière agricole (expulsion des fellahs des terres qu’ils travaillent au profit du travail réservé aux seuls
juifs).
En 1911, se crée le Parti national ottoman (qui regroupe des Palestiniens, mais est dénommé ainsi pour ne pas froisser le sultan). Il a pour programme la lutte contre l’immigration juive,
contre les ventes de terres et pour l’égalité de traitement en matière d’impôts, les colons juifs bénéficiant déjà d’exonérations fiscales.
En 1913, la Palestine se trouve donc au centre de l’émergence du nationalisme arabe et à la pointe du combat, car la population palestinienne est directement atteinte et menacée par la
colonisation juive alimentée par des immigrants de l’Europe de l’Est et animée par le sionisme politique.
Dans ce contexte déstabilisant pour la région, survient la Première Guerre mondiale. Cette guerre, par le jeu des alliances entre grandes puissances va provoquer une série de bouleversements au
Proche-Orient.
La Grande-Bretagne veut investir la région pour étendre son propre empire et protéger la route des Indes. Elle soutient le chérif de la Mecque (Hussein) dans sa quête de création de la future
nation arabe avec la promesse de l’instauration d’un royaume arabe indépendant selon des frontières communément admises mais non explicitées de manière précise, pour accélérer la décomposition
de l’Empire ottoman. Les Arabes considèrent d’abord la Grande- Bretagne comme un allié qui doit leur faciliter la conquête de leur indépendance par rapport au joug de l’Empire ottoman.
D’un autre côté, la même Grande-Bretagne passe un accord secret en 1916 avec la France « l’accord Sykes-Picot » aux termes duquel les deux puissances se partagent
« l’influence » sur la région, le sandjak de Jérusalem devant avoir un statut international.
Toujours la même Grande-Bretagne soutient la prétention du mouvement sioniste à s’implanter durablement dans la région par l’instauration d’un foyer national juif (cf. la déclaration du 2
novembre 1917 de Lord Balfour).
La Palestine va donc connaître deux poussées nationales opposées l’une à l’autre qui se heurtent irrémédiablement dès 1918. En 1919, des notables palestiniens musulmans et chrétiens adressent
une pétition commune à la conférence de la paix après la Première Guerre mondiale. Cette pétition est la reprise du mémorandum du congrès des associations islamo-chrétiennes qui s’était tenu à
Jérusalem en janvier. Le premier paragraphe de cette pétition se prononce contre la déclaration Balfour et le risque qu’elle représente d’une installation d’un foyer national juif en Palestine.
C’est la première manifestation collective structurée du mouvement national palestinien qui associe deux confessions : chrétiens et musulmans.
C’est dans ce contexte que se réunit en juillet 1919, le congrès national syrien, à Damas, qui vote un programme tendant à l’indépendance de la nation arabe unifiée, constituée en État. Cette
nation devra recouvrir les territoires actuels de la Syrie, du Liban, de la Jordanie, de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et d’Israël. Une délégation palestinienne participe telle quelle à
ce congrès, preuve de l’existence d’un mouvement national palestinien et de la spécificité de sa position. Mais la Syrie, par la voix de son dirigeant de l’époque tente déjà d’unifier les
« pays de la région » en une nation et un État arabe sous son égide. C’est le projet de la Grande Syrie. Le congrès suivant en mars 1920, proclame Fayçal, roi d’un royaume
constitutionnel arabe.
Fayçal, fils de Hussein le grand chef religieux de la Mecque, se considère depuis octobre 1918, après la promesse anglaise de soutien d’un royaume arabe, comme le chef d’une Syrie indépendante,
bien que sous mandat français. Il se montre plutôt magnanime à l’accueil d’immigrants juifs mais ne veut pas (et pas plus que le sultan ottoman avant lui) d’un État juif. Par sa position, il
introduit déjà la confusion dans la manière de régler le problème, puisqu’au lieu d’envisager les choses sous l’angle d’une Palestine arabe autonome, il se substitue au mouvement palestinien
naissant pour projeter une « union arabe syrienne » qui intégrerait les migrants juifs avec tout leur apport pour l’économie de la région.
En avril 1920, à la conférence de San Remo, est officialisé et avalisé le partage franco-britannique de 1916 de l’ensemble arabe, désormais sous régime mandataire instauré par la Société des
Nations. À la France, le Liban et la Syrie et aux Britanniques la Palestine et l’Irak. Les troupes françaises arrivent à Damas, les troupes britanniques à Jérusalem. La Grande-Bretagne ne
respecte donc pas les délimitations de l’entité palestinienne puisqu’ils la divisent en deux, de part et d’autre du Jourdain, d’un côté la Palestine (à l’ouest du Jourdain - West Bank ou
Cisjordanie) et de l’autre côté la Transjordanie (à l’est du Jourdain). Les Britanniques, qui dirigent de fait la région, confient la régence de la Transjordanie à Abdallah, le fils de Fayçal,
promu émir de Transjordanie, après avoir évincé, de conserve avec les Français, l’émir Fayçal de Damas et l’avoir nommé roi de Bagdad.
Par contre, la Palestine désormais circonscrite à l’ouest du Jourdain n’a ni émir, ni roi et est soumise directement à l’administration britannique et non pas arabe comme promis par les
Britanniques eux-mêmes qui nomment un haut-commissaire.
En 1922, la Société des nations reformule le mandat attribué à la Grande-Bretagne sur la Palestine en 1920, en introduisant la déclaration Balfour et en n’envisageant plus la perspective pour
la communauté palestinienne arabe d’une nation indépendante, contrairement à l’esprit du paragraphe 4 de l’article 22 de la charte de la SDN adoptée en 1919. De fait la Palestine va se trouver
ainsi sous administration britannique et non pas arabe : les Palestiniens s’estiment floués.
Contre l’occupation britannique
Dès 1922, le conflit colonial est désormais noué avec un mouvement palestinien de résistance contre l’occupant britannique et la colonisation juive. La résistance va s’amplifier et déboucher
sur une révolte générale de 1936 à 1939, encouragée par un fort courant d’indépendance chez les peuples arabes.
Mais cette résistance doit se battre sur les deux fronts : l’occupant britannique et les vagues d’immigration sioniste porteuses de visées nationales et étatiques sur la région. Le conflit
est bien perçu par ses protagonistes comme un conflit entre nationalismes : la délégation palestinienne composée d’Arabes musulmans et chrétiens qui s’était rendue au congrès de Londres en
1921 avait présenté une motion comportant les mots « une autre nationalité » pour qualifier les Juifs.
Le rejet politique du mandat britannique est un élément constitutif du mouvement national palestinien, qui ne s’est donc pas constitué d’abord contre l’État d’Israël (problème qui ne sera posé
qu’à partir de 1948).
Par ailleurs, la Grande-Bretagne persévère dans sa politique de soutien à l’implantation d’un foyer national juif et encourage un morcellement de la Palestine de fait par l’appropriation du sol
par les nouveaux colons, notamment les terres agricoles, au détriment de la population autochtone. La Grande-Bretagne permet même aux colons de s’organiser en entité collective autonome (sorte
d’État dans l’État) par la mise en place d’un comité et le droit d’élire une assemblée représentative interne à la colonie juive (le Yishouv).
La résistance palestinienne va donc être d’abord une résistance paysanne, de lutte contre l’appropriation des terres par ces colons. Mais ce mouvement de résistance se présente, dans cette
lutte, de manière dispersée. Il est composé de forces hétérogènes dans leurs dimensions familiales (claniques), sociales et politiques.
Deux grandes familles palestiniennes dominent la société palestinienne :
les Nashashibi, grande famille d’anciens et gros propriétaires, pro-britannique et partisane de la
dynastie hachémite (jordanienne et transjordanienne) ;
les Husseini, famille du grand mufti de Jérusalem nommé président du Conseil suprême musulman de la
Palestine, plus dure à l’encontre des occupants britanniques et des colonies sionistes.
Et puis, à l’intérieur de la société palestinienne, il y a le peuple des villes et celui des campagnes, avec leurs intérêts et problèmes spécifiques qui ne les font pas converger dans une
position commune vis-à-vis des occupants. Une population sans direction politique spécifique et plutôt tiraillée et oscillant entre les deux familles. D’où une division interne durable du
mouvement de résistance aux occupants britanniques et colons sionistes.
Sur le plan politique, une autre force compte dans la genèse du mouvement national palestinien : le Parti communiste palestinien créé en 1920 paradoxalement au sein d’une colonie juive et
regroupant des Juifs et des Palestiniens. Il entend mener la lutte commune au prolétariat pour son émancipation. Il recouvre un réseau de militants implanté plus largement que dans le seul
périmètre de la Palestine mandataire et recoupe plutôt celui de la Palestine historique (incluant la Transjordanie). Ce PC particulièrement actif, va exercer une forte influence au cours des
années 1920-1930 avant de subir une rupture. Dès 1929, une révolte insurrectionnelle arabe dans plusieurs centres urbains (Hébron, Jérusalem...) mettant aux prises Palestiniens, sionistes et
l’occupant britannique, provoque des tensions terribles au sein du parti communiste.
Plus généralement le mouvement national palestinien va être lui-même partagé sur la ligne de conduite à tenir du fait de l’hétérogénéité des forces qui le composent.
Les années 1930 sont les années du nazisme triomphant en Allemagne et par conséquent d’une immigration juive massive en Palestine.
Les années 1935 à 1939 vont alors être marquées par une résistance ouverte et de plus grande ampleur de la population palestinienne contre les occupants, considérée par la population
palestinienne pour les uns, comme la première guerre d’indépendance, ou, pour les autres, comme la première Intifada. Les deux grandes familles de notables se trouvent débordées par une
jeunesse qui ne voit plus d’avenir dans la situation d’alors, qui critique l’impuissance et la compromission des grandes familles palestiniennes et qui se politise, en se constituant en un
ensemble de petites organisations secrètes.
Le congrès national de la jeunesse arabe de 1935 considère la Grande-Bretagne comme l’ennemi principal, la colonisation sioniste n’étant qu’une composante inséparable de l’occupation
britannique. En particulier dès 1928, des responsables de jeunesse musulmans (comme son président Ezzedine al Qassam) mettent en place une organisation de résistance clandestine et
confessionnelle musulmane (plus tard, le Hamas s’en inspirera). Elle sera particulièrement combative, au point que la Grande-Bretagne va faire machine arrière dans son soutien à l’implantation
juive qu’elle entend désormais limiter avec le Livre blanc de mai 1939 (restrictions sévères de l’immigration juive et des ventes de terres) qui ne sera que partiellement appliqué puis remis en
cause par la pression exercée par le mouvement sioniste auprès de Londres.
Mais ces succès contre l’occupation vont être balayés par la Deuxième Guerre mondiale et par les actes terroristes montés par les milices sionistes secrètes comme l’Irgoun, créée en 1931. Cette
dernière en profite pour prendre le dessus et mener à son tour une guerre d’indépendance contre la Grande-Bretagne et de conquête de nouveaux territoires au détriment de la population
palestinienne, jusque après la proclamation unilatérale de l’État d’Israël en 1948.
Dès lors l’affrontement direct entre deux nationalismes est inévitable. Il sera d’autant plus dur, que les Palestiniens sont profondément attachés à la terre de leurs ancêtres et que les Juifs
n’ont pas de patrie propre et subissent des persécutions en Europe allant jusqu’au génocide nazi. Du côté juif, c’est la tendance dure de Jabotinsky, qui veut un État purement juif, pour les
seuls et pour tous les Juifs. Du côté des dirigeants arabes, ce qui prédomine c’est la peur de perdre la Palestine arabe et aussi de voir naître un État palestinien indépendant, ce qui irait à
l’encontre soit du projet de grande nation arabe, soit des visées de tel État arabe sur une partie de la Palestine. Les dirigeants arabes font donc pression sur la Grande-Bretagne pour qu’elle
règle le problème.
Sous cette double pression sioniste et arabe, la Grande- Bretagne expose en 1942 un second projet de partition de la Palestine. Celui-ci est rejeté la même année par la « déclaration
Biltmore » du mouvement sioniste (congrès du mouvement sioniste mondial à l’hôtel Biltmore de New York), qui exige un État pour les Juifs couvrant toute la Palestine et relié au
Commonwealth. De son côté, Judas Magnes, président de l’université hébraïque de Jérusalem constate : « Un État juif ne peut se faire que par la guerre pour gouverner d’autres
gens. »
En mai 1943, le Parti communiste palestinien, seul parti judéoarabe, se divise sur une base ethnique, entre les Arabes et les Juifs.
L’idée de partition sera finalement rejetée par les Palestiniens et par les sionistes.
Vers l’État d’Israël
Ben Gourion organise la résistance contre les Anglais et l’occupation militaire du terrain contre les Palestiniens. En 1945-1946, après la révélation du génocide nazi à l’opinion publique
européenne et mondiale, la Shoah confère aux yeux de la communauté internationale et notamment des Occidentaux, une priorité absolue aux revendications nationales juives et à la constitution
d’un État en Palestine en réparation du massacre subi et comme solution définitive à la question juive.
Le délégué du mouvement national palestinien au sein de la Ligue arabe, qui oriente la stratégie contre le projet d’État juif en Palestine, est le mufti de Jérusalem Haj Amin al Husseini. Or,
et c’est dramatique, durant la Seconde Guerre mondiale, celui-ci a cherché à nouer des alliances hasardeuses entre les pays arabes et les puissances de l’Axe contre leur ennemi commun et pour
promouvoir le panarabisme. Le projet de partition anglo-américain est finalement adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 29 novembre 1947.
La Palestine se trouve alors doublement déchirée par le conflit, entre les Palestiniens et les sionistes, et par la lutte d’influence interne entre les deux familles, l’une, les Nashashibi,
pro-jordanienne, et l’autre, les Husseini, pro-égyptienne. La Ligue arabe se prononce contre la partition de la Palestine, mais chaque membre pour des raisons différentes. L’Égypte et l’Arabie
Saoudite, d’un côté, et, de l’autre, la grande Syrie avec l’Irak rêvent d’unifier le monde arabe chacune autour d’elle et convoitent la Palestine et la Jordanie. Cette division du monde arabe,
qui traverse le mouvement national palestinien, va donc avoir les plus graves conséquences sur l’avenir du peuple palestinien.
De son côté l’URSS pour des raisons propres se prononce pour l’instauration d’un État juif. Le Parti communiste palestinien se prononce pour l’autodétermination des deux peuples, juif et
palestinien. Les Arabes reçoivent cette prise de position comme une trahison.
Le mouvement palestinien refuse le plan de partage de 1947 mais se trouve devant un double problème qu’il va s’avérer longtemps incapable de résoudre :
comment prendre en compte la réalité née de la présence de 600 000 colons juifs sur leur
territoire ?
comment s’organiser pour prendre en charge le territoire attribué à l’État « arabe » ?
Et ce d’autant plus que l’ensemble du territoire de la Palestine mandataire est en réalité habité par des populations palestiniennes et juives réparties autrement que selon ce qui est prévu
dans le plan de partage de 1947.
Le conflit devient une affaire israélo-arabe dans la résolution de laquelle le mouvement palestinien se trouve hors jeu. Après l’invasion sioniste et le plan de partage de 1947, la guerre de
1948-1949 entre Israël et la coalition arabe formée par l’Égypte, la Syrie et la Jordanie conforte cette éviction du mouvement national palestinien.
Le 30 septembre 1948, Amin al Husseini réunit une conférence fondatrice du « gouvernement de toute la Palestine » à Gaza qui se prononce pour un gouvernement de la Palestine toute
entière reconnu par la Ligue arabe, sauf par la Transjordanie. Gaza, de fait, est sous influence égyptienne.
La même année, le 30 octobre à Amman, en réplique à l’initiative d’Husseini et à l’instigation du roi Abdallah lui-même, se tient un congrès des notables palestiniens de Cisjordanie qui se
détermine en faveur de l’instauration d’un royaume hachémite commun réunissant la Transjordanie et la Cisjordanie, sous le règne d’Abdallah.
Le partage du territoire palestinien est finalement opéré entre le nouvel État d’Israël qui en a conquis les trois quarts et les pays arabes qui arrêtent le combat au début 1949 (armistice de
Rhodes). En avril 1950, Gaza passe sous administration de l’Égypte, antihachémite. La Cisjordanie est annexée par le régime hachémite de Transjordanie. Ainsi, ce qui n’est pas encore conquis de
la Palestine par l’armée israélienne se trouve de fait divisé en deux par les pays arabes. Cette partition géopolitique va peser lourd sur l’avenir du mouvement national palestinien, sur ses
orientations internes et ses relations externes avec les pays arabes.
Quant à la population palestinienne, en quelques mois, elle se trouve dispersée, sous forme de diaspora, entre ceux qui restent sur place, notamment en Galilée (environ 165 000) dans le nouvel
État d’Israël mais sans nationalité reconnue, ceux qui vivent depuis l’origine dans les territoires de Gaza ou en Cisjordanie et tous les autres qui deviennent des réfugiés soit dans leur
propre pays (Gaza et Cisjordanie), soit en exil au Liban (110 000), en Jordanie, en Égypte, en Syrie, en Irak, ou ailleurs. Cette situation rend encore plus difficile la préservation de l’unité
du mouvement national palestinien.
Dans la mémoire des Palestiniens, cette période de mise à mort de leurs aspirations nationales prend le nom de « nakba » (catastrophe).
La deuxième phase de développement du mouvement national palestinien (1948-1977)
Un double combat, contre l’occupant israélien, contre les visées hégémoniques des États arabes (1948-1967)
Dans ce contexte de dispersion et d’exode de la population et de division politique, la résistance renaît en différents points : à Gaza parmi les réfugiés, à l’extérieur du territoire et
en Israël même.
En 1955-56, manifestations de la résistance palestinienne : commandos à Gaza contre l’armée israélienne qui a investi la bande de Gaza. Yasser Arafat participe à ces premiers commandos.
Décembre 1956 : Yasser Arafat et son ami Salah Khalaf fondent le mouvement de libération de la Palestine qui va devenir le Fatah (conquête) en 1959 au Koweït. Il s’agit de se démarquer de
l’emprise égyptienne et de promouvoir l’autonomie de la résistance palestinienne par rapport au monde arabe. Son but : la lutte armée pour abolir le sionisme en Palestine dans toutes ses
institutions, menée de manière autonome pour préserver l’indépendance du mouvement national palestinien de l’influence des États arabes.
Parallèlement, à la fin des années 1950, à l’université de Beyrouth, Georges Habache fonde un autre mouvement de libération de la Palestine : le Mouvement nationaliste arabe - MNA. Son
but : libérer la Palestine par l’union nationale arabe. Georges Habache se voit attribuer le commandement régional du mouvement national arabe pour la Palestine en 1964. Il fondera en
Jordanie en 1967 le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) plus en prise avec le mouvement national panarabe et qui se ralliera au marxisme-léninisme. En 1974, il sera l’animateur
du Front du refus (contre tout compromis avec Israël).
En janvier 1964, est fondée l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), à l’initiative de Nasser. Ce dernier annonce la reconnaissance de l’OLP comme représentative de la résistance
arabe en Palestine au sommet de la Ligue arabe qui lui reconnaît un statut d’observateur en son sein. Nasser fait nommer à la tête de l’OLP un de ses proches, le Palestinien Ahmed Choukeiry.
L’OLP doit assurer le commandement unifié du combat arabe en Palestine.
Le 28 mai 1964, se tient le premier Conseil national palestinien qui tient également lieu de congrès constitutif de l’OLP. C’est le point de départ d’une unification du mouvement de résistance,
marqué par des tensions entre les États arabes.
Déjà les divergences se manifestent entre la Syrie, l’Irak, la Jordanie et l’Égypte, chacun cherchant à instrumentaliser et donc à contrôler l’OLP et le mouvement de résistance qu’il incarne,
pour ses propres intérêts dans la région :
la Syrie crée son propre mouvement de résistance, la Saïqa ;
l’Égypte tente de garder le contrôle de l’OLP ;
la Jordanie va contrer la montée en puissance de l’OLP avec le roi Hussein en 1970 ;
l’Irak va tenter de créer une armée de volontaires pour la libération de la Palestine (Armée de
libération de la Palestine ALP).
Dès lors, le mouvement national palestinien va devoir mener un double combat : contre l’occupant israélien et contre les visées respectives des États arabes.
Toutes les prises de position et tentatives visant à promouvoir l’unité du mouvement national palestinien et de sa résistance à l’occupant israélien vont être en butte et donc en contradiction
avec les partisans de la « Nation arabe » (le panarabisme) qu’ils soient nassériens (Égypte) ou baasistes (Syrie et Irak).
De surcroît, au sein du mouvement national palestinien, le combat à mener pour la libération de la Palestine est considéré par les uns comme une contribution à la création de la grande nation
arabe (panarabisme nassérien ou syrien) et par d’autres comme visant à conquérir l’indépendance par la création d’un nouvel État arabe (la Palestine), ce qui est perçu par certains dirigeants
arabes comme un élément de fragmentation de la nation arabe. D’ailleurs, le premier résistant palestinien du Fatah mort au combat est tué par un soldat jordanien.
Longtemps le débat va porter sur le point de savoir si la libération de la Palestine sera le résultat de l’unification des États arabes dans la grande nation ou si elle devra en être le
préalable. En réalité, les événements ont mis fin au rêve du panarabisme incarné par Nasser. Le mouvement national palestinien va devenir autonome au fur et à mesure de ses combats contre
l’occupant.
En 1965, le Fatah soutient que « l’unification de la nation arabe passe désormais par la libération de la patrie palestinienne occupée ».
La guerre israélo-arabe des Six-Jours en 1967 enraye ces premières manifestations de résistance des années 1950 et va être la fin du rêve panarabe incarné par Nasser. En même temps, elle va
être l’occasion de l’affirmation du mouvement national palestinien comme acteur autonome face à Israël et de la véritable renaissance du mouvement national palestinien qui sera à nouveau brisé
en 1970 (« Septembre noir »). Choukeiry, l’homme fort de Nasser, est éliminé de la tête de l’OLP.
L’autonomie du mouvement national palestinien (1968) et l’échec militaire
Lors du quatrième Conseil national palestinien, est adoptée la charte nationale de 1968 de l’OLP. Ses auteurs manifestent la volonté d’autonomiser le mouvement palestinien et de le soustraire à
l’influence de l’Égypte de Nasser. Elle affirme que la Palestine est une patrie du peuple arabe. En cela elle se distingue de la charte de 1964 qui évoquait seulement la nation arabe.
Le 1er janvier 1969, Yasser Arafat prend la direction du comité exécutif de l’OLP lors du cinquième Conseil national palestinien. Le programme de l’OLP se distingue des options prises en 1964
sur un point essentiel. Il parle pour la première fois d’un État palestinien (création à laquelle s’opposaient les États arabes).
En 1969, Nayef Hawatmeh fait scission du FPLP pour créer le Front démocratique palestinien de libération de la Palestine (FDPLP). S’inspirant de l’exemple de la résistance vietnamienne à
l’occupant américain, il prône la guerre révolutionnaire de longue durée. En outre, à la différence du Fatah, il évoque le devenir des Juifs comme des Arabes en mettant l’accent sur le
développement de leur culture nationale respective. Il considère les Juifs moins comme une communauté confessionnelle que plutôt comme ayant une culture nationale propre. Le FDPLP se
transformera en FDLP en 1974.
En mai 1970, l’OLP resserre les rangs (Fatah, FDPLP, FPLP...) au sein du mouvement national palestinien, autour d’une plate-forme minimale.
Alors que Georges Habache tentait d’imposer un double pouvoir en Jordanie, en septembre 1970, ce sont les massacres (« Septembre noir ») des dirigeants et militants de l’OLP en
Jordanie, par l’armée jordanienne, pour réduire leur influence sur la vie politique dans le royaume hachémite. C’est un événement très grave qui brise la dynamique du mouvement national
palestinien et remet en cause sa stratégie de lutte contre Israël.
La période 1970-1971 marque l’échec militaire du mouvement palestinien. En 1973, la « guerre du Kippour » ou « guerre d’octobre », est suivie d’une demie victoire de la
Syrie et de l’Égypte contre Israël, qui ne doit d’éviter la défaite que par l’intervention d’un pont militaire aérien américain.
Chassé de la Jordanie, l’état-major de l’OLP se replie sur le Liban. Les Palestiniens vont alors tisser des liens étroits avec les forces progressistes libanaises à l’encontre des intérêts
syriens. Or cette alliance vise quel but :
la libération de la Palestine ?
ou la primauté de l’unité de la nation arabe dont ils s’estiment être le fer de lance ?
L’OLP doit donc affronter une nouvelle fois comme adversaires à la fois Israël et les intérêts propres des pays arabes sur le terrain des nationalismes, la Syrie souhaitant garder le contrôle
du Liban. Face au nationalisme sioniste, quelle union nationale arabe promouvoir ? Le mouvement national palestinien est traversé par l’absence de stratégie commune des États arabes et par
les dissensions du mouvement arabe sur la question du panarabisme. Cette situation lui complique la tâche pour définir des objectifs, une stratégie cohérente et des moyens d’action appropriés.
Au combat contre le sionisme se superpose le combat contre l’unionisme arabe ou panarabisme.
Au cours de cette période, se développe un mouvement de résistance palestinienne en Cisjordanie qui va infléchir, à terme, les orientations politiques du mouvement national palestinien.
Vers le tournant stratégique
De 1971 à 1974, le mouvement national palestinien doit résoudre une double question :
un État palestinien sur tout ou seulement une partie du territoire d’origine ?
un État palestinien, mais quel type d’État ? Laïque ou confessionnel ? Démocratique ?
Le débat prend une dimension décisive après la guerre d’octobre 1973 : l’Égypte reconnaît avoir perdu la confrontation historique avec Israël, que les Arabes avaient commis l’erreur de
considérer comme un accident transitoire.
Sous la triple impulsion du Fatah, du FDLP et des Palestiniens des territoires occupés (regroupés dans le Front national palestinien, FNP), l’OLP définit sa stratégie au douzième Conseil
national palestinien, le 9 juin 1974 au Caire. Dans un programme en dix points, une double option est adoptée :
l’établissement d’une « autorité nationale indépendante » sur une partie seulement des
territoires d’origine (c’est une première dans la pensée du mouvement national palestinien). Sont mis au premier plan Gaza et la Cisjordanie, après l’évacuation des troupes israéliennes et des
colons ;
cet État devra être laïque et démocratique. L’OLP abandonne son utopie d’un État palestinien laïque et
démocratique sur l’ensemble de la Palestine mandataire et doit du même coup faire admettre dans ses rangs cette solution de compromis.
Quelques semaines plus tard, sous l’impulsion de Georges Habache se crée le Front du refus.
En octobre 1974, l’OLP est reconnue par le sommet arabe de Rabat comme « le seul représentant du peuple palestinien ». Le 13 novembre 1974, pour la première fois, Yasser Arafat est
reçu à l’Organisation des nations unies, signe précurseur du développement de l’option diplomatique. L’ONU reconnaît le droit du peuple palestinien à l’autodétermination.
Or, sans attendre que l’OLP historique, représentant plutôt les exilés et réfugiés, ait mis en oeuvre sa stratégie définie en congrès, à Gaza et en Cisjordanie la résistance s’organise et se
développe à l’instigation des communistes et des nationalistes du FPLP, de la gauche démocratique (le FDLP) et du Fatah. Ce « front national palestinien des territoires occupés »,
créé en août 1973, reconnaît l’OLP comme seul représentant légitime du peuple palestinien mais se prononce contre la ligne politique dite « théorique » de l’OLP et pour une politique
de résistance populaire non armée dans les territoires occupés, avec deux fronts sur le terrain :
en Cisjordanie, contre le roi Hussein de Jordanie ;
un deuxième front à Gaza, le front national unifié, pour résister à l’influence de l’Égypte.
Il faut alors unifier ces différents mouvements de résistance, d’où l’intégration, au sein du comité exécutif de l’OLP, des animateurs du mouvement de résistance en Cisjordanie (essentiellement
des éléments du PC jordano-palestinien). L’OLP ainsi « unifiée » en Cisjordanie boycotte les élections municipales de 1972 puis gagne celles de 1976, contre les Palestinien
pro-jordaniens.
En 1977, le Rakakh (PC israélien) se rapproche du Parti communiste palestinien et se prononce en faveur de la reconnaissance de l’OLP comme représentative du peuple palestinien, lors d’une
rencontre à Prague.
Un autre élément va infléchir la stratégie du mouvement national palestinien : la manifestation pour la terre. Le 30 mars 1976, les Palestiniens de l’intérieur (vivant en Israël)
organisent une manifestation sous la forme d’une journée de protestation pour défendre leurs terres et dénoncer les expropriations. Ce mouvement, violemment réprimé (six tués), sera relayé par
la suite en Cisjordanie et démontre l’indéracinable attachement du peuple palestinien à sa terre. Alors que son état-major est composé pour l’essentiel de dirigeants issus de la population des
réfugiés à l’extérieur du pays, l’OLP est ainsi forcée de prendre en compte ce mouvement de résistance plus politique et ceux qui le mènent, les Palestiniens de l’intérieur, dans sa stratégie
de mobilisation et d’action.
En mars 1977, le treizième Conseil national palestinien au Caire se prononce sur les points suivants :
priorité à la résistance dans les Territoires occupés ;
exercice du pouvoir sur la partie des territoires d’origine qui pourra être libérée ;
exigence d’une conférence internationale pour le règlement du conflit ;
développement des relations entre Palestiniens et les forces démocratiques et progressistes
israéliennes ou juives dans la perspective de coexistence de deux États.
L’essentiel est le paragraphe 11 : « Le Conseil décide de poursuivre la lutte pour récupérer les droits nationaux de notre peuple, et avant tout le droit au retour, à exercer son
droit à l’autodétermination et à établir son État national indépendant sur sa propre terre. » C’était une acceptation pure et simple du partage.
La stratégie du mouvement national palestinien est désormais tracée. Son cadre s’appuie sur les décisions du douzième Conseil de juin 1974 et du treizième en mars 1977. Son aboutissement sera
la déclaration de novembre 1988 au Conseil national d’Alger avec la proclamation nominale de l’État de Palestine qui prend acte de l’existence d’Israël désormais reconnu de facto.
LES PROBLÈMES STRATÉGIQUES DU MOUVEMENT NATIONAL PALESTINIEN